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Drogues en prison : 52% des détenus ont déjà consommé une substance illicite en prison

L’Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT) a publié ce lundi 6 mai, sa première enquête sur l’usage des drogues dans le milieu carcéral. Zoom sur des résultats inquiétants, qui « interrogent une éventuelle adaptation des politiques sanitaires en matière de prévention et de traitement des addictions à la réalité des consommations observées ».
Alexis Graillot

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Le rapport était très attendu et ses résultats ne manqueront sans doute pas de faire réagir. Loin de constituer un sanctuaire de la lutte antidrogue, les prisons ne sont pas épargnées de la consommation de drogues.

S’il souligne que, dans la plupart des cas, l’usage de ces substances est antérieur à la détention, la continuité de ces usages dans le milieu carcéral questionne les politiques de prévention menées par les pouvoirs publics en la matière.

Prévalence plus importante du tabac et du cannabis

Se focalisant sur l’usage de 7 substances psychoactives (tabac, alcool, cannabis, cocaïne, crack, ecstasy), le rapport montre que « près de 4 détenus sur 5 (77 %) ont déjà consommé au moins une fois l’un de ces produits au cours de leur détention », une exposition jugée « importante » par les chercheurs.

Ce faisant, alors que l’acquisition et l’usage du tabac en prison ne sont en eux-mêmes pas illégaux, 73 % des détenus déclarant y avoir déjà eu recours en détention, cela n’est pas le cas pour les autres substances mentionnées ci-dessus. Pourtant, « plus de la moitié des détenus (52 %) a consommé au moins une fois une autre substance ». Ainsi, 49 % déclarent avoir déjà consommé du cannabis et 16 % de l’alcool. Concernant les drogues dures, leur usage est plus limité, même s’il n’est quantitativement pas négligeable : de cette manière, plus d’un détenu sur 8 (13 %) a déjà consommé de la cocaïne, un chiffre largement supérieur au crack (6.2 %), l’ecstasy (5.4 %) et l’héroïne (5.1 %).

« Plus d’un détenu sur quatre consomme quotidiennement du cannabis »

Le rapport s’intéresse également à la consommation quotidienne des détenus. De manière générale, la prévalence quotidienne est étroitement liée à la prévalence occasionnelle. De fait, plus de 3 détenus sur 5 (63 %) déclarent avoir un tabagisme quotidien. Ce chiffre dépasse de loin toutes les prévalences quotidiennes des autres substances, qui s’expliquent largement par le caractère illicite de ces dernières… ce qui n’empêche cependant pas des données inquiétantes concernant la consommation quotidienne de l’une d’entre elles, à savoir le cannabis.

Ainsi, plus d’un détenu sur 4 en consomme quotidiennement. Pour les autres substances, leur usage quotidien ou fréquent reste relativement marginal, ne dépassant pas 4 %.

Les plus jeunes, plus exposés

De manière générale, on observe que les plus jeunes (18-34 ans) sont plus exposés aux usages des substances étudiées.

Ainsi, plus de 3 détenus sur 5 (63 %) déclarent consommer quotidiennement du tabac, un chiffre 14 points plus élevé pour les plus jeunes (69 %) que les 35 ans et plus (55 %). Même constat sur le cannabis, où l’usage quotidien chez les plus jeunes est 2.5 fois plus important que leurs aînés (35 % contre 15 %), même si l’écart en valeur absolue au regard de leur usage occasionnel est similaire, à hauteur d’une vingtaine de points (57 % contre 39 %). Une observation similaire peut être faite pour l’alcool (5.2 % contre 2.7 %), ce qui n’est pas le cas pour les drogues plus dures où les données sont relativement similaires entre les deux catégories d’âge.

« Une continuité des usages »

Cette prévalence relativement importante des substances psychoactives s’explique largement, selon le rapport, par des consommations antérieures plus élevées qu’en population générale. L’étude s’est ainsi focalisée sur la répartition des fréquences de consommation de cannabis pendant la détention en fonction des fréquences de consommation avant la détention.

Parmi les 25 % de détenus qui déclaraient une consommation régulière du cannabis avant leur entrée en prison, 59 % d’entre eux poursuivent cet usage quotidien lors de leur incarcération, pour seulement 12 % l’ayant arrêté totalement. Pour les 17 % ayant consommé du cannabis de manière mensuelle, son usage est devenu quotidien pour près de la moitié d’entre eux (48 %), mais s’est en revanche arrêté pour presque un quart des détenus (24 %).

Sans doute plus rassurant, rares sont les détenus qui consomment du cannabis depuis leur incarcération. Sur les 43 % qui ne consommaient jamais de cannabis avant leur entrée en détention, quasiment la totalité d’entre eux (92 %) n’en utilise pas non plus en prison. Inversement, seulement 3.7 % d’entre eux ont totalement basculé dans cette drogue, passant d’un usage inexistant à un usage quotidien.

« Intensifier les actions déjà menées en prison »

Si les chercheurs ne se veulent pas alarmistes sur les données chiffrées, ils invitent en revanche à surveiller de très près, une prévalence loin d’être marginale, et qui ne peut être résumée à une catégorie spécifique de population : « Les résultats de l’enquête ESSPRI témoignent d’une exposition importante aux substances psychoactives chez les détenus hommes majeurs en France hexagonale, toutes durées de peine confondues, quel que soit le type d’établissement et le statut pénal », expliquent-ils, appelant de leurs vœux à « une éventuelle adaptation des politiques sanitaires en matière de prévention et de traitement des addictions à la réalité des consommations observées ».

A ce titre, le rapport met un accent tout particulier sur le tabac, alors que la mortalité liée à celui-ci « reste la première cause de mortalité évitable chez les adultes », qui « invite les politiques publiques à intensifier les actions déjà menées en prison ».

En revanche, l’étude pointe une diminution encourageante des pratiques d’injection intraveineuses, tout en évoquant un point d’inquiétude sur le cannabis : « La prévalence très élevée de l’usage quotidien du cannabis en prison nécessite de renforcer les actions de prise en charge thérapeutique de la dépendance à cette substance ».

Enfin, les chercheurs se montrent cependant alarmistes sur la (non-) qualité de vie des détenus en prison, qui alimentent l’usage de ces substances psychotiques : « Ces niveaux de consommation en prison s’inscrivent dans un contexte plus général, marqué par des conditions de vie dégradées, une surpopulation carcérale endémique en maison d’arrêt et une santé mentale fragile pour une majorité de personnes détenues », détaillent-ils.

Une seconde étude doit suivre, courant 2025, pour élargir son champ d’action aux femmes détenues.

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