numerus Closus

D’où vient le fameux numerus clausus qui limite le nombre de médecins depuis 50 ans ?

Les difficultés que rencontre la médecine libérale aujourd’hui sont en grande partie liées au manque de médecins sur le territoire. Si le « numerus clausus » est maintenant décrié, ce sont pourtant les médecins libéraux, en 1971, qui ont réussi à convaincre l’Etat de limiter leur nombre. Après 50 ans de régulation du nombre de médecins par l’Etat, les effets de la suppression du numerus clausus en 2019 ne se feront pas sentir avant 2030.
Louis Mollier-Sabet

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Dans une tribune du 29 décembre dernier publiée dans Le Figaro Vox, Ludovic Toro, maire UDI de Coubron estimait, en marge de la grève des médecins libéraux, que l’on « faisait payer aux médecins libéraux le résultat de 30 ans d’incompétence. » Ce médecin généraliste exhortait à ce titre le gouvernement à « ouvrir massivement le numerus clausus, en redonnant à l’hôpital les moyens de former ces étudiants. » Ce fameux « numerus clausus », débattu depuis des années et assoupli en 2019, désigne la limitation du nombre de médecins formés chaque année sur le territoire national. Et s’il est aujourd’hui dénoncé de toutes parts, notamment par les médecins libéraux, en nombre insuffisant pour répondre aux besoins de santé de la population, c’est pourtant un vieil acquis… du corps médical.

La création du numerus clausus en 1971 : une mobilisation du monde médical

Dans un article de 2008, le professeur de science politique Patrick Hassenteufel revient sur la constitution, fin XIXème siècle, du syndicalisme des médecins libéraux. Celui-ci se forme autour de revendications liées à la défense de leurs intérêts économiques et du monopole des soins. En clair, la profession s’est historiquement organisée pour garantir des revenus aux médecins en tentant de limiter leur nombre.Mais ce n’est qu’en 1971 que le fameux numerus clausus sera mis en place pour fixer un nombre limite de médecins formés annuellement en France. Mais pourquoi seulement en 1971 ? Le politiste Marc-Olivier Déplaude estime que c’est en réponse aux mouvements étudiants de mai 1968, qui ont aussi concerné les facultés de médecine, que le Syndicat autonome des enseignants de médecine (SAEM) s’est constitué pour que les médecins soient « un petit nombre d’élus qui possèdent les qualités initiales requises », d’après le chercheur.C’est bien cette « mobilisation contre-révolutionnaire » qui fait naître le numerus clausus en 1971, d’abord fixé au-dessus des demandes des médecins, avant que l’Etat diminue drastiquement le nombre de médecins formés en 1977, en passant de 9170 à 4000, d’après l’économiste de la santé Nicolas Da Silva.

Un compromis entre médecins libéraux et l’Etat

Pourtant, d’autres syndicats prônaient à l’époque des politiques inverses, comme le Syndicat national de l’enseignement supérieur (SNESup), qui défendait, dans le cadre du mai 1968 étudiant, l’ouverture des études supérieures. Dans les études médicales, cela a par exemple donné la suppression du concours de l’externat après mai 1968. Mais alors, pourquoi est-ce finalement le SAEM qui a eu gain de cause ?Marc-Olivier Déplaude estime que les revendications du SAEM se sont imposées parce qu’elles arrangeaient finalement les services de l’Etat qui cherchaient à réduire les dépenses de santé. Une note de la Direction du budget datée de 1969 explique ainsi qu’avec le conventionnement des médecins libéraux et le remboursement des consultations, former plus de médecins équivaut à augmenter les dépenses de santé, puisqu’ils deviennent des « quasi-fonctionnaires », selon les mots de Nicolas Da Silva.
Or, pour réduire ces dépenses de santé, limiter le nombre de médecins formés paraît beaucoup moins coûteux politiquement que de toucher aux honoraires ou aux remboursements et ainsi de « susciter l’hostilité des principaux syndicats libéraux. » L’option du numerus clausus, au contraire, présente pour Marc-Olivier Déplaude « l’avantage d’être soutenu par une partie de la profession médicale. » Le politiste résume ce consensus entre Etat et syndicats de la médecine libérale dans le titre de son ouvrage sur le sujet : « La hantise du nombre » (Les Belles Lettres, 2015).

Les effets de la suppression du numerus clausus se feront sentir « au mieux » en 2030

Après sa mise en place dans les années 1970, le numerus clausus a progressivement été abaissé jusqu’au début des années 2000, avant d’être augmenté par les gouvernements successifs, puis supprimé en 2019
numerus_clausus.png
Graphique extrait du rapport de la commission d'enquête "Hôpital : sortir des urgences" (p. 206)
La commission d’enquête sur l’état de l’hôpital en France menée par le Sénat en 2022 est revenue sur le problème des effectifs de médecins libéraux, et notamment généralistes. Le rapport de la présidente LR de la commission des Affaires sociales, Catherine Deroche, explique bien que les effets de la suppression de ce numerus clausus « ne se feront sentir au mieux qu’à partir du début de la décennie 2030 » : « Le numerus clausus a été supprimé, mais les effectifs d’étudiants demeurent contraints par les capacités d’accueil et les moyens de formation des facultés. […] Les effectifs de médecins généralistes devraient encore diminuer entre 2021 et 2026, passant de 95 400 à 92 300, et ne retrouveraient leur niveau actuel qu’au-delà de 2030. »Patrice Diot, le président de la conférence des doyens des universités de médecine, avait ainsi expliqué devant la commission d’enquête que la suppression du numerus clausus n’était pas « la solution à tous les problèmes » : « L’augmentation qui a été apportée l’année dernière, c’est-à-dire environ 10 000 étudiants, c’est le maximum de nos capacités de formation dans notre pays. » Numerus clausus ou pas, la pénurie de médecins est donc partie pour durer.

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