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Emeutes après la mort de Nahel : « La violence fait exister ces quartiers et leurs habitants, mais d’une façon négative et stigmatisante  »

Dans le cadre de la commission d’enquête sur les émeutes survenues après la mort du jeune Nahel, les sénateurs ont auditionné quatre sociologues. L’objectif de la commission d’enquête est de déterminer la nature et les causes des événements survenus après la mort de Nahel en juin dernier.
Henri Clavier

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« On veut essayer d’avoir une approche multifactorielle pour comprendre ce qu’il s’est passé et éventuellement proposer une évolution législative », affirme le président de la commission des lois, François-Noël Buffet (LR) en ouverture de l’audition. Pour rappel, après la mort de Nahel, un adolescent de 17 ans tué par un policier, le 27 juin à Nanterre, la France avait connu six jours d’émeutes sur l’ensemble du territoire y compris dans des villes petites et moyennes.

Cette deuxième audition de sociologues permet notamment de mettre en lumière les dynamiques sociales qui traversent les quartiers à l’origine des émeutes et des révoltes urbaines. A travers leurs prises de parole, les intervenants ont tenu à remettre en cause certaines idées reçues sur la nature des événements, notamment sur la question de la nouveauté du phénomène.

« On est dans une forme de grande continuité, les émeutes résultent souvent d’un élément déclencheur comme une altercation entre la police et un jeune »

« Ce qui me paraît frappant, c’est le sentiment de nouveauté qui a été exprimé, ce phénomène n’est pas nouveau », tranche directement Antoine Jardin, politiste et ingénieur de recherche CNRS au Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (CESDIP). Pour ce chercheur, présenter les émeutes et révoltes de juin 2023 comme un phénomène totalement nouveau revient à nier la réalité dans la mesure où les émeutes de 2005 connaissaient les mêmes causes que celles de 2023. « Au cours des dix dernières années, j’étais toujours très surpris de voir combien la mémoire des émeutes de 2005 était passée à quelque chose d’historique, appartenant au passé », poursuit Antoine Jardin. Ce dernier avance que la persistance d’une dynamique de marginalisation de certains quartiers explique les événements. Un constat partagé par François Dubet, sociologue et ancien directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) qui considère que depuis les années 1980, la mobilité sociale « joue contre le quartier » et contribue à la marginalisation croissante de ces espaces. « Au fond, dans ces quartiers, tous ceux qui s’en sortent quittent le quartier, il y a une mobilité sociale qui joue contre les quartiers. Dans les années 80, dans les banlieues rouges, il y avait des classes moyennes, de la mixité sociale. Aujourd’hui, ceux qui partent sont remplacés par des gens de plus en plus pauvres et qui viennent de plus en plus loin », argumente François Dubet.

« On est dans une forme de grande continuité, les émeutes résultent souvent d’un élément déclencheur comme une altercation entre la police et un jeune qui va créer une déstabilisation du quartier », abonde Bruno Domingo, politiste et maître de conférences à l’université Toulouse 1 Capitole. Ce dernier évoque tout de même un « phénomène qui alterne entre des formes de continuité et des nouveautés » en s’appuyant notamment sur la diffusion relativement inédite du mouvement et ses conséquences sur celui-ci. Parmi ces éléments, l’universitaire évoque l’utilisation des réseaux sociaux qui « permet aux jeunes de produire leurs propres images de l’émeute ».

Une hétérogénéité qui complique l’analyse du phénomène

Bien que les événements s’inscrivent dans une forme de continuité et dans une dynamique continue de marginalisation de certains quartiers, l’analyse du phénomène requiert de la nuance pour comprendre les moteurs d’un mouvement dont les actions et les participants sont hétérogènes. Pour François Domingo, « les émeutes sont, en réalité, plus composites qu’on ne veut le croire ». Ce dernier rapporte également que l’on observe « qu’au fur et à mesure de sa diffusion, le mouvement devient de plus en plus hétérogène », évoquant une forme de contagion du mouvement à des groupes sociaux variés. « Il y a des différences de nature, de pratique et de répertoire d’action qui questionnent l’uniformité du phénomène. Le profil sociologique des participants dans les Hauts-de-Seine (où Nahel a été tué) diffère de ceux qui se sont rendus dans les centres-villes pour piller », explique Antoine Jardin. Concrètement, la diffusion du mouvement a également participé à une diversification des participants et des motifs de participation puisque « certains groupes ont aussi été présents par opportunisme », précise Antoine Jardin.

Souvent qualifiés d’émeutes, les événements survenus après la mort de Nahel revêtent des formes hétérogènes. « Ce sont à la fois des révoltes par leur signification et des émeutes par leur mode d’action », juge François Dubet. Par ailleurs, François Dubet pointe la difficulté pour « une révolte de se transformer en mouvement social et en revendication » alors même que c’est une « logique au cœur des mécanismes démocratiques ». Une tension qui alimente le recours à la violence et à la conflictualité pour des quartiers marginalisés dont l’expression de revendications politiques s’avère particulièrement compliquée.

La violence s’exprime donc régulièrement contre des symboles de l’Etat. Selon François Dubet, la marginalisation continue des quartiers entraîne une « situation de défiance entre un groupe et une institution ». Une défiance renforcée par le fait que « l’école ne tient pas ses promesses républicaines et donc elle fait l’objet d’un ressentiment considérable, il y a un moment où l’échec scolaire devient votre identité contre l’école », développe François Dubet.

Une logique qui régit également les rapports entre certains habitants des quartiers marginalisés et la police. Bruno Domingo évoque, entre autres, le problème des « polices municipales qui sont souvent dans une forme de mimétisme institutionnel sur le plan culturel et des modes d’action avec la police nationale » et appelle à « repenser le rôle des polices locales ».

« L’enjeu est de réussir à trouver des canaux de désaccord et d’affrontement politique qui ne passe pas par la violence »

Unanimement, les intervenants perçoivent les événements survenus après la mort de Nahel comme un moyen d’expression politique pour des quartiers marginalisés qui ne peuvent pas s’appuyer, en temps normal, sur des relais politiques dans leurs quartiers. Pour expliquer cette situation, François Dubet évoque un « mécanisme de ghetto » qui consiste à une coupure des liens du quartier avec l’extérieur. « Cette question de la violence donne une existence politique aux quartiers marginalisés, finalement la violence fait exister ces quartiers et leurs habitants, mais d’une façon négative et stigmatisante », rapporte Antoine Jardin qui précise « qu’en l’absence de violence il y a moins d’intérêt » pour ces quartiers. Pour ce chercheur du CNRS, le recours à la violence est lié à des rapports politiques dysfonctionnels entre les différents groupes sociaux et les institutions et à ce titre, on observe « une violence de plus en plus présente dans les conflits sociaux et les mouvements sociaux où la violence était une facette du rapport politique en l’absence d’autres relais politiques et institutionnels ». Antoine Jardin s’appuie notamment sur des exemples récents comme les revendications écologistes ou le mouvement d’opposition à la réforme des retraites. Ainsi, « l’enjeu est de réussir à trouver des canaux de désaccord et d’affrontement politique qui ne passe pas par la violence », poursuit Antoine Jardin.

« Pour saisir ce qu’il se passe, il faut porter une attention particulière à la relation des habitants aux institutions. On cherche un événement pour susciter la parole », abonde Denis Merklen, sociologue et professeur à l’université Sorbonne Nouvelle. Alors que les émeutes et révoltes sont apparues dans les quartiers les plus marginalisés, « la mort de Nahel renvoie à une question politique, c’est notre capacité politique qui est interrogée à travers ces émeutes », tranche François Domingo.

Le paradoxe du rapport à l’Etat

Le recours à l’émeute comme moyen d’expression politique fait apparaître, dans le cas de la France, un paradoxe qui est le rapport des quartiers marginalisés à l’Etat et à la puissance publique. « En France, ce qui caractérise la vie des quartiers populaires, c’est l’omniprésence de l’Etat », explique Denis Merklen qui en fait une spécificité par rapport à d’autres pays où les quartiers marginalisés sont totalement abandonnés. Or, en France, la présence de l’Etat est toujours visible, notamment par la présence des logements sociaux, des transports, des infrastructures sportives ou culturelles. En juin 2023, le ciblage de bâtiments publics dans les quartiers marginalisés avait suscité l’incompréhension et la confusion. « Les problèmes [des quartiers] ne trouvent pas de solution dans la solidarité locale ou le marché, donc la conflictualité est directement politisée. Il y a un face-à-face qui se produit entre les habitants et les agents publics qui sont mis par l’Etat au cœur d’une conflictualité qui trouve souvent ses causes ailleurs, il n’est pas étonnant que le conflit prenne les institutions comme cible », explique Denis Merklen. « La présence institutionnelle est à la fois le salut et le problème », pointe Denis Merklen.

Selon François Dubet, la marginalisation continue des quartiers entraîne une « situation de défiance entre un groupe et une institution ». Une défiance renforcée par le fait que « l’école ne tient pas ses promesses républicaines et donc elle fait l’objet d’un ressentiment considérable, il y a un moment où l’échec scolaire devient votre identité contre l’école », développe François Dubet.

Une logique qui régit également les rapports entre certains habitants des quartiers marginalisés et la police. Bruno Domingo évoque, entre autres, le problème des « polices municipales qui sont souvent dans une forme de mimétisme institutionnel sur le plan culturel et des modes d’action avec la police nationale » et appelle à « repenser le rôle des polices locales ».

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