Enfance en danger : « Imaginez ceux qui ont leur bourreau 24H/24 dans la pièce »
Le nombre d’appels au 119, le numéro de signalement de l’enfance en danger, a fortement augmenté depuis le début du confinement. Une hausse « très inquiétante » selon les sénateurs de la Délégation aux droits des femmes qui auditionnaient, jeudi 16 avril, le secrétaire d’Etat chargé de la protection de l’enfance, Adrien Taquet.
« Ces chiffres m’inquiètent énormément », lance Annick Billon. « Et en plus, ces chiffres ne prennent pas en compte toute une frange de la population, comme les petits enfants… Je suis extrêmement inquiète », répète encore la présidente centriste de la Délégation sénatoriale aux droits des femmes.
Photo de Céline Boulay-Esperonnier, une des sénatrices de la délégation qui auditionnait Adrien Taquet.
La veille, le secrétaire d’Etat à l’enfance Adrien Taquet a fait un bilan du premier mois de confinement par visioconférence avec les sénateurs.
Au cours des trois premières semaines de mars, le nombre d’appels au 119, le Service National d’Accueil Téléphonique pour l’Enfance en Danger a augmenté de 20%. Pour la première semaine du mois d’avril, le ministère a constaté une hausse de 50% des appels.
Annick Billon analyse : « C’est aussi un changement de comportement, un changement de regard. On note une hausse de 30% des signalements pas les voisins et de 36 % par les camarades de classe. Il n’y avait pas de culture du signalement, la population hésite moins c’est une bonne chose », nuance l’élue de Vendée.
« Ce chiffre ne m’étonne pas beaucoup. Sur les violences faites aux femmes, on retrouve les mêmes données » note de son côté Michelle Meunier, sénatrice PS de la Loire-Atlantique.
Le confinement, une double punition pour les enfants placés
Les sénatrices redoutent particulièrement les effets du confinement pour les enfants qui avaient été placés et qui ont dû retourner dans leur famille. Depuis un mois, une grande majorité des centres qui accueillaient ces enfants a fermé. « Il y a eu la fermeture brutale de certains foyers. A partir du moment où on ferme les structures d’accueil, on renvoie les enfants dans les familles alors qu’il y a avait une démarche pour sortir de situations de danger. »
« Le premier recours a été le retour aux familles », ajoute Michelle Meunier, « y compris pour les enfants dont les parents sont soignés pour troubles psychiques. Il y a des enfants qui sont avec ces parents là et, en dehors de ce contexte de confinement, ils auraient été placés », s’alarme l’élue socialiste.
50% de suivis en moins
Récemment, les professionnels de l’ASE, l’Aide sociale à l’Enfance, se sont émus de leur impuissance. Depuis un mois, c’est la moitié des suivis dans les familles qui auraient été suspendus. Selon Annick Billon : « Le ministre a fixé comme priorité absolue la reprise des visites à domicile de l’ASE dans les foyers considérés comme les plus à risque, alors même que le confinement a eu pour conséquence, dans certains départements, l’arrêt de ces visites, mettant certains enfants en danger. »
Elle ajoute : « Il faut que les éducateurs puissent se rendre avec les équipement nécessaires dans les familles. Il y a plus de la moitié des visites qui ont été arrêtées. Il faut que les visites reprennent pour protéger les enfants. C’est une des priorités du secrétaire d’Etat à l’enfance… »
Depuis un mois, l’accompagnement se fait souvent par téléphone ou visioconférence. « Ce n’est pas la même chose que lorsque vous vous rendez sur place. Il y a quelque chose qui ne passe pas par téléphone. Même avec toute l’énergie des ASE, il y a beaucoup de choses qui passent à travers les mailles du filet », explique la présidente de la Délégation.
Priorité donc à l’équipement des professionnels de la protection de l’enfance, afin qu’ils puissent reprendre leurs visites de terrain. « Sur mon département, toutes les mesures AME se font par téléphone », abonde Michelle Meunier, qui doute du chiffre de 50% de suivi maintenu. « Avec Adrien Taquet, les idées sont bonnes, les intentions aussi, mais sur le terrain concrètement c’est autre chose. Sur la questions des masques, clairement, la protection de l’enfance est la dernière roue de l’action sociale.Je connais des situations où les éducateurs se débrouillent eux-mêmes pour avoir du matériel de protection. Il y a un hiatus important entre la volonté nationale et la réalité de terrain. »
Ainsi la délégation de sénateurs entend surveiller via les réseaux associatifs et le maillage départemental l’évolution de la situation. Même chose pour les 500 000 euros en faveur des associations et des acteurs de terrain annoncés hier par Adrien Taquet. Les sénateurs s’interrogent sur les critères d’attribution de cette somme.
Son bourreau, en huis clos
Au lendemain de l’audition du secrétaire d’Etat, les sénateurs ne cachent pas leur inquiétude sur le constat d’après-crise. « Le retour à l’école et le retour dans les institutions va mettre en évidence des sévices physiques ou des troubles du comportement liés à des sévices psychologiques », s’alarme Michelle Meunier.
Selon Annick Billon, « cela va être comme une cocote minute que l’on ouvre. (...) Avec la sortie de confinement, on aura forcément le constat terrible de l’échec, de l'impuissance de l’Etat. La situation risque d’être dramatique. Il faudra accompagner les enfants qui ont connu un traumatisme… », s’émeut la sénatrice centriste.
« Imaginez, les enfants qui ont leur bourreau dans la pièce ou dans leur maison 24 heures sur 24, c’est compliqué » lance Michelle Meunier, avant de conclure : « Tout cela se fait en huis clos, un huis clos qu’il faut ouvrir. »
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