« On est les moteurs de notre propre servitude » regrette le président de Lagardère Active, Denis Olivennes, qui vient de coécrire avec Mathias Chichportich, le livre « Mortelle transparence » (éditions Albin Michel).
Il déroule son raisonnement : « On est les victimes (…) de la rencontre entre une idéologie de la transparence, qui s’est développée principalement aux États-Unis (…) et qui dit que si vous n’avez rien à vous reprocher, alors vous devez vous montrez nu devant Dieu et devant vos semblables, et (…) la technologie du numérique (…), qui nous apporte bien des choses mais qui, aussi, rentre dans nos vies (…) Donc la rencontre de ces deux phénomènes, une idéologie et une technologie, bouleverse radicalement notre conception de la vie privée (…) Il n’y a pas eu un coup d’État, Google et Facebook n’ont pas renversé nos gouvernements ».
Ce serait de notre fait. La raison ? : » Il y a tant de bienfaits de ce numérique, que l’on voit la phase de lumière mais on ne voit pas l’ombre » assure-t-il.
Mais pour Denis Olivennes, qui se dit optimiste, le scandale contrôle, [qui a dévoilé des failles sur la protection des données de millions d’utilisateurs de Facebook – NDLR] va permettre aux internautes une prise de conscience de ces dangers. D’autant plus que « cette révolution numérique n’est pas si ancienne » : « Elle a 15 ans, 20 ans. À l’échelle de nos vies, c’est beaucoup mais à l’échelle de l’histoire de l’humanité, ce n’est pas énorme ». Donc une reprise en main, par chacun, est encore possible. « La société doit prendre conscience de ce qui se produit (…) Et à partir de là, peut-être que l’on va réfléchir à la manière de bénéficier de cette révolution qui est géniale, sans en avoir les inconvénients » estime-t-il.
« Il faut former à l’usage de ces technologies »
Un des moyens de reprendre la main est l’éducation : « On ne peut pas laisser le monde organisé par les mathématiques. Donc il faut qu’on tire le meilleur parti de ça mais il faut aussi qu’on sache contrôler ce qui se passe collectivement. Et ça passe d’abord par l’éducation (…) Il faut que l’on apprenne à nos enfants, à l’école, au collège, au lycée, ce que c’est que cet outil (…) Il faut former à l’usage de ces technologies » assure le président de Lagardère Active.
Denis Olivennes est aussi très remonté contre le « tribunal du buzz », qu’il voit comme « un autre versant de ce risque de la transparence excessive » : « Les réseaux sociaux (…) sont devenus un gigantesque tribunal à ciel ouvert, sans avocat, sans juge, sans droit de la défense, sans principes contradictoires (…) Notre voisin demain va nous dénoncer. Ou des enfants vont se dénoncer entre eux. Et comme en plus, il n’y a pas de droit à l’oubli sur Internet, c'est-à-dire qu’une chose qui a été postée sur vous va vous poursuivre toute votre existence, il y a un énorme danger de poujadisme numérique (…) Cela atteint (…) la présomption d’innocence. On est tous désormais présumés coupables. C'est-à-dire que [vous pouvez] être attaqué demain sur les réseaux sociaux et pour arriver à faire valoir votre point de vue, il vous faudra beaucoup d’énergie, si vous y parvenez. »
C’est pourquoi, en plus d’un débat collectif, Denis Olivennes souhaite que la société mette en place une régulation, « des formes souples de lois (…), adaptables ».
Et il conclut : « Les États-Unis et nous, n’avons pas du tout le même regard sur ce qu’est la vie privée, ce qu’est la loi. Or, ce monde est planétaire, donc il y a un enjeu de dialogue transatlantique (…) fantastique devant nous. Et la France peut en prendre l’initiative. »
Vous pouvez voir et revoir l’entretien avec Denis Olivennes, en intégralité :
OVPL : entretien avec Denis Olivennes, en intégralité