MANIF VIOLENCES FEMMES

« Les stéréotypes sexistes sont inoculés dès le plus jeune âge par les parents, l’école et magnifiés par les réseaux sociaux », alerte le Haut conseil à l’égalité

Comme tous les ans depuis six ans, le Haut conseil à l’égalité entre les hommes et les femmes présente son état des lieux du sexisme en France. « Alarmant » dans l’édition 2023, le constat s’empire dans celle de 2024. Les clichés sexistes connaissent un regain de vitalité, chez les hommes comme chez les femmes. Inculqués par la famille et par l’école, ils sont amplifiés par le numérique, via notamment les réseaux sociaux et les sites pornographiques.
Mathilde Nutarelli

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C’est un rendez-vous annuel, de plus en plus attendu. Pour la sixième année, le Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCE) publie son état des lieux du sexisme en France. Les constats sont souvent glaçants et cette fois-ci ne fait pas exception. D’autant que, d’après le rapport, la situation s’aggrave par rapport à l’année précédente. L’édition 2024 met en avant les racines du sexisme que sont la famille, l’école et le numérique. Pour résumer : « Le sexisme commence à la maison, continue à l’école et explose en ligne ».

« L’égalité se fait à bas bruit alors que la lutte contre l’égalité se fait à voix forte »

Le premier constat que dresse le rapport du HCE est l’augmentation de la place que prennent les clichés sexistes dans la conception des Français. Si l’état des lieux de 2023 était déjà « alarmant », cette année, la situation « se creuse ». Ainsi, 74 % des femmes de 25-34 ans considèrent qu’il est difficile d’être une femme dans la société actuelle, un chiffre en hausse de 5 points par rapport à l’édition précédente. Ces clichés se manifestent notamment par une adhésion plus forte aux stéréotypes masculinistes chez les hommes et à des injonctions plus fortes à la féminité et à la maternité chez les femmes. Ainsi, 52 % des hommes interrogés considèrent qu’il est normal qu’un homme paie l’addition au premier rendez-vous avec une femme, contre 40 % des femmes. Par ailleurs, le rapport relève des réactions de méfiance voire de résistance face à l’émancipation des femmes chez les hommes interrogés, toutes générations confondues et notamment chez les jeunes. Ce sont par exemple 39 % des hommes de 15-34 ans considèrent que le féminisme menace la place et le rôle des hommes. « Cela ne me surprend pas, même si je trouve ça affligeant, ça corrobore ce qu’on peut voir d’une façon générale, quand on travaille sur les violences faites aux femmes et sur les familles monoparentales. L’évolution est soit lente soit inexistante, voire chez les plus jeunes on régresse », regrette Dominique Vérien, présidente de la délégation aux droits des femmes du Sénat, « l’égalité se fait à bas bruit alors que la lutte contre l’égalité se fait à voix forte ».

Ces stéréotypes sexistes se traduisent concrètement dans la vie des femmes, d’abord au travers des discriminations qu’elles subissent. Ainsi, le rapport met en évidence que 92 % des Français considèrent que les femmes et les hommes ne sont pas traités de la même manière dans au moins une des sphères de la société. Ensuite, ce sexisme conduit les femmes à adopter des stratégies d’évitement, visant à ne pas subir de sexisme. Ce sont ainsi 90 % des femmes qui affirment avoir déjà renoncé à des actions ou modifié leurs comportements pour ne pas être victimes de sexisme. Elles sont par exemple 58 % à avoir renoncé à sortir et faire des activités seules. Enfin, ces stéréotypes se manifestent dans le harcèlement, voire les agressions sexuelles que les femmes continuent à subir. Les chiffres du rapport sont glaçants : 37 % des femmes interrogées ont déjà subi une situation de non-consentement lors d’un rapport sexuel.

« Il faut qu’on admette l’idée que la résistance politique au féminisme à l’égalité s’organise »

Ce qui ressort de l’état des lieux du HCE, et qui semble paradoxal, c’est que malgré l’aggravation des clichés sexistes dans la société française, le rejet du sexisme est lui en augmentation. « Il y a une coexistence chez les êtres humains d’un cerveau reptilien et d’un cortex qui ne fonctionnent pas de la même manière », explique Sylvie Pierre-Brossolette, présidente du HCE, « d’un côté, les hommes et les femmes ont acquis l’idée que le progrès, c’est l’égalité. D’ailleurs, en droit, elle est consacrée. Mais la pratique, ne suit pas. Les comportements sexistes millénaires continuent à régir la vie des femmes, les hommes continuent à avoir des comportements de dominants, la société demeure patriarcale. Les clichés et le sexisme se transmettent ». « Il faut qu’on admette l’idée que la résistance politique au féminisme, à l’égalité s’organise : elle a des voix, des porte-parole », analyse quant à elle Laurence Rossignol, sénatrice socialiste du Val-de-Marne et ancienne ministre des Droits des Femmes, « ce n’est pas une affaire consensuelle, comme l’ont montré les propos irresponsables d’Emmanuel Macron sur Gérard Depardieu. Ne croyons pas que toute une société se serait convertie à la nécessité de garantir l’égalité ».

Des stéréotypes sexistes transmis par la famille et l’école, amplifiés par le numérique

L’état des lieux du sexisme, cette année, s’attache à étudier les causes de ces clichés sexistes. Et il en identifie trois : la famille, l’école et le numérique. Le mécanisme est clair pour Sylvie Brossolette : « Les stéréotypes sont inoculés dès le plus jeune âge par les parents et l’école et magnifiés par les réseaux sociaux, d’où l’aggravation de la situation aujourd’hui ». Dans les familles, les clichés sexistes s’impriment chez les enfants, malgré les efforts des parents pour l’éviter. Au travers des jouets, mais aussi des répartitions des tâches ménagères au sein du couple, les vieilles idées s’installent. Toutes les familles ne sont pourtant pas logées à la même enseigne : d’après le rapport, la « propagation » du sexisme se fait plus marquée dans les milieux « pratiquants » toutes religions confondues. Dominique Vérien s’alarme de cette « religiosité qui monte », pour toutes les confessions, « et c’est rarement favorable aux femmes », ajoute-t-elle.

Les stéréotypes de genre n’épargnent pas non plus l’école, pourtant censée être un lieu à l’abri des tourments du monde, où les esprits des citoyens de demain peuvent se former. D’après le HCE, l’école « cristallise » les clichés. Cela passe entre autres par la place plus importante qui est laissée aux garçons dans la cour de récréation par rapport aux filles, par les attentes envers les uns et les autres. Les garçons sont ainsi plus souvent décrits comme « turbulents » par leurs professeurs, alors que les filles sont plus « studieuses » et « sérieuses ».

Le processus est complété par la « caisse de résonance des stéréotypes », le numérique. Le rapport, en étudiant les contenus les plus vus des grandes plateformes de type Instagram et TikTok, met en avant le fait que ces derniers sont un véhicule impressionnant et efficace des clichés sexistes. Ainsi, 68 % des contenus d’Instagram véhiculent des stéréotypes de genre, via notamment les comptes des « tradwife », ces influenceuses mères au foyer qui mettent en avant leur vie « traditionnelle », exaltant une image surannée des femmes et de leur rôle. Au-delà de l’aspect social qui est véhiculé par ces plateformes, c’est également l’image d’elles-mêmes des femmes qui en pâtit. Elles sont assaillies de comptes beauté, fitness, mettant en avant des femmes à la beauté inatteignable. Ce qui ne manque pas non plus dans les vidéos pornographiques, en libre accès sur internet, que tous peuvent consulter y compris des enfants. Ces sites, qui ont fait l’objet d’un important rapport de la délégation aux droits des femmes du Sénat, contribuent par les vidéos qu’ils diffusent à l’implantation dans la tête des spectateurs des conceptions erronées voire dangereuses de la sexualité. Le rapport pointe ainsi que le porno a un impact sur la manière dont les jeunes hommes, en particulier, conçoivent la sexualité.

« On attend du gouvernement qu’il fasse de la lutte contre les clichés sexistes une priorité »

Une fois ce constat alarmant dressé, que reste-t-il à faire, sinon tout ? Le rapport du HCE dresse plusieurs pistes et recommandations.

En ce qui concerne l’école, notamment, le HCE préconise de mettre en place une obligation de résultat pour l’application des heures d’éducation à la vie affective et sexuelle, avec une sanction financière. Si, dans les textes, trois heures de cet enseignement sont obligatoires chaque année au collège et au lycée et, en primaire, elles sont laissées à l’appréciation de l’enseignant. En pratique, moins de 15 % des élèves en école et au lycée et moins de 20 % des élèves au collège ont bénéficié de ces trois heures en 2021. Cette recommandation est bien accueillie sur les bancs du Sénat. « Je l’appelle de mes vœux, cela me paraît indispensable », acquiesce Dominique Vérien. « Les enseignants ont affaire à des parents qui leur expliquent que l’éducation à la vie affective et sexuelle relève de la sphère familiale », s’inquiète Laurence Rossignol, « il faut un consensus des partis politiques pour soutenir l’éducation nationale sur ce sujet ».

Concernant le numérique et plus particulièrement le porno, le HCE recommande de faciliter davantage le blocage de contenus violents et dégradants. Là encore, une mesure qui est accueillie à bras ouverts pas la délégation aux droits des femmes du Sénat, qui avait elle aussi recommandé une mesure similaire dans son rapport. Laurence Rossignol va encore plus loin : « Je milite pour que le porno sorte de nos vies. En quoi nos sociétés ont besoin de porno ? Pourquoi tolérons-nous cette industrie toxique qui fait barrage au travail que nous faisons sur les violences sexistes et sexuelles ? ».

Enfin, le rapport recommande de mieux sanctionner, en faisant du délit de sexisme un « véritable outil juridique de condamnation du sexisme ». Le chantier est vaste et demande une réflexion politique sérieuse, dans un pays où moins d’1 % des viols signalés à la justice sont condamnés et où une nouvelle ministre à l’Egalité entre les femmes et les hommes vient d’être nommée, cinq mois après l’arrivée de sa prédécesseuse. « C’est très compliqué de se dire qu’on développe une politique publique et de changer de ministre tous les 6 mois », se désole Dominique Vérien. Ce qui agace Laurence Rossignol : « On attend du gouvernement qu’il fasse de la lutte contre les clichés sexistes une priorité. Si le Président de la République avait tenu ses objectifs, s’il y avait eu véritablement une grande cause, il y aurait eu de la lutte contre les stéréotypes et Emmanuel Macron n’aurait pas dit que Gérard Depardieu état formidable ».

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