« Depuis que je suis engagé, dans la vie, en l’occurrence, dans le syndicalisme étudiant, dans le monde associatif, politique, il y a un certain nombre de combats qui me tiennent à cœur » confesse Hussein Bourgi. « L’égalité femme homme, la transmission de la mémoire en fait partie et le combat pour les droits des personnes LGBT en fait partie aussi. Et donc finalement je me suis toujours intéressé aux populations marginalisées. »
« Sales PD »
Nous suivons Hussein Bourgi au Pride, un bar « gay friendly » du centre-ville de Nîmes. En novembre 2024, cet établissement a été la cible d’une agression à caractère homophobe, au moment de la fermeture. « Il restait un ou deux clients, le DJ avec son mari, quand tout à coup, trois personnes arrivent de la rue de la Fresque, et ils tapent sur la vitre en disant « sales PD, ah les PD » raconte, encore bouleversé, Sébastien Delabeye, co-gérant du bar « Le Pride » avec Philippe Di Lenardo, son mari.
« Philippe avait la gueule en sang »
Alors que la situation s’envenime dans l’établissement, Philippe tente de s’interposer mais il est roué de coups et blessé à l’arcade sourcilière. « A un moment j’ai réussi à en maintenir un, en le couchant sur le sol, mais il continuait à me taper. Il était coincé au sol, mais il me tapait dessus » se souvient-il, photos sur son téléphone portable à l’appui. Son conjoint, Sébastien, confirme la très grande violence de la scène : « Il y avait un mec qui était là devant Philippe, qui lui tapait dans le ventre, l’autre était là avec son couteau et lui disait « je vais te planter sale pédale ». Philippe avait la gueule en sang… »
Violence gratuite
Cette situation a révolté Hussein Bourgi, qui dénonce les ravages d’une « homophobie bête et méchante. » « Ces gens, ils passaient par là, ils n’étaient pas venus nécessairement pour voler, pour piquer quelque chose, mais pour se défouler. » ajoute-t-il, déplorant ce déferlement de « violence gratuite » ciblant les personnes LGBT.
Une agression homophobe reconnue à retardement
Si le caractère homophobe de l’agression, confirmé par plusieurs témoins présents au Pride, ne fait aucun doute, le parquet de Nîmes a mis près de deux mois à le reconnaître, comme le rappelle Cyril Caron, avocat des gérants du bar, devant le sénateur. « Le principal problème de cette histoire, c’est que la circonstance aggravante de violences commises en raison de l’orientation sexuelle des victimes, n’avait pas été reconnue » explique-t-il. « Or, le dossier, reflétait, dans son caractère principal, des mots, des insultes, des menaces et des paroles proférées, qui sont clairement homophobes. Ces paroles précèdent, accompagnent et suivent les violences. Donc on est exactement dans les termes de l’aggravation prévue par la loi. »
L’homophobie, punie par la loi depuis 2004
Hussein Bourgi rappelle que depuis le 30 décembre 2004, les actes homophobes, injures, ou agressions, sont punis par la loi au même titre que le racisme et les autres discriminations. Mais les magistrats ne semblent pourtant pas systématiquement qualifier les faits ainsi, comme l’explique le sénateur. « Ce n’est pas parce que la loi a été votée, ce n’est pas parce qu’elle existe, que la loi est systématiquement mise en œuvre, qu’elle est nécessairement connue, et donc mon rôle aujourd’hui, c’est de dire aux associations, aux victimes, qu’il existe des outils, à vous de vous en saisir, à vous de vous en servir. »
« Aujourd’hui, on ne peut toujours pas vivre son homosexualité normalement »
Les agresseurs de Philippe et Sébastien encourent jusqu’à 3 ans de prison. Le procès se tiendra à Nîmes en septembre prochain. Quelle qu’en soit l’issue, cette histoire révèle un climat ambiant délétère pour les personnes LGBT + en France, toujours la cible d’agressions et de discriminations en raison de leur orientation sexuelle. L’année dernière, selon les chiffres de l’association SOS Homophobie, 186 agressions physiques ont été recensées contre des personnes LGBT +. Et l’avocat du Pride, Cyril Caron, de faire ce constat : « Aujourd’hui en 2025 on ne peut pas vivre son homosexualité de manière normale et qu’il y a toujours matière à redire, et vous avez toujours ce risque d’être agressé, ou d’être pointé du doigt. Et ça c’est insupportable. »
Une persécution d’Etat
Si, encore aujourd’hui, il faut batailler pour la reconnaissance des droits des personnes LGBT, Hussein Bourgi n’oublie pas la longue histoire des persécutions dont ont été victimes les homosexuels par le passé. Une persécution d’Etat, orchestrée par une loi votée sous le régime de Vichy en 1942, maintenue après-guerre, jusqu’à son abrogation en 1982. L’homosexualité était alors un délit et considérée comme un « fléau social ». Pour ne pas tomber sous le coup de la loi, la seule option était de vivre dans la clandestinité.
Michel Chomarat, activiste emblématique
A Lyon, un homme se souvient de cette période mieux que quiconque. Il s’agit de Michel Chomarat, 76 ans aujourd’hui. Il se définit lui-même comme un « activiste gay ». Il est l’un des derniers condamnés pour homosexualité en France. Ce jour de juin, il reçoit Hussein Bourgi dans le fonds d’archives de la Bibliothèque municipale de Lyon qui porte son nom : le Fonds Chomarat. Ces archives, très vastes, contiennent des milliers de livres, coupures de presse, objets en tous genres. Ce fonds est le premier fonds d’archives consacré à la mémoire des personnes LGBT en France. Pour son instigateur, c’est une fierté qu’une institution publique de renom veille aujourd’hui sur son trésor. « Parce que la mémoire LGBT + sinon, elle est gérée par des assos, ou par des personnes individuelles » fait-il remarquer. « Donc sans pérennité, et sans moyens financiers, sans rien. Et surtout, ce n’est pas scientifique ! »
Le fonds Chomarat, « la mémoire des homosexuels français »
« Donc, le fonds Michel Chomarat c’est l’histoire et la mémoire des homosexuels français. Et c’est une partie de l’histoire de la France aussi », complète Hussein Bourgi, en déambulant au milieu des impressionnants rayonnages. Le sénateur connaît bien Michel Chomarat. Les deux hommes sont liés par une amitié de plus de vingt ans. Dans ces archives, les deux hommes nous guident vers une affaire, particulièrement emblématique de cette discrimination d’Etat, dont les gays ont été victimes avant la dépénalisation : l’affaire dite du Manhattan.
« Les PD, on les aime morts, ou dans les placards »
« Le Manhattan, moi j’appelle ça un bordel. Il faut appeler les choses par leur nom. C’était un lieu de rencontre gay. Très discret, absolument discret, aucune signalétique à l’extérieur, il fallait avoir un judas, et un dress code. Plutôt YMCA vous voyez. Parce ce que ce qu’il faut dire en filigrane, c’est que les PD, on les aime morts, ou dans les placards » relate, très directement, Michel Chomarat. « On était interdits dans l’espace public, on avait tendance à se replier dans des lieux plus ou moins clos, discrets, secrets, et même là on était persécutés !
« Tu pouvais perdre ton emploi, ton appart »
Ce soir de 1977, Michel Chomarat a 29 ans. Alors qu’il profite des backrooms du Manhattan, la police en civil, infiltrée dans le lieu, met soudainement fin à la fête. Les deux gérants du bar et 8 clients dont lui, sont embarqués au 36 Quai des orfèvres et sont soumis à un interrogatoire. Michel et ses compagnons d’infortune sont inculpés. Jugés et condamnés l’année suivante pour outrage public à la pudeur. Mais fait rare pour l’époque, certains dont lui, feront appel. Pour la première fois, des homosexuels refusent de faire acte de contrition. « Quand on était gay à l’époque, lorsqu’on était arrêtés, il fallait faire plus que profil bas. Tu pouvais perdre ton emploi, ton appart, certains étaient pères, mariés et avaient des enfants » raconte Michel Chomarat à Hussein Bourgi.
Dépénalisation de l’homosexualité en 1982
Après 3 ans de recours, Michel Chomarat est finalement condamné en cassation en 1981, à une amende d’environ 500 francs. Mais le procès du Manhattan, soutenu par des intellectuels de renom comme Michel Foucault ou Gilles Deleuze, très médiatisé, est devenu une tribune contre la répression des homosexuels et un marchepied vers la dépénalisation. Celle-ci a lieu en 1982, dans la foulée de l’élection de François Mitterrand.
Hussein Bourgi, artisan d’une proposition de loi pour la réparation des personnes LGBT condamnées
40 ans plus tard, des affaires comme celle du Manhattan ont poussé Hussein Bourgi à déposer, en 2022, une proposition de loi pour réhabiliter les personnes condamnées pour homosexualité en France. Selon les estimations, 10 000 personnes, majoritairement des hommes, auraient été condamnées au motif de leur homosexualité entre 1942 et 1982. Hussein Bourgi, avec son texte, entend faire reconnaître à la France une discrimination d’Etat commencée sous Vichy, et obtenir une réparation financière pour le préjudice subi.
Scénario joué d’avance
Nous le suivons lors de l’examen en deuxième lecture de sa proposition de loi au Sénat. Il ne se fait aucune illusion, le scénario est joué d’avance : la majorité sénatoriale de droite et du centre rejette le volet réparation financière, comme en première lecture, et met en avant la complexité juridique de sa mise en œuvre. Des arguties, pour Hussein Bourgi qui martèle que des dispositifs similaires ont été mis en œuvre dans d’autres pays européens, notamment en Allemagne ou au Royaume-Uni. Le texte est adopté au Sénat, mais dans une version tronquée, sans le volet réparation financière.
« En temps normal, j’aurais fait contre mauvaise fortune bon cœur, mais ce qui me contrarie, c’est l’horloge »
Hussein Bourgi comprend d’autant moins la position de la majorité sénatoriale alors que la droite, à l’Assemblée nationale, a adopté quelques mois plus tôt, sa proposition de loi en première lecture avec le volet réparation. « Je dirais qu’en temps normal, j’aurais fait contre mauvaise fortune bon cœur en disant finalement, ce sont les règles du jeu parlementaire » explique, déçu, le sénateur PS. « Mais aujourd’hui ce qui m’inquiète et me contrarie, c’est l’horloge, c’est la montre. Puisque vous le savez, les personnes auxquelles cette proposition de loi s’appliquerait, ce sont des hommes qui ont un certain âge et qui sont au crépuscule de leur vie. »
« Je pense qu’en démocratie, des principes doivent nous guider »
Le parlementaire reste déterminé quant à la suite du parcours législatif de son texte. « C’est un combat que je mène pour des principes », réaffirme le sénateur à Lyon, devant une poignée de militants venus l’écouter, lors d’une conférence conjointe avec l’activiste Michel Chomarat. « Je pense qu’en démocratie, des principes doivent nous guider : la quête de la vérité, la recherche de la justice, et la volonté de rendre leur dignité à ces hommes qui en ont été privés à l’occasion de ces procès. »
L’Assemblée nationale doit inscrire en seconde lecture son texte à l’ordre du jour. En attendant, le temps presse pour obtenir cette réparation tant espérée par Hussein Bourgi. Selon les estimations de référence, de deux sociologues, Régis Schlagdenhauffen et Jérôme Gauthier, le nombre de personnes encore vivantes et éligibles à la réparation financière sur la proposition de loi d’Hussein Bourgi, se situerait autour de 200.
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