Ce matin, la proposition de loi « visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur » a été adoptée par la commission des affaires économiques du Sénat. Elle prévoit des assouplissements sur les pesticides et le stockage de l’eau, et entend calmer les tensions entre les agriculteurs et l’Office français de la biodiversité.
Gaz naturel liquéfié : le Conseil constitutionnel valide le futur terminal méthanier sous réserve
Par Clara Robert-Motta
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A situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles. Le Conseil constitutionnel, saisi par une centaine de parlementaires de gauche sur les deux textes de loi sur le pouvoir d’achat, valide ces derniers mais émet une réserve inédite sur la partie énergie. Pour la première fois, les Sages ont rappelé au gouvernement que « la préservation de l’environnement doit être recherchée au même titre que les autres intérêts fondamentaux de la nation ». En ligne de mire : le futur terminal méthanier flottant dans le port du Havre. Si les mesures prises dans cette loi vont s’appliquer - dérogations au Code de l’environnement pour la mise en service du terminal méthanier flottant - cela ne pourra se faire de façon définitive. Pourtant, entre réduction des délais d’obtention des autorisations ou encore dérogations, le cinquième terminal méthanier français va être dorloté, au grand dam des associations écologistes malgré leurs alertes sur l’impact du gaz naturel liquéfié (GNL).
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La ruée vers le GNL par les Européens découle directement de la guerre en Ukraine. Poussée par la volonté de s’émanciper du gaz russe, l’Union européenne n’a eu de cesse de trouver des alternatives – comme la sobriété énergétique - mais reste à la recherche de nouveaux fournisseurs. Dans cette perspective, le gaz naturel liquéfié se taille une place de choix.
Le GNL c’est quoi ?
Le GNL est un gaz qu’on a condensé à l’état liquide, et donc beaucoup plus pratique en termes de logistique. Plutôt que de le faire passer dans les gazoducs, le GNL, lui, peut être acheminé par bateau. Il nécessite toutefois des terminaux de liquéfaction en amont et de terminaux de regazéification. Les quatre terminaux déjà présents en France sont saturés, d’où le nouveau terminal méthanier prévu au Havre.
Défendu comme une décarbonation de l’énergie, le GNL serait entre 20 et 50 % moins polluant que le charbon et a l’avantage de ne pas émettre de particules fines. Elengy, filiale de GRTgaz qui exploite les terminaux méthaniers français, adoube même le GNL du titre de « la plus propre des énergies fossiles ».
Pourtant ces chiffres sont largement contestés. Durant la discussion sur le projet de loi, le sénateur écologiste, Ronan Dantec, a proposé de supprimer cet article, sans succès, et a dénoncé le choix du gouvernement de privilégier cette énergie. « Il faut dire la vérité aux Français. Une partie des choix que vous avez proposés vont augmenter l’empreinte carbone de la France. Ne dîtes pas qu’il n’y a pas d’empreinte différente entre un gaz naturel qui vient par pipeline et du gaz liquéfié qui vient des gaz de schiste. Assumez. »
Le GNL américain issu du gaz de schiste
Comme l’explique le cabinet de conseil Carbone 4, dans son rapport sur le gaz naturel liquéfié, « tous les crus ne se valent pas ». Et alors que Joe Biden a annoncé un partenariat énergétique en mars dernier de 15 milliards de m3 de GNL garantis pour le marché européen en 2022, le GNL américain fait l’objet de vives critiques. En effet, « environ 79 % de la production américaine totale de gaz naturel sec » provient du gaz de schiste selon l’Administration américaine sur l’énergie. Or, cette technique d’extraction par fracturation hydraulique accumule les conséquences néfastes : pollution des eaux, séismes et émissions de méthane. En France, un moratoire interdit l’exploration et la production du gaz de schiste depuis 2011.
Pour Agnès Pannier-Runacher, la ministre de la Transition énergétique, il est « hypocrite » de refuser le GNL américain plutôt qu’un autre car « la majorité des champs terrestres utilisent la fracturation hydraulique ».
Une pollution également durant le transport
L’empreinte carbone ne s’arrête pas à son extraction, et ses détracteurs pointent du doigt les rejets de méthane – ce gaz dont le GNL est composé à 90 % et qui a un pouvoir de réchauffement 86 fois plus élevé que le CO2. Selon une étude de 2010, entre 3,6 et 7,9 % du méthane issu de la production du gaz de schiste fuiterait dans l’atmosphère.
Les étapes de transformation – liquéfier et regazéifier – consomment également beaucoup d’énergie. Selon le cabinet Carbone 4, le gaz américain serait « près de deux fois plus énergivore et ainsi plus de deux fois plus émissif que le transport par gazoduc ». Une étude de l’ONG Transport & Environment souligne que l’utilisation du GNL, sur certains navires par exemple, subit de fortes pertes de méthane.
Une facture pas qu’environnementale
Les défenseurs de l’environnement ne sont pas les seuls à avoir des doutes sur le GNL. Car même d’un point de vue économique, l’avantage n’est pas évident : le GNL coûterait 20 % de plus que le gaz traditionnel. Or son prix plus élevé va mécaniquement faire augmenter les prix de l’électricité car les prix du gaz et de l’électricité sont couplés. Lors d’un entretien à Public Sénat, Maria-Eugenia Sanin, économiste spécialiste des questions énergétiques, proposait d’ailleurs de les découpler.
Depuis les difficultés d’approvisionnement en gaz russe des Européens, le marché de ce combustible s’est fortement tendu. Sur les marchés, le gaz a pris 145 % de hausse entre juillet 2021 et avril 2022. Cette tension sur les marchés pourrait amener les producteurs à ouvrir de nouveaux sites pétro-gaziers. « Ce serait extrêmement problématique, prévient Claire Maraval de Reclaim Finance. Il faut impérativement mettre fin aux nouveaux projets d’exploration et d’extraction d’énergies fossiles. » L’Agence internationale de l’énergie indique elle-même qu’il faut cesser de développer champs pétroliers et gaziers pour limiter le réchauffement climatique à 1,5°.
Reste que la tension est telle sur le GNL que des pays comme le Pakistan et le Bangladesh, qui n’ont pas les moyens des Européens pour se fournir en gaz pour et assurer leur consommation d’électricité, subissent des coupures de courant qui paralysent leurs économies et provoquent des émeutes.
Du côté du gouvernement, on plaide pour une solidarité européenne. « Tous les flux de gaz importés ne sont pas destinés qu’à la France, explique la ministre de la transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher. Certains de ces flux seront dirigés vers les pays de l’Est qui n’ont pas de façade maritime. Nous alimentons un circuit plus large. »