Droit d’asile, entre bienveillance et respect de la loi

Droit d’asile, entre bienveillance et respect de la loi

Les demandes d'asile sont de plus en plus nombreuses en France. En 2016, plus de 85 000 demandes ont été déposées, 10 000 de plus qu'il y a trois ans. Elles sont examinées par une administration indépendante, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), qui décide d'accorder ou non la protection. Pierre-Nicolas Durand s'est plongé pendant cinq mois dans le quotidien des officiers de protection de l'OFPRA. Il en a tiré un film, « Officiers du droit d'asile ». Il nous raconte.
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Comment est née l’idée de ce film ?

Pierre-Nicolas Durand : Ce film est né de ma rencontre avec Pascal Brice le directeur général de l’Ofpra qui m’a invité à venir voir comment ça se passe à l’Office. Il m’a dit « je vous donne carte blanche, venez pendant une semaine ». Ça c’était en juillet 2015. J’y suis resté une semaine, mais au bout d’une heure j’ai compris qu’il y avait vraiment un film à faire sur les officiers de protection de l’Ofpra car c’est vraiment un métier à part et plein de surprises.

 

Vous avez donc filmé les officiers de protection de l’Ofpra. Vous n’avez pas suivi le parcours d’un demandeur d’asile en particulier, on ne les voit pas même à visage découvert dans votre documentaire, pourquoi ce parti pris ?

P.-N. D. : Ce qui m’intéressait au départ c’était le service public du droit d’asile. Il y a beaucoup de films sur les réfugiés, mais je n'avais jamais vu un film sur le service public du droit d’asile, sur les fonctionnaires qui font ce métier-là, qui accueillent les gens et décident, oui ou non, de donner une protection. Dès le départ, c’était clair que c’était un film sur ce métier, sur ces jeunes Français qui font ce métier.
Et ensuite il y a une contrainte qui s’est ajoutée : je n’avais pas le droit de filmer les demandeurs d’asile ou de mettre trop de détails qui permettraient de les identifier, ni de filmer les interprètes. Ça faisait parti du deal avec l’Ofpra. En échange j’avais une liberté quasiment totale. Il y a eu cinq mois tournage mais ma présence là-bas a été beaucoup plus longue, j’ai vraiment passé beaucoup de temps avec les officiers de protection pour comprendre ce qu’ils faisaient, leur état d’esprit et le poids du métier sur leurs épaules.

 

un officier de protection de l'Ofpra à son bureau

Qu’est ce qui se cache derrière ce titre d’ « officier de protection » à l’Ofpra ? Comment décririez-vous ce métier et ces individus que vous vous êtes attaché à montrer dans votre film ?

P.-N. D. : Au fond, les officiers de protection n’ont qu’une envie, c’est de donner une protection aux demandeurs d’asile. Au fond d’eux, ils passent une bonne journée quand ils protègent les gens. Mais il y a la convention de Genève, les lois européennes… et ils sont là pour faire respecter la loi. Donc ils ont de la bienveillance, et en même temps, ils sont là pour faire respecter la loi. Et tout le problème c’est qu’on peut avoir d’excellentes raisons de quitter son pays et de venir en France mais ce n’est pas pour ça que l’on remplit les critères du statut de réfugié. Pour ça, il faut être vraiment opprimé en raison de son orientation sexuelle, de son engagement politique etc. C’est un vrai problème moral qui repose sur les épaules des officiers de protection.

 

Comment se déroulent les entretiens avec les demandeurs d’asile ?

P.-N. D. : La première fois que j’ai assisté à un entretien il a duré 3h et je suis ressorti vraiment épuisé alors que je n’avais fait que prendre des notes ! Les officiers de protection vérifient si les demandeurs d’asile rentrent dans les critères. Parfois ils vérifient aussi s’ils viennent vraiment des endroits dont ils parlent, parce qu’il y a des gens qui sont Pakistanais et qui se font passer pour des Afghans. Donc il faut savoir si leur village en Afghanistan ils le connaissent bien. Ce qui est incroyable, c’est qu’il y a chez les officiers de protection des spécialistes de l’Afghanistan qui connaissent le cours des ruisseaux et l’emplacement de la madrassa par rapport à celui de la gare routière, alors qu’ils n’ont jamais mis les pieds en Afghanistan ! Donc c’est quand même assez dur pour des demandeurs d’asile qui mentiraient de passer entre les mailles du filet.
Les entretiens peuvent durer 45 minutes, mais aussi durer 3 ou 4h et il peut y avoir un 2e entretien si c’est nécessaire. Le côté très professionnel et rigoureux des entretiens est assez impressionnant à voir. Et d’un autre côté, parfois il y a de l’humour, des bons moments, des sourires, des rires, de la douceur. Il y a aussi des moments très émouvants. Beaucoup de gens pleurent en entretien, car ils racontent le décès de leur famille, l’exil forcé etc. donc il y a des moments très difficiles. Je pense que c’est un métier très éreintant.
Il était important pour moi de montrer que c’est un travail quotidien, et qu’au quotidien, on entend parler de camp de réfugiés, d’excision, de mariages forcés… tous les jours. Si les officiers de protection ne se détachent pas de ça, ils ne peuvent pas tenir le choc.

 

Retrouvez le documentaire de Pierre-Nicolas Durand, « Officiers du droit d'asile »​ sur Public Sénat le samedi 30 septembre à 23h30.

Bande-annonce : Officiers du droit d'asile - Documentaire
00:53

 

 

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