Démission du préfet Gravel : qu’avait-il dit devant la commission d’enquête Fonds Marianne ?

Le premier rapport de l’inspection générale de l’administration (IGA) sur les subventions attribuées à l’USEPPM par le Fonds Marianne a provoqué la démission du préfet Gravel, secrétaire général du Comité Interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR). Retour sur les propos qu’il avait tenus le 16 mai dernier devant la commission d’enquête sénatoriale, qui paraissent parfois – a minima – difficilement conciliables avec les conclusions de l’IGA.
Louis Mollier-Sabet

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Ce n’est peut-être que le début. Les premières enquêtes sur l’utilisation du « Fonds Marianne », lancé au printemps 2021 par Marlène Schiappa après l’assassinat du professeur Samuel Paty, rendent leurs conclusions. La commission d’enquête sénatoriale est toujours en cours, mais l’enquête de l’Inspection générale de l’administration (IGA) aura déjà eu raison du préfet Gravel, qui a démissionné de son poste de secrétaire général du Comité Interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR). Le corps d’inspection s’est en effet penché sur les 355 000 euros attribués sur la base d’une « note de synthèse » de sept pages à l’Union fédérative des sociétés d’éducation physique et de préparation militaire (USEPPM), dirigée par l’essayiste Mohamed Sifaoui, alors qu’une deuxième inspection sur les autres financements est en cours. Son président, Cyril Karunagaran, avait eu du mal à justifier cette subvention devant la commission d’enquête sénatoriale le 31 mai dernier.

Le préfet Gravel avait orienté l’enquête sur le cabinet de Marlène Schiappa

À ce stade, l’IGA a déjà rendu des conclusions très sévères sur l’attribution de cette subvention, estimant notamment que l’appel à projets « n’a été ni transparent, ni équitable. » Les inspecteurs ont ainsi décidé de transmettre les éléments au procureur au titre de l’article 40 du code de procédure pénale pour des soupçons de détournements de fonds publics, d’abus de confiance et de prise illégale d’intérêts, concernant l’USEPPM, mais aussi certains rouages de l’administration. En cause notamment, le fait la structure était au départ en lice pour recevoir une subvention du CIPDR, et a été redirigée vers le Fonds Marianne, ce qui témoignerait d’un appel à projets « biaisé. » Face aux alertes des salariés du CIPDR sur la faiblesse du dossier de l’USEPPM, l’IGA met en cause « une carence grave » du CIPDR et de son responsable, le préfet Christian Gravel, qui a donc démissionné hier du secrétariat général du CIPDR, alors qu’il défendait le 16 mai dernier au Sénat le « travail rigoureux » de ses équipes.

>> Pour revivre en détails l’audition du préfet Gravel devant la commission d’enquête sur le Fonds Marianne, voir notre article

Durant plus de trois heures d’audition, le préfet avait orienté la commission d’enquête vers le cabinet de Marlène Schiappa. Christian Gravel avait alors souligné que le Fonds Marianne correspondait à une « commande politique, issue de la ministre concernée ». « Il n’y a pas eu de préparation, d’analyse, en amont, avant d’engager le travail qui a été demandé à l’administration », a-t-il relaté. Face à des sénateurs visiblement interloqués par les conditions de la genèse du fonds, le secrétaire général du CIPDR avait notamment émis des critiques sur l’agenda retenu. Son équipe et lui n’étaient en effet pas satisfaits des délais, à savoir un dépôt des candidatures entre le 20 avril et le 10 mai 2021, suivi d’un temps d’analyse des dossiers avant une réunion du comité de sélection le 20 mai « au plus tard ».

USEPPM : un projet « ambitieux » pour Christian Gravel

« Nous avons proposé un autre calendrier avec mon équipe. Nous considérions que pour effectuer ce travail dans ces conditions optimales, il fallait prévoir un calendrier s’étalant sur trois mois. Le cabinet a demandé que le temps soit accéléré et qu’on puisse envisager toute la procédure sur cinq semaines », avait alors témoigné le préfet Gravel. À la défense du ministère, le haut fonctionnaire a toutefois reconnu que cette demande était compréhensible au regard « du contexte de l’époque », celui des attentats survenus les mois précédents.

Le cas de l’USEPPM avait d’ailleurs occupé une bonne partie des échanges entre le haut fonctionnaire et les sénateurs. Pour Christian Gravel, le dossier déposé était non seulement « ambitieux » mais « hautement qualitatif », puisqu’il était porté par une association reconnue d’utilité publique, co-dirigée de surcroît par le journaliste et écrivain Mohamed Sifaoui. Placé sous protection policière depuis des années, ce dernier est connu pour son infiltration dans un réseau terroriste. Sa présence en faisait une « caution scientifique évidente », a insisté Christian Gravel.

Au vu des sommes engagées par le Fonds Marianne, les sénateurs avaient questionné leur interlocuteur sur le bilan plutôt maigre de l’association, en termes de contenus et d’engagements sur les réseaux sociaux. S’il a admis que « quantitativement », « on aurait pu espérer plus de choses », le secrétaire général du CIPDR a assuré que le bilan d’un point de vue qualitatif était « positif ». Selon lui, « 500 posts, tweets, threads et vidéos » défendant la République ont été produits. « C’est d’une rare pauvreté, je vais dire les choses », avait objecté le sénateur Raynal, peu convaincu.

« Lors de la présentation de notre rapport, nous étudierons les éventuelles suites à donner »

En guise de défense, le préfet avait insisté sur « l’écosystème associatif très restreint » qui caractérise cette thématique de la lutte contre la radicalisation en ligne. « Rares sont les associations qui sont en mesure d’agir contre le séparatisme et de maîtriser les techniques de la communication digitale », avait-il expliqué. La moitié des 17 bénéficiaires du Fonds Marianne étaient « déjà connus » de son administration, un « gage de confiance évident ».

Rappelant que les initiatives de « contre-discours » en ligne en France relevaient encore de « l’expérimentation », le secrétaire général du CIPDR avait tenu à affirmer que le « bilan global » du Fonds était « positif ». « Ce soutien financier de l’État a permis de diffuser auprès de centaines de milliers d’internautes, dont 358 000 abonnés, plus de 2000 publications en tout genre. C’est plus de six millions d’impressions pour défendre notre modèle républicain. »

Le président de la commission d’enquête sénatoriale sur le Fonds Marianne, et président de la commission des Finances du Sénat, Claude Raynal, se réserve pour le moment le droit de saisir le procureur de la République pour faux témoignage. « Lors de la présentation de notre rapport, nous étudierons les éventuelles suites à donner », confie-t-il simplement pour le moment. L’ancien directeur de cabinet de Marlène Schiappa est auditionné par la commission d’enquête ce mercredi à 10h30, ainsi que le directeur de cabinet actuel de Sonia Backès à 16h30, qui a repris le portefeuille de la ministre à l’été dernier.

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