Si ce n’est pas la première fois qu’une chaîne de télévision cesse d’émettre, la fin programmée de C8 ce vendredi soir, polarise le débat politique depuis quelque temps. La droite et l’extrême droite dénoncent une « une censure politique », une « attaque de la liberté d’expression » mise en œuvre par un organe sans légitimité, l’Arcom. A gauche et au sein du bloc central, il s’agit simplement d’une décision « responsable et cohérente » (lire notre article). La fin deNRJ12 ne suscite, quant à elle, aucun débat dans l’espace public.
Chronologie d’une fermeture
En 2025, l’autorisation de diffusion par voie hertzienne de quinze chaînes privées arrivait à échéance, un nombre record depuis la création des chaînes privées. Ce renouvellement concernait les chaînes de Canal + (CNews, Cstar, C8, Canal +, Canal + Sport, Canal + Cinéma, Planète +), ainsi que BFMTV, Gulli, W9, TMC, TFX, LCI, Paris Première et NRJ12.
Conformément à la loi de 1986 sur la liberté de communication, l’autorisation d’émettre des chaînes numériques terrestres est limitée, 10 ans maximum, renouvelable 10 ans supplémentaires. Au-delà de 20 ans, une chaîne ne peut être reconduite sans nouvel appel à candidatures, afin d’assurer la concurrence et le pluralisme.
Après un appel à candidatures, dans sa délibération du 17 juillet 2024, l’Arcom a retenu 15 projets sur 25 dont 10 chaînes gratuites et 5 payantes. C8 et NRJ12 n’ont pas été retenues. En réaction, Canal + a annoncé le retrait de ses chaînes payantes de la TNT (Canal +, Canal + Cinéma, Canal + Sport et Planète), pourtant présélectionnées par l’Arcom. Il y a quelques jours, NRJ12 et C8 ont été déboutées de leur recours devant le Conseil d’Etat. Le juge administratif relève que l’Arcom n’a pas commis d’illégalité dans son analyse.
Renforcement du contrôle du respect du « pluralisme »
Auditionné par la commission de la culture et de l’éducation en octobre dernier, Roch-Olivier Maistre, le président de l’Arcom d’alors avait indiqué que le régulateur n’avait fait qu’appliquer les critères posés par la loi. Celle du 30 septembre 1986 impose, en effet, aux chaînes de télévision d’assurer l’honnêteté, le pluralisme et l’indépendance de l’information.
Rappelons ici que dans une décision de février 2024, le Conseil d’Etat a enjoint l’Arcom à renforcer son contrôle en matière de respect du « pluralisme et d’indépendance de l’information ». Le régulateur ne se limite donc plus au décompte des temps de parole des personnalités politiques, mais doit « veiller à ce que les chaînes assurent, dans le respect de leur liberté éditoriale, l’expression pluraliste des courants de pensée et d’opinions en tenant compte des interventions de l’ensemble des participants aux programmes diffusés, y compris les chroniqueurs, animateurs et invités » (voir notre article). C’est ce qu’a fait l’Arcom dans sa délibération du 17 juillet.
Pourquoi C8 et pas CNews ?
La décision du Conseil d’Etat sur le renforcement du contrôle du pluralisme faisait suite à une saisine de l’ONG Reporters sans frontières qui estimait que la chaîne CNews ne respectait pas ses obligations en matière d’honnêteté, de pluralisme et d’indépendance de l’information. Le juge administratif lui avait alors donné raison. Pour autant, la chaîne CNews dont la fréquence arrivait aussi à échéance cette année, n’a pas vu sa candidature être rejetée. « Juridiquement, toutes les conditions étaient réunies pour rejeter le projet de CNews. La chaîne a fait l’objet d’un nombre équivalent, en 2024, de rappels à l’ordre, mises en demeure et sanctions », observe Camille Broyelle, professeure de droit à l’Université Paris-Panthéon-Assas et directrice du Master droit du numérique, dans un article paru dans le Club des juristes.
7,6 millions pour 36 mises en garde et amendes
« Peut-être y a-t-il eu une forme de timidité de l’Arcom de ne pas renouveler les fréquences de ces deux chaînes du groupe Bolloré. Deux chaînes qui ont fait l’objet de sanctions pour appel à la haine ou non-respect de l’obligation d’honnêteté et de rigueur dans le traitement de l’information », esquisse François Jost, sémiologue et professeur en sciences de l’information, auteur de « L’opinion qui ne dit pas son nom. Du pluralisme des médias en démocratie », (ed. Gallimard).
L’émission TPMP de Cyril Hanouna sur C8 a toutefois largement devancé les programmes de CNews en matière de sanctions, plus de 7,6 millions d’euros d’amendes selon un décompte réalisé par le Huffpost. CheckNews de Libération a compté 36 alertes et sanctions émises par l’Arcom à l’égard de C8 « Les fréquences sont un bien public, elles ont la particularité d’être attribuées gratuitement, en contrepartie de cette gratuité, la loi fixe un certain nombre d’obligations. Nous demandons tout simplement aux éditeurs de respecter ces obligations. Le régulateur n’est pas dans son rôle s’il ne tire pas à un moment ou un autre les conséquences. », rappelait, devant les sénateurs, Roch-Olivier Maistre. Une référence à peine voilée aux nombreuses sanctions qui ont visé l’émission de Cyril Hanouna au cours des dernières années.
Précisons que l’Arcom n’est pas une autorité de censure. Le panel des sanctions mis à disposition de cette autorité publique indépendante (API) est défini aux articles 42 et suivants de la loi de 1986 sur l’audiovisuel. Elles vont de la simple mise en demeure, à la sanction pécuniaire, au retrait de l’autorisation de diffusion ou la résiliation unilatérale de la convention passée entre l’Arcom et la chaîne. En 2022, les médias russes RT et Spoutnik avaient vu leur autorisation de diffusion définitivement suspendue, en application des sanctions prises par l’Union européenne contre la Russie dans le conflit ukrainien.
Et NRJ12 ?
L’Arcom n’a pas sélectionné sa candidature pour le renouvellement de sa fréquence l’Arcom « car son projet prévoyait de consacrer la majeure partie du temps d’antenne à la diffusion de fictions audiovisuelles, pour beaucoup en rediffusion, et de divertissements, genres déjà très représentés sur la TNT, ainsi qu’au téléachat, auquel la chaîne consacre déjà plus de 1 000 heures par an », rappelle le Conseil d’Etat.
En octobre devant la commission de la culture et de la communication du Sénat, le patron de l’Arcom mettait en avant, sur ce point, le critère de « l’intérêt du public ». « Les chaînes de divertissement ont toute leur place, elles sont représentées sur la TNT, mais l’intérêt d’avoir une trentaine de chaînes nationales, c’est d’offrir un panorama le plus diversifié possible », expliquait-il.