Ce matin, la proposition de loi « visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur » a été adoptée par la commission des affaires économiques du Sénat. Elle prévoit des assouplissements sur les pesticides et le stockage de l’eau, et entend calmer les tensions entre les agriculteurs et l’Office français de la biodiversité.
Gel des cultures : que va changer la loi assurance récolte ?
Par Public Sénat
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Comme en 2021, la France a enregistré des températures extrêmement basses pour un mois d’avril. La nuit de dimanche a même été la plus froide depuis 1947. L’année dernière, les pertes dues au gel avaient conduit à la mise en place d’un fonds d’urgence pour les exploitants les plus touchés de 20 millions d’euros, et une prise en charge des cotisations sociales pour près de 70 % des exploitations à hauteur de 170 millions d’euros.
« L’Etat sera aux côtés des agriculteurs touchés, comme il l’avait été tout particulièrement lors de l’épisode de gel d’avril 2021 », a assuré le Premier ministre dans un communiqué.
« Des viticulteurs n’ont même pas eu le courage d’aller voir leurs vignes ce matin »
Alors que se prépare une nouvelle nuit avec des températures négatives, « il est encore trop tôt pour tirer un bilan chiffré des conséquences du gel », indique le ministère de l’Agriculture. En Dordogne, en Bourgogne, en Alsace, en Centre-Val de Loire, dans le Lot-et-Garonne ou encore le Maine-et-Loire, « beaucoup d’arboriculteurs sont touchés », a précisé la présidente de la FNSEA, Christiane Lambert qui demande d’ores et déjà « un accompagnement » de l’Etat.
« Au-delà du préjudice économique, il y a aussi le préjudice moral. Des viticulteurs de ma région n’ont même pas eu le courage d’aller voir leurs vignes ce matin. C’est la deuxième année consécutive pour ce secteur qui a déjà eu des problèmes de débouchés avec le covid », explique Nathalie Delattre, sénatrice (RDSE) de Gironde et coprésidente de l’Anev, l’Association nationale des élus de la vigne et du vin.
>> Lire notre article: Gel : « Il faut réformer l’ensemble du système d’assurance » des exploitations agricoles, selon Laurent Duplomb
Adoptée le mois dernier pour une entrée en vigueur janvier 2023, la loi « assurance récolte » est une « première pierre » pour la sénatrice. « Elle va dans le bon sens », confirme Henri Cabanel, sénateur (RDSE) de l’Hérault, viticulteur de métier. Le texte « va permettre une couverture des risques pour tous, plus simple, plus juste et plus protectrice », assure Jean Castex.
De quoi s’agit-il ? Ce texte, assez technique, fixe un nouveau cadre général d’indemnisation tripartite entre les agriculteurs, l’Etat et les assurances. « Une fusée a plusieurs étages » destinée à élargir la couverture assurantielle « d’une profession dont ce n’est pas vraiment la culture », souligne Henri Cabanel.
« Nous avons voulu favoriser le lien de confiance entre l’agriculteur et l’assurance »
A compter de 2023, les risques de faible intensité resteront à la charge de l’exploitant agricole, par de l’épargne de précaution, notamment.
Le risque d’intensité moyenne (20 % de pertes) sera absorbé lui par l’assurance multirisque climatique (MRC), subventionnée par l’Etat à un seuil qui ne pourra excéder 70 %.
Enfin, en cas de pertes « catastrophique », (à partir de 30 % pertes), c’est la solidarité nationale qui jouera. « Le gouvernement n’était pas favorable à ce que nous inscrivions les niveaux de perte dans la loi. Nous avons voulu favoriser le lien de confiance entre l’agriculteur et l’assurance. Chez les arboriculteurs et les éleveurs, seuls 3 % sont assurés. Dans ce même objectif, sous l’impulsion du Sénat, les taux d’intervention de l’État sont pluriannuels, figés sur trois ans. L’agriculteur ne sera pas soumis au diktat de l’Etat dans sa prise en charge », rappelle Laurent Duplomb, rapporteur LR du texte.
« Il ne s’agit plus d’aléas climatiques, mais de dérèglement climatique »
« Actuellement seules 30 % des superficies agricoles sont assurées. C’est un système qui exclut une grande partie des exploitations comme celles qui font du petit maraîchage car le bénéfice/risque est trop élevé pour les assureurs. La loi va favoriser ce système en privilégiant les exploitants qui sont déjà assurés. Paradoxalement, ceux qui sont le plus résilients, qui font de la polyculture seront pénalisés », regrette Guillaume Gontard.
Le président du groupe écologiste du Sénat met en avant un modèle de « fonds public mutualisé, financé par l’Etat, les agriculteurs et toutes les filières en aval comme la grande distribution ». « A la manière de la Sécurité sociale, ce système couvrirait l’ensemble des agriculteurs. Avec cette fréquence, nous sommes bien obligés de reconnaître qu’il ne s’agit plus d’aléas climatiques, mais de dérèglement climatique ».
Henri Cabanel avait quant à lui plaidé pour un système « d’assurance obligatoire » intégrée dans les coûts de production. Pour lui comme sa collègue, Nathalie Delattre, l’enjeu est désormais la négociation au niveau européen d’un nouveau cadre assurantiel. « C’est un règlement (accord de Marrakech sur l’Agriculture de l’Organisation mondiale du commerce) de 1994 et qui fixe une indemnisation en fonction de la moyenne olympique. Cette moyenne repose sur les rendements des cinq dernières années, en excluant la meilleure et la plus mauvaise. « Mais le problème, c’est qu’avec tous ces aléas climatiques, en tant que viticulteur, sur les cinq dernières années, je n’ai que 2 récoltes à peu près normales », explique le sénateur de l’Hérault.
« Si nous n’arrivons pas à débloquer cette moyenne olympique, il n’y aura pas de véritable recouvrement des pertes », renchérit Nathalie Delattre.
Les élus misaient sur la présidence Française de l’Union européenne pour voir ce dossier avancer. A deux mois du terme de la présidence, il semble qu’ils ne seront pas exaucés. « A un moment le principe de réalité va s’imposer pour tous les agriculteurs d’Europe », veut croire la sénatrice.