Mayotte Cyclone Chido
Mayotte a été dévastée par le cyclone Chido, en décembre 2024.

Immigration, logement, social : examen mouvementé en vue pour le projet de loi de refondation de Mayotte

Le projet de loi-programme visant à « refonder Mayotte » sera examiné en séance plénière au Sénat à partir de ce lundi 19 mai. Dense, ce texte prévoit de nombreuses mesures destinées à développer l’archipel, aujourd’hui le département le plus pauvre de France. Plusieurs dispositions, notamment sur le plan sécuritaire et migratoire, suscitent une levée de boucliers de la gauche, qui tentera de faire entendre sa voix dans l’hémicycle.
Théodore Azouze

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Répondre aux fortes attentes des Mahorais. Le projet de loi-programme visant à « refonder Mayotte », examiné à partir de ce lundi 19 mai en séance plénière au Sénat, a l’ambition de reconstruire en profondeur l’archipel. Porté par le ministre des Outre-mer Manuel Valls, le texte suit une précédente loi d’urgence, adoptée l’hiver dernier après le passage du cyclone Chido, qui avait dévasté une partie du département. Reconstruction des écoles et des infrastructures détruites par la tempête, facilitation des dons… Plusieurs mesures ont déjà été mises en œuvre à cette occasion. 

Cette fois, ce nouveau projet de loi prévoit d’aller bien plus loin pour réformer en profondeur la zone. « Si le cyclone a ravagé Mayotte, il a surtout exacerbé des calamités qui existaient déjà », a résumé Manuel Valls lors de son audition au Sénat, le 13 mai dernier. La situation économique et sécuritaire au sein de ce territoire est très difficile depuis des années. Mayotte est toujours le département le plus pauvre de France. Une grande partie de la population ne bénéficie pas d’un logement décent : en 2019, plus de 22.000 habitations de fortune étaient recensées à Mayotte. La région doit aussi absorber d’importants flux migratoires, principalement venus des Comores. Sans action sur ces arrivées, la population pourrait atteindre 760.000 habitants en 2050, selon l’Insee.

Un rapport annexé pour fixer de grandes orientations

Particularité de ce projet de loi : son premier article consiste en l’approbation d’un rapport annexé sur la mise en place de différents engagements par l’État à Mayotte. Ce document, qui pourra lui-même être amendé par les sénateurs, aura une valeur juridique. Poursuite du « plan eau » contre les pénuries, amélioration de l’aéroport de l’archipel, renforcement des capacités portuaires… Les projets évoqués à travers cette annexe sont variés. Au total, la loi-programme doit permettre l’octroi de 3,2 milliards au département et à son développement. Celle-ci est « absolument indispensable » pour « donner des perspectives et de la confiance au territoire, où la défiance vis-à-vis de l’Etat est forte », souligne l’un de ses deux corapporteurs, le sénateur (Horizons) Olivier Bitz, interrogé par l’AFP. En commission des lois, les sénateurs avaient approuvé presque l’ensemble des mesures initiées par le gouvernement. Sauf surprise, les débats devraient se conclure de la même manière dans l’hémicycle.

Parmi le reste des dispositions présentes dans le texte, une priorité semble se dégager à la lecture des propositions du gouvernement : la lutte contre l’immigration illégale. La question est une problématique de longue date à Mayotte. Près de la moitié (48%) de la population y est étrangère, d’après des chiffres de l’Insee en 2019. Un quart des habitants est en situation irrégulière. Dès 2022, Emmanuel Macron, alors en campagne, avait promis « des mesures radicales pour rendre ce territoire moins attractif aux étrangers ». Une volonté de nouveau répétée lors de son déplacement sur place, mi-avril. 

Durcissement de l’accès aux titres de séjour

Soutenues par la majorité sénatoriale, plusieurs dispositions liées au sujet migratoire à Mayotte devraient susciter le débat dans l’hémicycle au Sénat. Les différents groupes de gauche ont déposé plusieurs amendements de suppression d’articles controversés. C’est le cas de l’article 2, qui met en place plusieurs nouvelles règles pour limiter l’accès au territoire mahorais à des immigrés en situation irrégulière. Son objectif est de réduire le nombre de titres de séjours accordés pour la « parenté d’un enfant français » ou pour des « liens personnels familiaux ». Dans le détail, avec cette règle, une carte de séjour temporaire ne pourrait être obtenue pour l’un de ces deux motifs qu’à la condition de la production d’un visa long séjour – contrairement à aujourd’hui, où les parents sont exemptés de ce document pour en obtenir une. 

« Une telle mesure signifie qu’un étranger père ou mère d’un enfant mineur français dès lors qu’il serait entré à Mayotte sans visa ou avec un simple visa de court séjour ne pourra jamais être régularisé », déplore la sénatrice (PS) Corinne Narassiguin dans son amendement. Consulté pour avis, le Conseil d’État ne dit pas l’inverse : pour lui, ces règles « semblent interdire toute régularisation ». Mais la plus haute juridiction administrative française estime aussi que les préfets pourront toujours en permettre à la marge, comme prévu dans leurs prérogatives. 

À l’instar des écologistes ou des communistes, les socialistes demandent la suppression de cet article, qui durcit également les conditions de résidence nécessaires à l’obtention d’un titre de séjour. Dans un autre amendement, la sénatrice Sophie Briante Guillemot (RDSE) propose quant à elle un intermédiaire : rendre applicables « les dispositions relatives à l’admission exceptionnelle » instaurées par le Code l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda), mais qui font l’objet d’une dérogation pour Mayotte. D’après la parlementaire, cette évolution serait de nature à « formaliser une voie exceptionnelle de régularisation humanitaire », sans modifier l’essence de l’article.

Vers le placement en rétention d’adultes accompagnés de mineurs ?

Les trois groupes de gauche vont par ailleurs contester une autre disposition polémique, mentionnée dans l’article 7 du projet de loi. Celui-ci prévoit d’ouvrir la possibilité de placer en rétention un adulte accompagné d’un mineur pendant 48 heures – voire 72 heures dans certaines conditions. Et ce, « dans des lieux spécialement adaptés à la prise en charge des besoins de l’unité familiale ». La mesure ne s’appliquerait qu’à Mayotte. Il s’agirait d’une exception par rapport aux autres territoires français : en janvier 2024, Gérald Darmanin, alors ministre de l’Intérieur, avait signé une ordonnance rendant impossible un tel cas de figure. Y compris dans l’archipel mahorais, dans lequel la règle devait s’appliquer à partir de 2027. 

« Les « unités familiales » présentées comme des avancées ne sont qu’un enrobage humanitaire à des pratiques de privation de liberté », a déploré le groupe écologiste dans un communiqué. Dans son amendement, Corinne Narassiguin évoque de son côté « un reniement » de la part du gouvernement, en référence aux déclarations sur le sujet de Gérald Darmanin lorsqu’il était en poste place Beauvau. Le Rassemblement national, lui, pousse pour une dynamique inverse. Les trois sénateurs du parti soutiennent en effet un amendement pour pousser à 89 heures la durée maximale de rétention d’un adulte accompagné d’un mineur. Un délai jugé selon eux « plus réaliste et opérationnel pour organiser l’éloignement effectif dans le respect des garanties procédurales ».

Le projet de loi aspire d’autre part à s’attaquer au fléau de la violence des jeunes à Mayotte. D’après des chiffres de l’Insee datant de fin 2021, 66% des agressions dans le département seraient liées à l’implication d’au moins un mineur, contre 41% en France métropolitaine. Dans son article 8, la loi-programme planifie la possibilité d’un retrait d’un titre de séjour d’un parent lorsque son enfant mineur représente une menace à l’ordre public.

Là encore, la gauche sénatoriale critique une mesure « inutile » ou « contrevenant aux obligations de l’État en matière de protection de l’enfance ». Dans un amendement de suppression, la sénatrice communiste Evelyne Corbière Naminzo, pointe plus spécifiquement les éventuelles difficultés rencontrées par des fratries en application de cette mesure. À défaut d’une suppression, elle propose donc de créer une exception à cette hypothèse d’un retrait lorsque les parents ont plusieurs enfants mineurs à charge. Les Républicains, groupe le plus fourni au Palais du Luxembourg et à l’initiative d’une proposition de loi adoptée au Sénat mi-mars destinée à durcir le droit du sol, devraient soutenir comme en commission l’ensemble des mesures de ce volet migratoire.

Désaccords sur l’habitat illégal

Devant le Sénat il y a une semaine, Manuel Valls a répété qu’il n’avait « pas d’obsession migratoire » à Mayotte. En revanche, l’ex-Premier ministre avait bien identifié début janvier, lors d’une audition à l’Assemblée nationale, l’immigration clandestine comme « l’un des deux fléaux » dont « souffre » l’archipel. Le second domaine pointé dans son discours ? « L’habitat illégal », qui fait l’objet de plusieurs articles à part entière dans le projet de loi-programme. L’un d’entre eux, l’article 10, cible plus particulièrement les bidonvilles, très nombreux à Mayotte. Il facilite sur plusieurs aspects les expulsions de ces habitats précaires et leur démolition. D’après le rapport de la Commission des affaires économiques du Sénat, en 2019, 38% des habitations présentes à Mayotte étaient constituées en tôles. 

Encore plus controversée, le gouvernement remet aussi sur l’établi une disposition retoquée lors de l’examen du texte de loi d’urgence pour Mayotte votée il y a quelques mois. Elle concerne les expropriations. Lorsqu’elles seront motivées pour « cause d’utilité publique » ces procédures pourraient être favorisées en cas d’adoption de l’article 19 du projet de loi. Les groupes SER et RDSE réclament sa suppression, tout comme la députée Salama Ramia, pourtant issue du groupe RDPI, soutien du camp présidentiel. Cette mesure est « mal accueillie à Mayotte et perçue comme un moyen détourné de mettre main basse sur le foncier détenu par la population », précise dans son amendement l’élue de l’archipel.

Volonté de « convergence sociale »

Éducation, recensement démographique, contrôle des armes, gouvernance locale… Au fil des 34 articles, le texte propose des transformations dans de nombreux domaines. « On ressent une vraie démarche d’engagement de l’Etat pour nous aider à sortir de cette crise », salue auprès de l’AFP Salama Ramia. « Mais l’urgence pour nous, c’est d’avoir un échéancier, un calendrier précis des investissements. » Dans cette optique, un dernier point apparaît tout de même comme essentiel : la volonté de mettre fin à Mayotte à l’exception sociale aujourd’hui existante. RSA bien plus faible que dans tous les autres départements ultramarins, niveau Smic abaissé, propre système de retraites et d’assurance-maladie… Mayotte s’est organisée autour d’acquis sociaux bien moins importants que dans le reste de la France. 

L’article 15 du projet de loi propose de revenir sur cet état de fait. Via cette disposition, le gouvernement entend légiférer dans les prochaines années par ordonnance afin d’atteindre « la convergence sociale » de Mayotte avec la métropole, comme avancé par Manuel Valls. Le texte mentionne néanmoins que ces évolutions, qui devront être échelonnées d’ici à 2031, ne concerneront pas « l’aide médicale d’État ». Communistes, écologistes et socialistes souhaitent revenir sur cette précision. 

Autre ambition importante : la création d’une zone franche pour la quasi-totalité des entreprises mahoraises, avec un abattement fiscal de 100%. « Cette révision de la zone franche globale, bien ciblée, permet d’exonérer les entreprises mahoraises de 18 millions d’euros d’impôts », soutiennent les sénateurs (RDPI) Georges Patient et Stéphane Fouassin, consultés pour avis sur le projet de loi par la commission des finances. Le gouvernement espère dynamiser l’économie de Mayotte grâce à cette mesure. Le vote solennel sur l’ensemble du texte est programmé pour le 27 mai au Sénat, avant de basculer à l’Assemblée nationale au mois de juin.

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