Heat wave at Ehpad in Bordeaux

Situation financière des Ehpad : le Sénat propose d’instituer une seconde « journée de solidarité »

Deux ans après le scandale Orpea, un rapport du Sénat s’inquiète de la situation financière fortement dégradée des maisons de retraite, notamment dans le secteur public. Aux grands maux les grands remèdes : certains parlementaires proposent la création d’une source de financement ad hoc, avec la suppression d’un jour férié.
Romain David

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Plus de deux ans après la publication du livre choc de Victor Castanet, Les Fossoyeurs, faisant état d’actes de maltraitance généralisés dans les Ehpad, le Sénat tire la sonnette d’alarme sur la situation financière des maisons de retraite, en particulier dans le secteur public, confrontées pour la majeure partie d’entre elles à des difficultés financières « d’une ampleur inédite ». Cette situation soulève l’inquiétude des élus au regard des nombreux défis que pose à moyen terme le vieillissement de la population française. Actuellement, plus de 600 000 résidents sont pris en charge dans des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes. Or, d’ici 2050, la population française âgée dépendante devrait augmenter de 46 %.

Au cours des trois dernières années, « non seulement la proportion d’Ehpad déficitaires a augmenté mais l’ampleur des déficits s’est aggravée, exposant de nombreux établissements à des difficultés de trésorerie à court terme », indique un rapport d’information rendu public ce mercredi 25 septembre par la commission sénatoriale des affaires sociales. Ce document de 199 pages évoque « une combinaison de causes conjoncturelles et structurelles […] que des aides ponctuelles ne suffiront pas à surmonter ». « L’Etat des lieux est catastrophique », développe la sénatrice LR Chantal Deseyne, l’une des trois sénatrices à l’origine de ce rapport. « Nous faisons un constat radical en disant que le secteur est à bout de souffle et qu’il faut le reconstruire. »

Parmi les pistes évoquées par la Chambre haute pour redresser la situation : la suppression d’un jour férié, sur le modèle ce qui a déjà été fait en 2004 avec le lundi de Pentecôte, afin de renforcer les recettes de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA).

800 millions d’euros de déficit pour les Ehpad publics

Selon les chiffres du Sénat, la part des Ehpad déficitaires est passée de 27 à 66 % entre 2020 et 2023. Dans le secteur public, 84,4 % des établissements enregistrent un niveau de dépenses supérieur à leur financement. La Fédération hospitalière de France évalue à 800 millions d’euros le montant du déficit pour l’année 2023. « Si les Ehpad privés lucratifs ont davantage de marges de manœuvre pour ajuster leurs recettes, ils ont également subi une chute de leur taux de résultat net, qui a pratiquement été divisé par deux entre 2017 et 2023 », indique la Chambre haute.

Les établissements ont été pris en tenaille entre les revalorisations salariales liées aux deux Ségur de la Santé et la hausse du point d’indice des fonctionnaires, le contexte inflationniste des deux dernières années, qui a pesé sur les dépenses liées à l’alimentation et à l’énergie, et l’évolution « insuffisante » du tarif d’hébergement, inférieur à l’inflation. Sur ce dernier aspect, les auteurs du rapport proposent un mécanisme de revalorisation annuel, indexé sur l’augmentation des prix, afin de « sécuriser les ressources des Ehpad ».

Débloqué fin 2023, le fonds d’urgence pour les établissements et services médico-sociaux en difficulté, doté de 100 millions d’euros, dont 80 % ont été dirigés vers les Ehpad, s’est révélé insuffisant au regard de l’ampleur des difficultés. « Nous regrettons les réponses ponctuelles et insuffisantes. Le gouvernement a préféré augmenter le débit d’un robinet percé plutôt que de le réparer », fustige Chantal Deseyne.

Pour autant, les comptes de la branche autonomie devraient être nettement excédentaires cette année, avec 1,2 milliard d’euros supplémentaires, conséquence du fléchage votée en 2020 vers ses caisses d’une fraction de contribution sociale généralisée (CSG). Cette somme pourrait être mobilisée pour éviter à certains établissements le risque de cessation de paiements. Néanmoins, l’excédent devrait s’annuler à partir de 2027 sous l’effet de la progression des dépenses, ce qui appelle à trouver d’autres leviers de financement.

« Une crise de confiance »

Autre phénomène auquel sont confrontés les Ehpad et qui impacte directement leurs comptes : une baisse sensible du nombre de résidents depuis 2020, qui peut sembler paradoxale au regard du vieillissement de la population, mais qu’explique une succession de crises.

Le taux d’occupation des Ehpad a fortement chuté, passant de 93 % au premier trimestre 2020 à 87,20 % au second trimestre 2021. Il était néanmoins remonté à 88,7 % en fin d’année dernière. La pandémie de covid-19 explique cette baisse sur une période restreinte, conséquence du nombre important de décès chez les personnes âgées pendant la pandémie, mais aussi des mesures de restrictions mises en place par les établissements, et qui ont pu freiner les nouvelles admissions.

Le rapport pointe également l’influence qu’a pu avoir le scandale Orpea, dans la foulée de la publication du livre enquête de Victor Castanet, Les Fossoyeurs, très largement médiatisé. Les sénateurs évoquent ainsi « une crise de confiance », après les révélations du journaliste sur un système généralisé d’optimisation des coûts, à l’origine de nombreux cas de maltraitance.

Rappelons qu’après cette affaire, le Sénat avait lancé sa propre commission d’enquête sur les modalités de contrôle des Ehpad par l’administration, faisant état de « graves insuffisances ».

Un système de financement dépassé ?

Actuellement, le financement des Ehpad repose sur trois piliers : l’hébergement, les soins et la prise en charge de la dépendance. La section hébergement est financée par le résident, son montant est déterminé par le niveau de prestation de l’établissement, un peu à la manière d’un hôtel (repas, activités, ménage, etc.) et peut accuser de fortes variations d’un Ehpad à l’autre, en particulier dans le secteur privé.

La section dépendance est en partie couverte par le Conseil départemental via une allocation personnalisée d’autonomie. Elle est calculée sur la base du point GIR, une échelle (de 1 à 6) qui permet d’estimer le niveau de dépendance du résident. Enfin, la section soin est financée par l’Agence régionale de santé (ARS), avec une dotation versée à chaque établissement médico-social.

Si l’on résume : les ressources des Ehpad sont couvertes pour 32 % par la section soins, pour 14 % par la section dépendance et pour 54 % par la section hébergement. Or, ce sont ces deux dernières sections qui sont principalement déficitaires aujourd’hui.

Les sénateurs estiment que les équations tarifaires utilisées pour déterminer les forfaits des sections soins et dépendance présentent des « biais méthodologiques majeurs ». Ils appellent à privilégier la mise en place d’un « tarif global » de soins, déjà utilisé dans près d’un tiers des établissements. En plus des soins déjà couverts par le tarif partiel, « le tarif global » inclut des consultations de généralistes, des soins auxiliaires, certains examens radiologiques et biologiques. Il permettrait de réduire le taux d’hospitalisation des résidents et donc la dépense pour l’Assurance maladie.

Elargir le rendement de la contribution solidarité autonomie

Autre levier de financement mis en avant par ce rapport : la création d’une deuxième journée de solidarité. Selon les calculs de la Chambre haute, celle-ci permettrait de dégager 2,4 milliards d’euros pour abonder la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, financée pour partie par la CSG. Notons toutefois que l’une des trois rédactrices de ce rapport, l’écologiste Anne Souyris, a souhaité prendre ses distances avec cette mesure : « Ce deuxième jour férié travaillé reviendrait à faire peser entièrement le poids de la solidarité sur les salariés modestes, excluant d’autres formes de revenus, comme ceux issus du patrimoine immobilier », pointe-t-elle.

La première journée de solidarité, initialement fixée au lundi de Pentecôte avant d’être modifiée, a été mise en place par la loi du 30 juin 2004, après la canicule de 2003. Il s’agit d’une journée de travail non payée, déjà destinée à financer la prise en charge des personnes âgées en perte d’autonomie. Les employeurs s’engagent à reverser à l’Etat une contribution équivalente à 0,3 % de leur masse salariale annuelle, ce que l’on appelle la contribution solidarité autonomie (CSA).

Le rapport du Sénat évoque également la piste d’une assurance dépendance « généralisée », qui pourrait être attachée aux contrats de complémentaire santé. « À terme, une contribution moyenne d’une douzaine d’euros assurerait aux résidents d’Ehpad une rente de 300 à 500 euros, qui viendrait compenser leur reste à charge », développe la sénatrice Chantal Deseyne.

Engager une réflexion architecturale

Isolement géographique des établissements, chambres trop petites, espaces communs trop grands et déshumanisés… le rapport s’interroge aussi sur des infrastructures conçues comme des lieux de soins davantage que des lieux de vie. « Il est crucial de transformer les Ehpad en micro-cœurs de ville, avec des lieux de vie (parc, place, jardin aménagé) et des services intégrés (maison France Services, supérette, café, salon de coiffure). Le maillage territorial des Ehpad est un atout pour redynamiser les territoires », souligne les sénateurs. « Nous avons plus d’Ehpad en France que de bureaux de poste. On pourrait se servir de ce foncier pour rouvrir un certain nombre de services et réduire la fracture territoriale », avance la sénatrice RDPI Solanges Nadille, troisième signataire du rapport.

Mais ces transformations doivent aussi prendre en considération les enjeux de la transition énergétique et le risque sanitaire que représente le changement climatique, notamment avec des épisodes caniculaires de plus en plus fréquents et de plus en plus intenses. Aujourd’hui, seuls 4 % des Ehpad possèdent des chambres climatisées.

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