« Un sujet si délicat, si difficile », a résumé Claudine Esper, présidente du comité de déontologie et vice-présidente du comité d’éthique de l’Académie nationale de médecine, lors de son audition au Sénat. Aux côtés d’Élisabeth Elefant, secrétaire du comité d’éthique, elle est venue présenter les conclusions d’un travail entamé depuis deux ans sur la fin de vie. Leur intervention s’inscrivait dans le cadre de l’examen de deux textes législatifs : une proposition de loi encadrant l’aide à mourir et une autre visant à garantir l’égal accès aux soins palliatifs. Toutes deux ont mis en garde contre les risques de dérive, soulignant la nécessité de préserver un équilibre éthique et médical.
« L’aide à mourir répond à une démarche d’exception »
L’Académie de médecine se montre favorable à une aide à mourir strictement encadrée, réservée à certaines situations, « L’aide à mourir répond à une démarche d’exception », a rappelé Élisabeth Elefant. Dans les pays ayant légiféré, a-t-elle précisé, seuls « 1 à 5 % des décès » relèvent de ce cadre. L’Académie préfère ainsi le terme « aide à mourir », jugé moins stigmatisant que celui de « suicide assisté ». « Ce sont des patients qui veulent vivre », insiste Élisabeth Elefant, distinguant ces demandes de celles des personnes suicidaires.
L’euthanasie écartée au nom de l’éthique médicale
Claudine Esper est claire, l’euthanasie est exclue, car elle transgresse selon elle le serment d’Hippocrate. « Le geste euthanasique a une force plus contraignante que le suicide assisté », a-t-elle souligné. L’Académie affirme vouloir éviter tout risque de dérive. Elle plaide pour une approche progressive, centrée sur la protection des plus vulnérables. Des garanties sont proposées comme « l’obligation d’avoir accès aux soins palliatifs en amont, le respect d’un collège médical décisionnaire et une clause de conscience pour les soignants ».
« Tout le monde a droit au même droit »
L’audition a aussi mis en lumière les lignes de fracture sur ce dossier complexe. La sénatrice Corinne Imbert (LR) s’est interrogée sur l’exclusion des personnes handicapées du champ d’application de l’aide à mourir. « Tout le monde a droit au même droit », a-t-elle fait valoir. Élisabeth Elefant a reconnu que ce point méritait d’être « retravaillé », afin d’éviter toute forme de discrimination inversée. Autre sujet d’inquiétude, la difficulté à évaluer un pronostic vital à court terme. Le sénateur Alain Milon (LR), qui sera le rapporteur du texte a exprimé ses réserves, « Il n’est pas possible d’affirmer qu’un pronostic vital est engagé de façon inexorable. » Il a pointé le risque de priver certains patients de nouvelles thérapies, faute de temps ou de discernement.
« Il faut faire du mieux qu’il est possible »
Malgré les avancées législatives, les deux représentantes de l’Académie ont alerté sur les faiblesses persistantes dans l’offre de soins palliatifs. « Il y a une insuffisance de formation des professionnels et d’information des publics », a rappelé Claudine Esper. Une campagne nationale d’information, inspirée de celle sur le don d’organes, « pourrait être envisagée ». La discussion s’est conclue dans un climat d’humilité. « Aucune loi ne pourra jamais répondre à la multiplicité des situations de fin de vie », a souligné Claudine Esper. « Nous en débattons sans être nous-mêmes dans une période de fin de vie. Il faut faire du mieux qu’il est possible. » Une posture partagée par certains sénateurs, comme Alain Milon : « Comment puis-je blâmer le vent pour les désordres qu’il a causés, si c’est moi qui ai ouvert la fenêtre ? »
Alors que l’Assemblée nationale a adopté en mai les textes de loi sur la fin de vie, le Sénat devra à son tour se prononcer, à compter du 7 octobre.
Emma Bador-Fritche