Dix ans après le rapport du Sénat, « Jeux vidéo : une industrie culturelle innovante pour nos territoires », la commission de la culture organisait une audition en présence de plusieurs représentants des syndicats du jeu vidéo le 12 octobre dernier. Première industrie culturelle en France et dans le monde devant le cinéma, le jeu vidéo français représente 5,6 milliards d’euros de chiffre d’affaires. « 73 % des Français jouent. Quand on va chercher chez les plus jeunes, c’est 98 % des 10 à 14 ans » rappelle le président de la commission de la culture, Laurent Lafon.
« Nous sommes des créateurs responsables »
Souvent associée à la violence, vecteur d’addiction, d’enfermement sur soi : l’industrie du jeu vidéo souffre d’une mauvaise réputation, notamment auprès des parents des jeunes joueurs. Ces inquiétudes sur la mauvaise influence du gaming auprès des plus jeunes, ont été pointées du doigt par plusieurs sénateurs. Les syndicats ont souhaité se montrer rassurants.
Pour Nicolas Vignolles, délégué général du Syndicat des Editeurs de Logiciels de Loisirs (SELL), l’industrie du jeu vidéo français repose avant tout sur la volonté de créer un environnement sain pour les utilisateurs : « Ce n’est pas seulement philanthropique, c’est commercial. Si on veut convaincre la cible des jeunes parents de 35-45 ans, il faut créer un environnement sain dans les jeux vidéo ». « Nous sommes des créateurs responsables » confirme Julien Villedieu, délégué général du Syndicat National du Jeu Vidéo. « Il y a un engagement des créateurs dans la promotion de nos valeurs, notamment démocratiques. C’est pour ça qu’en favorisant le jeu vidéo français, on fait la promotion des valeurs françaises et européennes dans la création mondiale. En ce sens, le jeu vidéo français doit être mis en valeur ».
Loin d’être néfaste, le monde du jeu vidéo aurait même une influence positive sur la jeunesse : « C’est un média, un loisir numérique, c’est le premier média chez ceux nés après 2007, 10 points devant les autres médias. Cette génération consomme aussi énormément d’autres produits culturels. Le jeu vidéo est une ouverture sur d’autres formes d’arts comme le monde de l’animation ou du cinéma » affirme Julie Chalmette, Présidente du Syndicat des Editeurs de Logiciels de Loisirs (SELL) et co-fondatrice de Women in Games France. « Il y a dans la production de jeu de vidéo, toute une production de qui va parler d’amour, d’amitié, d’homosexualité, de genre. Une production qui va vous faire rêver, issue notamment de la scène indépendante qui apporte une grande diversité de sujets » souligne Julie Chalmette.
« Oui des fois il y a de la violence dans les jeux vidéo, comme dans le cinéma de Kubrick » admet à demi-mot Nicolas Vignolles. « C’est une création artistique : parfois la violence prête à débat. Mais quand elle ne sert pas une narration, la communauté de joueurs sera la première à réagir ». Néanmoins, il souligne aussi la vertu pédagogique de certains jeux vidéo : « Il y a des jeux vidéo qui proposent des modes découvertes comme Assassin’s creed, où l’on peut visiter les pyramides ou la nef de Notre-Dame de Paris. C’est cette diversité que l’on représente. Ce qu’on essaie de faire, c‘est de ne pas caricaturer le jeu vidéo. Qu’il soit observé comme les autres industries culturelles et créatives ».
« Il y a des opérations économiques qu’il ne faut pas louper »
C’est aussi sur l’importance économique du secteur que les syndicats de l’industrie ont insisté lors de cette audition.
« Le jeu vidéo français à une renommée internationale et est reconnu à travers le monde. 95 % des jeux vidéo produits en France sont consommés, distribués et joués partout sur la planète. Cette industrie représente 1300 entreprises françaises. La moitié de ces entreprises produisent à 100 % du jeu vidéo en France » a rappelé Julien Villedieu. Mais dans cette compétition mondiale, il faut savoir garder le savoir-faire a alerté le délégué général du Syndicat National du Jeu Vidéo. « Nous devons garder nos talents. Pour cela, nous avons besoin de bonnes formations en France mais aussi de faire venir des talents de l’étranger pour s’enrichir d’un regard diversifié sur nos productions ».
Sur ce point Nicolas Vignolles insiste aussi sur la nécessité de garder les capitaux de l’industrie en France : « Il faut alerter la France et l’Europe qu’il ne faut pas rater un virage concernant le secteur du jeu vidéo. Si les GAFA (Google, Apple, Facebook et Amazon) s’y intéressent, on doit être là industriellement. Il y a des opérations économiques qu’il ne faut pas louper. Il faut garder des actifs et capitaux en France, rester attractifs comme avec la French Tech. Il faut un soubassement d’aides publiques ». Pour lui, la pérennisation du crédit d’impôt jeux vidéo pourrait favoriser cette impulsion : « Avec ce crédit, c’est 50 millions d’euros qui permettraient de soutenir le tissu d’entreprises françaises du secteur ».
A ne pas négliger également, le développement du jeu vidéo de compétition appelé E-sport. « Ce sont de véritables spectacles culturels. Les spectateurs viennent voir s’affronter de grands joueurs ayant développé un niveau de compétence rare dans leur discipline. On pense par exemple aux compétitions nationales et internationales de League of Legends » précise Nicolas Vignolles. « Il faut conduire cette politique d’attractivité du E-sport en France » conclut-il. Première étape en 2023, où la France accueillera pour la première fois la compétition Counter Strike à l’Accord Arena hôtel.
Au niveau européen, la députée Laurence Farreng (affiliée MoDem), a rendu un rapport en avril dernier sur le futur de l’industrie européenne du jeu vidéo. On y trouve plusieurs recommandations pour soutenir l’industrie régionale et locale, mais aussi une proposition quant à la reconnaissance du E-sport en tant que discipline à part entière. Pour Nicolas Vignolles pas de doute, c’est le signal qu’en Europe et en France « il faut accélérer sur le jeu vidéo ».