Élisabeth Borne dévoile son plan de lutte contre les violences sur les mineurs : les sénateurs vigilants sur sa mise en oeuvre

Renforcement de l’Office des mineurs, création de postes de délégués départementaux, meilleur accompagnement des jeunes majeurs… Élisabeth Borne a présenté le nouveau plan du gouvernement contre les violences sur les mineurs. En parallèle, plusieurs élus appellent à une refonte de l’Aide sociale à l’enfance, dont le pilotage est laissé à la main des départements, ce qui peut générer des inégalités d’un territoire à l’autre.
Romain David

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La Première ministre Élisabeth Borne a présenté ce lundi, à l’occasion de la journée internationale des droits de l’enfant, les mesures du plan interministériel 2023-2027 contre les violences faites aux enfants. La cheffe du gouvernement a défendu « une stratégie de long terme », articulée autour de quatre axes d’action : un renforcement des moyens alloués aux services de protection, une meilleure coordination entre les départements et l’Etat, un volet dédié à la formation et à l’éducation et, enfin, un meilleur accompagnement du jeune majeur.

Ces annonces tombent quelques jours après la publication du rapport de la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise). Après trois ans de travaux, cette instance a présenté en fin de semaine dernière ses 82 propositions pour renforcer la lutte contre les violences sexuelles faites aux enfants.

Traquer la pédocriminalité en ligne

La Première ministre a annoncé une montée en puissance de l’Ofmin. Lancé au mois d’août, l’Office des mineurs est chargé de lutter contre les violences faites aux jeunes, notamment en traquant les prédateurs qui sévissent en ligne. Ce service compte actuellement une trentaine d’enquêteurs, leur nombre sera porté à 80 dans les prochains mois.

L’Ofmin reçoit en moyenne 700 signalements par jour à propos d’images ou de vidéo échangées sur Internet en France, et mettant en scène des abus sexuels de mineurs. Face à un tel volume, les équipes se concentrent sur les victimes les plus jeunes. La moyenne d’âge des cas traités par l’Ofmin est de 4 ans, selon les données présentées lundi matin à la Première ministre. « Nous sommes très en retard », souligne auprès de Public Sénat la sénatrice LR Marie Mercier qui a beaucoup travaillé, notamment, sur la pornographie en ligne. « Là où certains pays européens ont des centaines d’agents pour surveiller les écrans, nous n’en avons que quelques dizaines. Il est temps d’y mettre les moyens ! »

« Il faut se battre au niveau européen pour que les règlements protègent peut-être un peu moins la liberté individuelle, et un peu plus les forces de sécurité sur les questions qui touchent la pédophilie et la haine en ligne, et donc la diffusion d’images pédopornographiques », a commenté Gérald Darmanin, le ministre de l’Intérieur, ce lundi matin en marge d’une visite dans les locaux de l’ofmin. « Nous sommes un peu seuls en France, vis-à-vis des autres pays européens, à tenir ce discours mais je pense que c’est important. »

Par ailleurs, Élisabeth Borne a annoncé un renforcement des équipes d’écoute du 119, numéro joignable 24/24 dédié à la prévention et à la protection des enfants en danger, et de celles de la cellule Signal-Sports sur le signalement des actes de violence à caractère sexuel dans le sport.

L’Aide sociale à l’enfance en surchauffe ?

La question du rôle de l’Aide sociale à l’enfance s’est récemment invitée dans les débats parlementaires, à l’occasion de l’examen du projet de loi immigration au Sénat. Sous l’angle des mineurs isolés étrangers, plusieurs élus de droite ont interpellé le gouvernement sur la saturation des services dans certains départements, notamment les Alpes-Maritimes, réclamant une reprise en main par l’Etat, l’ASE étant actuellement placée sous l’autorité du conseil départemental. Directement interpellée par les collectivités sur ce dossier brûlant, à l’occasion des Assises des départements de France le 10 novembre, Élisabeth Borne avait promis une « mobilisation générale pour l’enfance protégée ».

« Faut-il recentraliser ou non ? Le débat a émergé il y a quelque temps déjà. Certains, jusque dans les rangs de la majorité présidentielle, y sont favorables. Personnellement, je ne pense pas que la recentralisation soit la solution. L’Etat est loin de s’acquitter de ses missions à la perfection, et je ne pense pas qu’il y ait beaucoup de monde pour regretter la DDASS », pointe Laurence Rossignol, ancienne ministre des Familles, de l’Enfance et des Droits des Femmes sous François Hollande. « En revanche, la très grande marge de manœuvre laissée aux départements génère beaucoup d’inégalités, car vous avez de bon et de mauvais élèves. Si bien qu’en matière de protection de l’enfance, les annonces du gouvernement doivent être réévaluées à l’aune de la bonne volonté des départements ».

Sur ce dossier, le gouvernement va lancer une expérimentation, avec la création de dix postes de délégués départementaux dédiés aux pilotages de la protection de l’enfance. Destinés à faciliter les échanges entre l’Etat et les conseils départementaux, ils seront « les interlocuteurs privilégiés » de ces derniers, selon la formule de la Première ministre. « Une bonne mesure », pour Laurence Rossignol, « si cela permet de lisser les choses, et de faciliter la coordination des différents énervants, entre le département, les associations et la justice ».

Mieux préparer l’entrée dans la vie d’adulte

Autre mesure dévoilée par l’exécutif : la création d’un « pack autonomie jeune majeur », destiné à accompagner les jeunes adultes qui ne peuvent plus prétendre à l’ASE. Il comprendra notamment une aide financière « coup de pouce » de 1 500 euros, automatiquement versée à la majorité. Une initiative que salue Marie Mercier : « Faire sortir les jeunes du système à 18 ans et un jour… Il n’y avait aucune humanité là-dedans ». En revanche, la sénatrice centriste Dominique Vérien, présidente de la délégation aux droits des femmes à la Chambre haute, se montre plus dubitative. « J’aurais préféré que cette somme serve, par exemple, à revaloriser le salaire des éducateurs et à s’assurer que le suivi des jeunes leur offre une véritable égalité des chances. Car une fois qu’ils auront dépensé cette aide, au bout de quelques mois, que feront-ils ? »

Apprendre à repérer les signaux de maltraitance

Un plan de formation interministériel va être lancé. Il sera consacré au repérage de « toutes les formes de violences » et concernera les agents des différents ministères, les magistrats, les professionnels de l’enfance et les soignants. « Il est nécessaire d’éduquer nos enfants sur leurs droits », a encore estimé Élisabeth Borne. À cette fin, les cours d’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle seront renforcés. Depuis 2001, les établissements scolaires, de l’école primaire jusqu’au lycée ont théoriquement l’obligation d’y consacrer trois séances par an.

« Il faut laisser les associations habilitées rentrer dans les écoles. Avec ce genre de choses toutes simples, on s’éviterait tellement de problèmes par la suite », plaide pour sa part Marie Mercier. De son côté, Laurence Rossignol déplore « un manque sur le statut du personnel socio-éducatif ». Elle rappelle que le secteur est miné par un manque d’attractivité et l’important « turnover » des professionnels.

Autre angle mort pointé par les sénatrices : l’absence d’annonces autour de l’exposition des plus jeunes à la pornographie en ligne, l’un de ses grands chevaux de bataille de Marie Mercier. « Lorsque les enfants sont exposés à cela, ils sont cabossés à vie. L’adulte que l’on devient dépend de l’enfant que l’on a été », explique l’élue.

En partie inspirée des travaux du Sénat, la loi du 30 juillet 2020 permet à l’Arcom d’obtenir auprès du ministère public le blocage des plateformes qui ne restreignent pas l’accès de leurs contenus aux mineurs. Mais le tribunal de Paris a préféré suspendre sa décision dans le premier dossier qui lui a été soumis par l’autorité de régulation. En effet, l’un des éditeurs de site pornographique assignés s’est tourné vers le Conseil d’Etat pour contester le pouvoir de l’Arcom de demander le blocage d’un site internet. La décision des sages pourrait venir percuter un autre texte, le projet de loi visant à sécuriser et réguler l’espace numérique, dit projet de loi « SREN », qui renforce un peu plus la marge d’action de l’Arcom, et sur lequel le Parlement planche encore. « La législation est considérée comme une usine à gaz qui permet aux plateformes de trouver des brèches », concède Laurence Rossignol qui appelle le gouvernement à faire montre « de volonté politique » sur le sujet.

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