« Entre 10 et 30 % des patients ont une forme de covid long », alertent les experts

« Entre 10 et 30 % des patients ont une forme de covid long », alertent les experts

L’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) a auditionné jeudi 8 avril, patient et médecins travaillant sur le « covid long », maladie encore peu prise en compte. Tous conviennent de « l’urgence » à agir pour une meilleure reconnaissance de cette pathologie.
Public Sénat

Par Pierre Maurer

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C’est une conséquence encore mal connue de la crise sanitaire, un sujet particulièrement « sensible et mystérieux » : les individus atteints de « covid long », lorsque les symptômes de la maladie durent « plus d’un mois, voire plus de 6 mois ». L’OPECST s’est donc penché sur la question ce jeudi en convoquant un panel d’experts et de représentants de patients. Tous tirent la même conclusion : le covid long n’est pas encore assez pris en compte et la recherche devrait être intensifiée pour identifier son origine.

« 53 symptômes »

Sous la houlette du président de l’OPECST, le député Cédric Villani, la présidente d’une association de patients souffrant de covid long, Pauline Oustric, caractérise la maladie : « On parle souvent du covid pour dire qu’il y a des hospitalisations, des décès, mais il y a aussi tous les patients qui n’ont pas guéri. Ça a été reconnu par l’OMS et la HAS (Haute Autorité de la Santé). Les symptômes d’un covid long sont prolongés, fluctuants et multisystémiques. Ils touchent plusieurs organes et se sont développés pendant la phase aiguë, puis persistent après 4 semaines », décrypte-t-elle, répondant ainsi à une question de la sénatrice centriste Sonia de La Provôté.

L’ampleur des cas est importante. « L’OMS parlait de millions de patients en covid long : entre 10 et 30 % des patients l’ont eu », explique Pauline Oustric. Son association « AprèsJ20 » - « parce que l’on nous avait dit que l’on serait guéri après 20 jours » - regroupe environ 700 patients en France depuis octobre 2020. Elle a identifié près de « 53 symptômes » dont les plus fréquents sont « la fatigue terrassante, le brouillard mental, des maux de tête, la perte de mémoire… » Parmi les témoignages récupérés par l’association, les mêmes inquiétudes ressortent : les patients souffrants de covid long « ne se sentent pas écoutés et vivent un sentiment d’abandon ». Cette difficulté est remédiable par « la recherche », suggère Pauline Oustric, plaidant aussi pour un « gros travail » de communication. En sus, les patients souffrent d’un réel handicap physique dans leur quotidien au point que certains ne peuvent plus travailler ou ont perdu leur travail.

L’association propose donc d’accentuer les financements français pour la recherche sur la maladie, d’acter une reconnaissance concrète du covid long, de développer une communication globale au grand public et un parcours pluridisciplinaire mieux organisé pour les soins.

« Pas de lésions définitives »

Immunologue à l’hôpital Bicêtre, Nicolas Noël vient appuyer ses propos avec son expérience de terrain. Après la première vague du virus, le médecin interne a monté l’initiative « COMEBAC » avec ses collègues, consistant à savoir ce que leurs patients touchés par le covid devenaient. Résultat : sur les 478 patients passés par les soins critiques ou non, qu’ils ont pu recontacter en téléconsultation, 51 % d’entre eux avaient « un symptôme persistant : la fatigue, des difficultés de mémoire, de l’essoufflement… » En tout, Bicêtre avait accueilli 1151 patients lors de la première vague. Selon la Haute Autorité de Santé (HAS), dès la fin de la première vague de l’épidémie, la persistance de symptômes a été constatée chez plus de 10 % des patients plus de trois mois après le déclenchement de la maladie. La Haute Autorité a émis mi-février des recommandations de prise en charge pour le covid long. Elle préconise une écoute « empathique » et une exploration du patient « dans sa globalité ».

La maladie a également un impact sur le système nerveux à long terme. C’est ce qu’a pu observer le neurologue à l’hôpital Delafontaine Thomas de Broucker. « Les symptômes neurologiques ont été enregistrés dans 70 % des cas », abonde-t-il, égrenant « la difficulté à trouver ses mots, difficulté à mémoriser, les tâches routinières mal mémorisées ». « A priori, il n’y a pas de lésions définitives, puisqu’il y a des fluctuations mais il existe clairement un dysfonctionnement cérébral avec le covid long », détaille-t-il. L’origine reste inexplicable : « Si on le savait, on aurait un traitement mais les données manquent cruellement ».

« Notre arsenal de soins est pauvre pour cette maladie »

Présidente du groupe de travail sur le covid long à la HAS, Dominique Salmon-Céron presse pour établir « au plus vite » l’origine du mal afin de développer un traitement. Cédric Villani s’y essaye : « Que peut-on dire sur les éventuels traitements qui seraient en cours ? », interroge-t-il.

Pas grand-chose à écouter la professeure. Pour l’heure, « il n’y a pas de traitements antiviraux efficaces. La rééducation est très importante : respiratoire ou par le sport. Il faut aussi informer le patient de façon complète et précise : afin d’obtenir un apprentissage à l’autogestion de sa maladie. La priorité est de renforcer la recherche et d’organiser des parcours de soins adaptés sur l’ensemble du territoire », préconise-t-elle. La HAS dispose bien de quelques hypothèses sur les causes, mais rien de définitif ou d’étayé. « Les hypothèses actuelles : la persistance d’une dose faible ; une réponse immunitaire non adaptée ou insuffisante car la moitié des patients ne développent pas d’anticorps contre le virus ; une inflammation persistante de certains organes ; et enfin, le trouble psychosomatique, car derrière ces symptômes se trouve souvent de l’anxiété ou une dépression », énumère la professeure.

Coordinateur de la stratégie covid long de l’ANRS-maladies infectieuses émergentes, Olivier Robineau dresse, lui, un état des lieux des soins et de la recherche : « Notre arsenal de soins est pauvre pour cette maladie. Il y a eu près de 80 projets financés en France. Au moins une dizaine ont un focus sur les conséquences de la covid-19 à long terme et deux essais randomisés sur l’évolution de la prise en charge multidisciplinaire des patients ». Pour le moment, « on a essentiellement des données internationales. Il n’y a pas encore d’essais internationaux ou d’enquête épidémique internationale. Mais il y a une volonté de l’OMS de coordonner le recueil des données sur cette maladie », assure-t-il.

En les écoutant, les parlementaires ont eu le sentiment « qu’il y a urgence à agir », conclut Cédric Villani. Ils espèrent qu’une partie des moyens plus importants annoncés par l’Elysée mercredi dans la lutte contre le covid seront dévolus au covid long. Sans certitude.

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