Images pornographiques : « Un viol psychique » pour les enfants, alerte une psychologue

Images pornographiques : « Un viol psychique » pour les enfants, alerte une psychologue

Après 5 mois de travaux, la mission d’information du Sénat sur les dérives de l’industrie pornographique s’est penchée, mercredi, sur la représentation des femmes et des sexualités véhiculées par ces contenus. Psychologues et sexologues ont dressé un constat alarmant.
Simon Barbarit

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« La pornographie est la drogue par excellence. Elle peut être consommée dans l’anonymat total, en tous lieux en toutes circonstances, de manière totalement gratuite et de manière infinie. Y a-t-il d’autres produits de consommation avec les mêmes caractéristiques » ?

Psychologue clinicienne, spécialisée dans les addictions sexuelles et cybersexuelles, Maria Hernandez-Mora est loin de minimiser la pertinence de la mission d’information du Sénat lancée depuis le début de l’année et qui porte sur les dérives de l’industrie pornographique.

Après s’être penchés sur les conditions de tournage, la régulation de l’industrie, lutte contre la traite des êtres humains, les sénatrices et sénateurs de la délégation aux droits des femmes organisait une table ronde sur les conséquences du visionnage de ces contenus sur les enfants et sur les adultes.

» Lire notre article. Porno : « Il ne faut pas voir uniquement ces femmes comme des victimes », souligne le journaliste, Robin D’Angelo

Pornographie : « Cocaïne numérique »

On l’aura compris. Pour les médecins auditionnés, la pornographie est une drogue. « Elle active un très puissant mécanisme cérébral qui est le système de récompense », explique Maria Hernandez-Mora. Reprenant le terme d’un neuro scientifique américain, elle parle de « cocaïne numérique ».

« La sexualité devient l’objet de dégoût et de fascination en même temps »

Et comme toute drogue, les effets sont néfastes. Ils le sont d’autant plus lorsque le premier contact avec des images pornographiques est précoce chez l’enfant. En moyenne, il intervient à l’âge intervient majoritairement avant 15 ans (70% pour les garçons et 53% pour les filles), selon un sondage Opinonway. « Ces contenus correspondent à de véritables images traumatiques pour des cerveaux encore vierges dans leur développement neuronal, incapable de prendre du recul face aux images observées […] Après ce premier contact, la sexualité devient l’objet de dégoût et de fascination en même temps […] Ce contact précoce, on peut le nommer viol psychique car il envahit de manière inattendue et brutale la pensée et l’imaginaire de l’enfant et devient un puissant facteur de risque pour le développement d’une addiction à partir de l’adolescence », alerte-t-elle.

Fondatrice de l’association Déclic-Sortir de la pornosphère, Maria Hernandez-Mora insiste sur l’exposition par ces contenus à une « sexualité dure, violente ou la femme est un objet de consommation, et ou les dimensions constitutives d’une sexualité saine, tels que l’intimité, l’affectivité, le respect le consentement, sont absentes ».

Lire notre article : Porno : « C’est du proxénétisme à l’échelle industrielle », dénoncent les associations féministes auditionnées au Sénat

« Comment se fait-il que les femmes aiment sucer le sexe des animaux ? »

Israël Nisand, gynécologue-obstétricien, qui intervient les collèges pour « faire de l’information à la sexualité » a noté depuis une dizaine d’années et l’apparition des « tubes », que les questions des élèves avaient évolué de manière inquiétante. « Je suis tombé de l’armoire quand la première fois qu’un jeune au fond d’une classe m’a demandé m’a demandé : comment se fait-il que les femmes aiment sucer le sexe des animaux ? J’ai essayé de dire qu’aucune femme n’aime faire ça et que les pauvres femmes qui se sentent obligées de le faire c’est pour gagner de l’argent et nourrir leurs enfants », a-t-il narré.

» Lire notre article. Porno : « Il ne faut pas voir uniquement ces femmes comme des victimes », souligne le journaliste, Robin D’Angelo

Le jeune en question n’avait pas été convaincu se basant « sur les cris » de plaisir de l’actrice. « Un ado de 14 ans n’a pas l’appareil critique nécessaire pour analyser ce qu’il voit. Ce qu’il voit : c’est la vraie vérité vraie. Ce qu’il entend : c’est la vraie vérité vraie. Il ne peut pas se mettre à distance. Les mêmes images qui pourraient faire rire ou exciter les adultes, chez les enfants ça donne la notion suivante : c’est ça la norme », a-t-il exposé.

Maria Hernandez-Mora rappelle que depuis l’apparition du smartphone en 2007, le nombre de violences sexuelles « s’est accru de manière exponentielle ». « L’hypothèse est que l’accessibilité aux contenus pornographiques dès le plus jeune âge a favorisé de manière massive l’influence des récits pornographiques ».

> > Lire notre article. Porno : coup de chaud pour Dorcel et « Jacquie et Michel » auditionnés au Sénat

« La pornographie c’est le lieu de la représentation de la sexualité par défaut »

Mais la pornographie a aussi de graves répercussions dans la sexualité des adultes. Margot Fried-Filliozat, sexothérapeute, intervenante en éducation sexuelle et affective, voit surtout passer des femmes dans son cabinet. « La majorité des femmes qui viennent me voir et pensent que leur corps ne fonctionne pas. Elles demandent de l’aide pour satisfaire leur mari. A chaque fois […] on se rend compte que l’approche de la sexualité n’est absolument pas épanouissante. Dans le porno, on voit peu de tendresse, peu d’amour, peu de communication […] On rentre dans une dynamique où on essaye de se conformer à ce modèle qui ne peut pas marcher […] La pornographie c’est le lieu de la représentation de la sexualité par défaut. Pour les enfants comme pour les adultes, il n’y a aucun autre endroit pour apprendre la sexualité ».

 

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