Mode express, mais parcours législatif au long cours. La proposition de loi dite « anti fast fashion » portée par la députée Horizons Anne-Cécile Violland entendait s’attaquer à l’impact environnemental de l’ensemble de l’industrie textile, y compris les grandes marques comme H & M, Zara ou Kiabi. Un an après l’adoption par l’Assemblée nationale, c’est un texte bien plus ciblé qui arrive devant le Sénat.
En commission, les sénateurs ont choisi de restreindre le champ de la proposition, en recentrant les mesures sur les plateformes d’ultra fast fashion, notamment Shein et Temu, accusées de saturer le marché avec des dizaines de milliers de références renouvelées quotidiennement. « Ce n’est pas cette proposition de loi qui va reverdir l’ensemble de l’industrie textile française, mais ce texte tel qu’il est aujourd’hui permettra de mettre un frein à ces géants chinois qui nous envahissent sans aucun contrôle, sans aucune norme, sans payer aucun impôt en France », justifie Sylvie Valente-Le Hir, sénatrice LR et rapporteure du texte.
Une définition légale de la fast fashion
Le texte introduit une définition légale de la fast fashion, reposant sur plusieurs critères tels que le volume de production, la vitesse de renouvellement des collections, la faible incitation à réparer les produits ou encore une durée de vie limitée.
La rapporteure insiste, celle-ci ne repose plus uniquement sur « la fréquence des collections ou le prix des vêtements », mais désormais sur « le nombre de références mises en ligne fixées par décret ».
Cette approche vise explicitement les plateformes chinoises. « Aujourd’hui, quand les acteurs dits de mode éphémère européens tournent à quelques centaines, les chiffres de l’ultra fast fashion atteignent 10 000 par jour », explique Sylvie Valente-Le Hir.
La rapporteure assume une distinction entre « mode express » pour les enseignes européennes et « ultra mode express » pour les géants comme Shein.
Bonus-malus : un dispositif fragilisé
Autre point de débat, le dispositif de bonus-malus environnemental qui prévoit des pénalités financières pour les produits les plus polluants. Dans la version votée à l’Assemblée, une taxe de 5 euros par vêtement devait être mise en place dès 2025, avec une augmentation progressive jusqu’à 10 euros d’ici 2030. Celle-ci concernerait aussi bien la fast fashion que l’ultra fast fashion.
Mais cette disposition a été supprimée en commission au Sénat, au profit d’un dispositif fondé sur la « durabilité » des produits et les « pratiques commerciales », une orientation soutenue par le gouvernement. « C’est un dispositif facultatif au niveau de l’Europe », ce qui limite sa portée nationale assure la rapporteure LR.
Une évolution que regrette la coalition Stop Fast Fashion, regroupant quatorze ONG environnementales et de défense des droits humains. Dans un communiqué transmis à l’AFP, elle déplore un texte vidé de sa substance, qui risque de « ne devenir qu’une coquille vide, sans portée dissuasive ».
Publicité et influence : la ligne rouge
Les débats dans l’hémicycle tourneront aussi autour des questions d’interdiction de publicité. La version initiale du texte prévoyait l’interdiction totale de la publicité, notamment par les influenceurs, pour les produits issus de l’ultra fast fashion. Une mesure que la rapporteure n’a pas souhaité conserver.
« Je n’ai pas souhaité conserver cette interdiction totale de la publicité pour une raison très simple. Nous avons la loi « Climat Résilience » de 2021 qui interdit la publicité pour les
SUV et les énergies fossiles, mais quatre ans après, on voit bien que le gouvernement ne l’a toujours pas appliquée. Ce sera de toute façon anticonstitutionnel. Mon but, ce n’est pas de faire de la communication mais de la politique », déclare Sylvie Valente-Le Hir.
Le gouvernement a toutefois déposé un amendement pour tenter de rétablir cette interdiction.
La commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, qui a examiné le texte, défend quant à elle un objectif de « texte applicable rapidement », et donc juridiquement solide.
Soutenir les enseignes locales
Au-delà de l’impact écologique, la proposition de loi entend soutenir les commerces locaux, mis en difficulté par la concurrence des plateformes étrangères. « Lorsqu’il nous reste encore ces quelques acteurs qui permettent d’avoir un dynamisme dans nos centres commerciaux, dans nos zones artisanales et dans nos centres-villes, nous tenons à les conserver. Parce que ces acteurs occupent des magasins, font travailler des salariés, paient leurs impôts, et surtout, sont contrôlés, sont normés », insiste-t-elle.
« Par contre, la différence avec l’ultra mode éphémère, c’est que ça échappe à tout contrôle et ça ne rapporte rien sur notre territoire, juste des déchets », alerte-t-elle encore.
Un combat français, mais un levier européen
Si ce texte marque une avancée législative française, son efficacité dépendra à terme d’une harmonisation européenne.
« Ce qui est important derrière, c’est de se dire que c’est une première étape. Il va falloir travailler au niveau de l’Europe. Car il faut travailler sur les droits de douane, la taxation des petits colis. C’est un travail qui ne pourra se faire qu’au niveau de l’Europe », conclut Sylvie Valente-Le Hir.
Le vote solennel au Sénat est prévu le 10 juin. Il marquera le terme d’un long processus parlementaire, débuté il y a plus d’un an, pour tenter d’encadrer un secteur aussi florissant qu’incontrôlé.
En cas de modifications, sénateurs et députés devront se mettre d’accord sur un texte de compromis en commission mixte paritaire. Preuve qu’il va falloir attendre encore un peu avant de légiférer sur la mode express.
Emma Bador-Fritche