Des camps de travail forcés aux orphelinats, l’histoire intime des « enfants du goulag »

Des camps de travail forcés aux orphelinats, l’histoire intime des « enfants du goulag »

1 mois, 6 mois, 2 ans et déjà considérés comme ennemis du peuple. Sous la dictature soviétique de Staline dans les années 1930, des dizaines de milliers d’enfants ont été déportées dans les camps de prisonniers : les goulags.  Leur crime ? Avoir été le fruit d’amour interdit ou issu de viols. Plus d’un demi-siècle plus tard, ces « enfants du goulag » raconte leur calvaire : de leur arrachement à leurs mères à leur placement dans les orphelinats des camps de travail.
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Par Priscillia Abereko

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Le documentaire « les enfants du goulag » réalisé par Romain Icard, retrace l’histoire intime d’une partie des 18 millions de Russes qui durant les années 1930 ont été déportés dans les goulags. « Goulag », un sigle pour désigner la direction des camps de travail instaurés par Joseph Staline.

Installé au pouvoir en 1927, Joseph Staline étend les goulags à toute l’URSS. Le leader bolchevik y instaure une répression systématique et organisée avec la création en 1936 du statut d’ennemi du peuple : durant les trente années qui ont suivi, tous ces ennemis réels et supposés ont été déportés par le NKVD, la sécurité d’état, qu’il s’agisse d’hommes, de femmes mais également d’enfants. Près d’une dizaine de milliers d’enfants, devenus « enfants du goulag » ont ainsi subi le même sort. Galia Rakhleieva, est l’une d’entre eux : « Je suis née dans un camp le 9 juin 1954. Ma mère y été incarcérée et c’est dans ce camp qu’elle m’a mise au monde ».

L’acheminement vers les goulags

Chaque goulag est placé de façon stratégique dans toute l’URSS : tous sont implantés à des milliers de kilomètres de Moscou. Si les déportés vivent un calvaire dans ces camps, le départ peut lui aussi être brutal. Marat Alexandrevitch Nossov, déporté à l’âge de 9 ans se souvient de cette nuit d’horreur : « Au cours de la nuit, la sonnette de notre appartement a retenti. Ma mère est allée ouvrir et c’était un agent du NKVD. Il a dit à mon père qu’il était convoqué d’urgence au Kremlin. Mon père nous a dit qu’il revenait très vite et nous a embrassés. Mais il n’est jamais revenu, je n’ai jamais revu mon père. Deux jours plus tard, ça a été au tour de ma mère d’être arrêtée. Son crime était de n’avoir pas dénoncé mon père comme étant un ennemi du peuple. Elle a été condamnée à 10 ans de prison ».

Les trajets vers les camps sont eux aussi abominables, et beaucoup y laisseront leur santé, voire leur vie. Dina Choulkevitch, déportée à l’âge de 3 ans se souvient des conditions atroces auxquelles elle a dû faire face durant ce trajet : « dans les trains pour aller dans les camps, on roulait pendant deux mois et on n’avait pas le droit de se laver ». Ces convois furent pour tous source d’une profonde angoisse : Aucun ne savait qu’ils étaient alors en route pour l’enfer.

Des naissances interdites aux orphelinats

Dans les camps de travail où un quart des prisonniers sont des femmes, la violence faite à leur égard se banalise. Elles deviennent souvent des proies pour les hommes, principalement les gardiens. Anna Markova, jeune femme déportée à l’âge de 20 ans reconnaît que « les enfants des camps naissaient des unions entre les prisonniers mais il y a eu aussi des cas où les chefs des prisonniers et les gardiens ont eu la mainmise sur certaines femmes ». Menacées, contraintes, ces jeunes femmes n’ont pas eu le choix poursuit la jeune femme : « une fois qu’un gardien repérait une petite jeune, il la bouffait […] si une jeune fille refusait leurs avances, les gardiens l’enfermaient […] J’ai été moi aussi forcé de céder sinon ils font de toi une handicapée, ils te crèvent les yeux ».

De ces rapports de forces, ces viols, de nombreux bébés sont nés. Bien souvent, les prisonnières accouchent seules, entre elles. Des enfants qui sont ensuite placés dans des sections particulières : « des crèches » où leurs mères ne sont plus autorisées à les voir. Dina Choulkevitch est l’une de ces enfants. Elle se souvient de celles qui s’occupaient  d’eux : « nous les appelions les nounous, elles étaient douze et elles-mêmes prisonnières ». Ces enfants finiront par quitter les camps : « sans rien nous dire ils nous ont enfermés dans nos baraquements, ils ont fait venir des camions avec des bâches et on fait sortir nos enfants des crèches. Les agents du NKVD nous ont pris nos enfants et nous ne les avons jamais revus ».

Envoyés vers différents orphelinats, ces enfants ne reverront jamais leurs parents. Certaines mères tenteront d’écrire des lettres, certains enfants d’envoyer des mots. En vain.

Un documentaire poignant qui puise dans les mémoires de ces enfants devenus grands, et encore considérés aujourd’hui comme « les enfants du goulag ».

 

Retrouvez le documentaire "Les enfants du goulag", samedi 14 avril à minuit et dimanche 15 avril à 19h.

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