Fonds Marianne : Marlène Schiappa a refusé une subvention de 100 000 euros à SOS Racisme

Lors d’une audition dense, Sébastien Jallet, directeur de cabinet de Marlène Schiappa au moment de la création du Fonds Marianne, a reconnu que la ministre était bien intervenue pour refuser une subvention de 100 000 euros préconisée par son administration à SOS Racisme, pour des raisons « d’un historique de relation » compliqué. Il n’a pas non plus convaincu la commission d’enquête sur l’urgence de la situation qui aurait commandé des délais raccourcis pour attribuer les subventions.
Louis Mollier-Sabet

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Sébastien Jallet se souviendra de son passage au Sénat. Alors que son audition de 2h30 a débordé sur l’heure du déjeuner, l’ancien directeur de cabinet de Marlène Schiappa a été sérieusement cuisiné par les sénateurs Claude Raynal (PS) et Jean-François Husson (LR), respectivement président et rapporteur de la commission d’enquête. Une cuisson sénatoriale, lente et à basse température, sans incartade, sans interpellation, mais qui a laissé un Sébastien Jallet sur la défensive. « On est sur des questions qui font l’objet d’une information judiciaire ouverte par le Parquet National Financier. Vous m’auditionnez dans un cadre différent, avec des questions extrêmement précises. Je n’ai pas l’appui d’un avocat et il me paraît délicat d’être dans cet exercice – légitime – sans avoir des garanties minimales de défense et de protection », s’est même fendu le préfet de l’Orne après une série de question très précise du rapporteur sur les dates auxquelles avaient eu lieu différentes réunions à propos de l’attribution des crédits abondés au désormais fameux Fonds Marianne.

C’est que la commission d’enquête sénatoriale a essayé de déterminer précisément le cheminement qui a amené à la création de ce fonds, ainsi que les procédures d’attribution des subventions et les éventuels contrôles a posteriori, alors même que les comptes rendus des différentes réunions n’existent pas. « L’absence de formalisation des échanges et des décisions est pénalisante pour retranscrire le processus et les différentes étapes. C’est une vraie difficulté, l’essentiel de ce qui vous est rapporté repose sur des témoignages, des souvenirs », a ainsi admis Sébastien Jallet, en précisant que la version qu’il a livrée aux sénateurs était « ce qu’il avait réussi à retracer après beaucoup de recherches. » Une absence de « formalisation » qui a « étonné » Jean-François Husson, sur un sujet « porté sous les feux de l’actualité », et alors que dans d’autres auditions, la commission a eu accès à des témoignages bien plus précis.

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20 jours pour l’appel à projet : « C’est un délai court, mais pas intenable »

L’ancien directeur de cabinet de Marlène Schiappa lorsque celle-ci était ministre déléguée en charge de la Citoyenneté a tout de même pu établir la chronologie dans laquelle est né le Fonds Marianne. Après des consultations avec des associations qui pourraient mener une action de « contre-discours républicain » numérique commencées à l’automne 2020, les premières demandes de subvention sont déposées en février 2021, explique Sébastien Jallet. Le 7 avril, Marlène Schiappa et son directeur de cabinet décident de ne pas passer par une procédure de subvention classique du Fonds Interministériel de prévention et de la délinquance (FIPD), « de gré à gré », mais par un appel à projets spécifique. « Nous faisons le constat début avril après avoir auditionné les acteurs associatifs, que nous avons peu de projets pour porter le contre-discours sociétal et que l’appel à projets est une manière pertinente de susciter davantage de projets et de partenariats », détaille le préfet, en misant sur la « visibilité » que cela accordera aux 2,5 millions supplémentaires que le ministère avait réussi à obtenir.

D’autant plus que qu’entre les deux, la procédure, explique Sébastien Jallet, celle « qui présente le degré de transparence et d’équité le plus important », c’est l’appel à projets. « Nous aurions pu faire différemment, et nous n’aurions pas ces critiques-là aujourd’hui », regrette-t-il presque. Toujours est-il que le 13 avril, le Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR), l’administration qui gère les demandes de subvention sur ce sujet, est officiellement informé de cet arbitrage, et va devoir monter le cahier des charges de l’appel à projets.

Sur le fond, le cabinet de Marlène Schiappa ne trouve pas grand-chose à redire au texte rédigé par le CIPDR, en revanche, les délais d’ouverture de cet appel à projets sont raccourcis : « Nous sommes sur des délais courts, je l’assume volontiers, dans le cadre d’une menace terroriste qui se situe à un niveau extrêmement élevé. Cela justifie, me semble-t-il, les délais très volontaristes qui ont été retenus : trois semaines pour le dépôt des dossiers de candidature. […] Le contexte est important, on est dans cette obligation ardente d’agir. 45 jours aurait été un délai normal et raisonnable, dans les circonstances exceptionnelles que nous connaissons au printemps 2021 nous sommes sur 20 jours, c’est un délai qui est court, mais pas intenable. »

« Si vous pensez qu’en trois semaines on peut monter quelque chose de sérieux, l’histoire ne vous donne pas tout à fait raison »

C’est le premier point de questionnement de la commission d’enquête à ce stade. Le préfet Gravel, secrétaire général du CIPDR, qui a démissionné suite à la publication du rapport de l’IGA ce mardi soir, avait d’ailleurs mis en cause cette pression du cabinet sur le calendrier, pour expliquer les dysfonctionnements dans le contrôle des subventions lors de son audition au Sénat le 16 mai dernier. Or l’argument de l’urgence de la menace terroriste n’a pas totalement convaincu Claude Raynal, loin de là. « En aucun cas le Fonds Marianne n’est une réponse appropriée à un risque d’attentat. C’est une action qui peut avoir du sens, mais sur le long terme. Ce n’est pas la mise en route du Fonds Marianne qui va être de nature à contrer un risque immédiat », argumente le président de la commission d’enquête, qui y voit surtout un besoin de « communication » du gouvernement « sur le fait qu’il agit. »

Une « commande politique », comme l’avait qualifié le préfet Gravel lui-même, qui n’est pas en soi un problème, puisque « le cabinet d’un ministère est là pour ça, faire des commandes politiques à une administration », précise Claude Raynal, mais qui, dans le cadre de ces délais contraints, explique les difficultés rencontrées a posteriori par le Fonds Marianne. « Ce calendrier induit des manques de surveillance et de vigilance dans le choix des partenaires, parce qu’on va vite. On ne repère pas que l’association [USEPPM] n’a jamais dépassé 50 000 euros de budget annuel, alors qu’elle demande 1,5 million d’euros sur trois ans, et que l’on est hors-jeu complet, en admettant qu’ils aient eu la volonté réelle d’avancer. Il y a sans doute dans ce délai contraint, beaucoup de raisons d’arriver à des soucis par la suite. Si vous pensez qu’en trois semaines on peut monter quelque chose de sérieux, l’histoire ne vous donne pas tout à fait raison. »

La question des rendez-vous en amont avec Mohamed Sifaoui n’est toujours pas éclaircie

En effet, deux associations sont au cœur de l’affaire du Fonds Marianne : l’Union Fédérative des Sociétés d’éducation physique et de préparation militaire (USEPPM) et Reconstruire en commun. L’USEPPM, notamment, a reçu 355 000 euros sur l’année 2021, pour une production finale si limitée que son président avait eu du mal à justifier l’utilisation des subventions devant la commission d’enquête. Sébastien Jallet a indiqué que « la ministre n’avait pas reçu Mohamed Sifaoui », que l’argent du Fonds Marianne aurait permis de salarier au sein de l’association USEPPM, mais que « ses collaborateurs » auraient rencontré à « plusieurs reprises » entre fin mars et début avril 2021, tout comme lui-même « pour le compte » de Marlène Schiappa, le 22 avril. L’essayiste avait annulé son audition pour des raisons médicales le 31 mai dernier, mais la commission d’enquête sénatoriale s’était promis de la programmer.

Lors de ces rendez-vous, « il y a eu une incitation, une invitation à envisager un projet associatif pour recevoir un soutien du CIPDR et une fois que ce projet a été déposé, c’est le CIPDR qui a géré l’entièreté de la relation avec les porteurs de projets », a précisé l’ancien directeur de cabinet de Marlène Schiappa, au cours desquels il n’est pris « aucun engagement financier. » Le rapport de l’Inspection générale de l’administration fait état de six rencontres entre « le cabinet » et Mohamed Sifaoui. « Le rapport transcrit les propos d’un protagoniste mais précise que l’IGA n’est pas en mesure de déterminer le nombre et la nature des réunions qui se sont tenues », a tenu à préciser Sébastien Jallet, alors que l’IGA met en cause un appel à projet « ni transparent, ni équitable. »

« Marlène Schiappa a une réserve sur cette association en raison d’un historique de relation assez ancien »

À l’inverse d’associations « incitées », certaines ont même vu leurs subventions modifiées, après leur validation par l’administration et le cabinet de la ministre le 22 mai lors d’un « comité de sélection » des lauréats du Fonds Marianne. Interrogé sur « une association » pour laquelle le CIPDR s’était prononcé pour une subvention de 100 000 euros et qui n’a finalement rien obtenu, Sébastien Jallet a d’abord botté en touche : « Je n’ai pas beaucoup d’éléments factuels à ma disposition, et pas de souvenirs précis sur une réunion d’une heure et demie qui remonte à deux ans. Les éléments dont je dispose, me permettent de vous dire que les propositions de l’administration ont été presque intégralement validées et entre les notes préparatoires et de sortie, j’ai relevé très peu de différences. »

Tout est dans le presque. « Il y a une note préalable à ce comité de sélection, datée du 20 mai, où cette association est retenue. Il semblerait que, par un mail d’un membre de votre cabinet le 2 juin le financement soit retiré », a ainsi insisté Claude Raynal. La mémoire de l’ex-directeur de cabinet de Marlène Schiappa s’est alors éclaircie : « Cette association était la quatrième de la liste annexe, avec un montant de 100 000 euros proposé. Cela avait été un point de discussion important en comité de sélection et relevait donc de l’arbitrage de la ministre. Je lui ai rendu compte de la liste de lauréats et elle a une réserve sur cette association en raison d’un historique de relation assez ancien. » Marlène Schiappa aurait d’ailleurs été « mise en cause par voie de presse » par un des dirigeants de l’association en question « à la fin du mois de mai. » L’identité de l’association en question n’a pas été précisée en audition, mais du côté de la commission d’enquête, plusieurs sources évoquent SOS Racisme, alors que le 27 mai 2021, l’association avait en effet interpellé le Premier ministre à la suite de propos tenus par la ministre déléguée à l’encontre d’Audrey Pulvar sur l’antenne de France Info. Une information confirmée par Mediapart dans l’après-midi.

Alors que le rapport de l’IGA affirme que Marlène Schiappa se serait « effacée » de l’appel à projets une fois le processus lancé, « là j’ai un vrai problème », a lâché Claude Raynal. « Je n’ai pas choisi les associations. Il y a eu un comité de sélection, formé de membres du CIPDR et de membres de mon cabinet, qui ont validé la préposition qui a été faite », avait ainsi expliqué la ministre à notre antenne le 27 avril dernier. Sébastien Jallet a sobrement expliqué que Marlène Schiappa s’était effectivement « tenue à l’écart du processus » en ne donnant « pas d’instructions particulières » sur le choix des lauréats, mais qu’au moment de « porter l’arbitrage » à la ministre, celui-ci s’était révélé « défavorable. » L’ex-directeur de cabinet de Marlène Schiappa témoignant ainsi sous serment, devant une commission d’enquête parlementaire, que la ministre était bien intervenue dans l’un des dossiers de subvention du Fonds Marianne.

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