Inflation : le casse-tête de la baisse des prix des produits alimentaires

Inflation : le casse-tête de la baisse des prix des produits alimentaires

Assemblée nationale, Sénat, gouvernement. Depuis une semaine, le pouvoir législatif et l'exécutif annoncent vouloir mener l’enquête sur une hausse de prix « suspecte » dénoncée par Michel-Edouard Leclerc. A la Haute assemblée, les auditions ont déjà commencé dans le cadre du comité de suivi de la loi Egalim.
Simon Barbarit

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C’est un jeu de billard à trois ou plutôt quatre bandes qui se présente devant le gouvernement au moment où l’inflation atteint près de 6 % sur les produits alimentaires depuis un an : Préserver le pouvoir d’achat des consommateurs sans mettre en péril les producteurs, ni braquer les industriels et les distributeurs.

Michel-Edouard Leclerc a lancé un pavé dans la mare, la semaine dernière, sur BFM-TV en demandant aux parlementaires d’enquêter sur des hausses de prix « suspectes ». Le médiatique président du comité stratégique des centres commerciaux Leclerc n’a d’ailleurs pas hésité à pointer du doigt certains industriels, comme Nestlé. « Il y a une partie de l’inflation qui est liée à la spéculation ». « L’Ukraine a bon dos », avait-il argué.

Distributeurs, agriculteurs, industriels reçus au Sénat

Le coup de gueule de Michel-Édouard Leclerc a été suivi des faits. A l’Assemblée nationale, les groupes LFI et RN ont demandé la mise en place d’une commission d’enquête. Au Sénat, le groupe CRCE, (Communiste républicain citoyen et Écologiste) a, lui, plaidé pour « la mise en place d’une mission d’information flash ». A quelques jours, de l’examen du projet de loi sur le pouvoir d’achat, les élus communistes ont été entendus. La chambre haute est déjà au travail et a commencé un cycle d’auditions via le comité de suivi Egalim afin de rendre un premier bilan des causes de l’inflation autour du 20 juillet.

Selon nos informations, différents acteurs de la filière se sont succédé ou vont se succéder à la Haute assemblée : pour les distributeurs ; la Fédération du Commerce et de la Distribution (FCD), Intermarché, Leclerc. Pour les industriels, l’Association Nationale des Industries Alimentaires (ANIA), et l’Association des entreprises de produits alimentaires élaborés (ADEPAL). Les agriculteurs ne sont évidemment pas oubliés, la FNSEA (la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles), la Confédération paysanne et les Jeunes agriculteurs sont ou seront auditionnés ainsi que des représentants de Bercy.

>> Lire notre article. « Egalim 2 » : sénateurs et députés aboutissent à un compromis

« Le Sénat ne s’est pas engagé dans l’optique de jeter à la vindicte l’un des acteurs de la filière »

Les auditions ne sont pas publiques et comme le rappelle une source proche du dossier, la mission des élus va s’avérer délicate. « Il n’y aura pas de grande surprise. Comment savoir si des industriels se font du gras sur les distributeurs puisqu’ils ne communiquent pas leurs comptes ? Il faudrait connaître la structure exacte du coût d’un produit mais c’est très compliqué donc nous sommes tributaires des déclarations des uns et des autres ». Quant à l’opportunité de mettre en place une commission d’enquête, on nous répond : « Ça durerait 6 mois et vous auriez les résultats au moment où l’inflation commencerait à redescendre. Et le Sénat ne s’est pas engagé dans l’optique de jeter à la vindicte l’un des acteurs de la filière. C’est un choix politique, car lorsque vous apportez une réponse à l’un vous décevez les autres ».

Bruno Le Maire en a fait les frais lorsqu’il a annoncé une mission de l’Inspection générale des finances (IGF) pour s’assurer du respect de la loi Egalim. Le texte impose aux distributeurs de vendre les produits alimentaires avec une marge minimale de 10 % censée bénéficier aux producteurs.

S’il s’avère que les dispositifs de cette loi ne profitent pas aux producteurs, « il faudra réfléchir à la possibilité de les modifier », a indiqué le ministre de l’Economie, en proposant par exemple que les promotions puissent aller jusqu’à 50 %, au lieu des 34 % autorisés par cette loi.

« Il faut revoir la loi Egalim »

De quoi satisfaire Michel-Édouard Leclerc qui veut revoir les contrats tout juste signés le 1er mars à l’issue des négociations commerciales de la mise en application de la loi Egalim 2 visant à œuvrer pour une « juste rémunération des agriculteurs ».

>> Lire notre article. Pouvoir d’achat : « On va vers une inflation de 4 % », prévient Michel-Edouard Leclerc

A l’autre bout de la chaîne, l’annonce du ministre de l’Economie a été jugée « scandaleuse » par la présidente de la FNSEA, Christiane Lambert. « On est la variable d’ajustement sur laquelle on presse », a-t-elle déploré auprès de l’AFP.

« C’est merveilleux, cette proposition », ironise Sophie Primas, la présidente LR de la commission des affaires économiques du Sénat. « Quand on rémunère mieux les agriculteurs, au bout il y a un effet inflationniste. C’est pareil avec le SRP + 10 (seuil de revente à perte plus 10 %), je vais me mettre les agriculteurs à dos, mais c’est un artifice […] qui a un effet inflationniste sur des produits pour lesquels les distributeurs ne faisaient pas de marge jusque-là. Je comprends l’objectif qui est poursuivi mais je ne suis pas sûre que ce soit les bons moyens. Je pense qu’il faut revoir la loi y compris la deuxième partie qui crée de nouvelles obligations pour les agriculteurs. Et ça crée des charges supplémentaires et donc une baisse de compétitivité ».

La FNSEA a toutefois semblé rassurée après un rendez-vous pris en urgence à Bercy ce mardi. « Bruno Le Maire a réaffirmé son soutien à la loi Egalim et tous ses dispositifs (SRP, encadrement des promotions à 34 %). La FNSEA soutient et participera à l’inspection des marges excessives », a tweeté Christiane Lambert. Bercy a rappelé qu’un guichet unique, via une adresse mail, est ouvert depuis ce mardi auprès de la DGCCRF, où les acteurs de l’alimentaire peuvent faire remonter des signalements sur les prix des produits.

L’entourage du ministre a précisé toutefois qu’il continue d’avoir à cœur de concilier prix bas pour les consommateurs et juste rémunération des producteurs en ces temps d’inflation.

Mais alors où trouver les marges ? Dans l’industrie Agroalimentaire ? Déjà touché par la hausse des coûts de production, le secteur pourrait également être concerné par une disposition du projet de loi pouvoir d’achat qui autorise le gouvernement à fusionner les branches qui comportent au moins un coefficient inférieur au Smic en vigueur, une mesure destinée à les inciter à renégocier les salaires. Selon un recensement de la CGT effectué en mai 2022, l’agroalimentaire compte 28 branches dont les minima sont inférieurs au Smic.

Quant à l’inflation liée à la « spéculation » pointée par Michel-Edouard Leclerc ? « C’est un sujet mondial », répond-on du côté du Sénat. « On ne peut pas empêcher un fonds de pension qui a acheté un stock de céréales, de le revendre à la hausse après le conflit ukrainien ».

 

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