Influenceurs : le Sénat vote la loi pour réguler leurs pratiques commerciales

Le Sénat a adopté la proposition de loi visant à réguler le secteur des influenceurs. Si tous les bancs ont salué une régulation bienvenue de « l’influence commerciale », la réglementation de la publicité au-delà des seuls influenceurs a pu faire débat.
Louis Mollier-Sabet

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« C’était en 2013 que le célèbre ‘non mais allo quoi’, prononcé par Nabilla Vergara s’est répandu comme une traînée de poudre sur les réseaux sociaux », a rappelé Jean-Baptiste Lemoyne, sénateur RPDI-Renaissance, lors des débats autour de la proposition de loi sur la régulation des influenceurs. Seulement, à l’époque, Nabilla « Vergara », du nom de son compagnon actuel, s’appelait Nabilla « Benattia », et que le « non mais allo quoi », prononcé dans la saison 5 des Anges de la téléréalité, avait d’abord fait fureur au « Zapping » et dans les diverses reprises télévisuelles. Un autre monde, presque, puisque dix ans plus tard, le Parlement se retrouve à examiner une première loi de régulation du secteur des « influenceurs », initiative inédite en Europe.

C’est que, depuis les premières saisons des Anges, des Chtis, ou des Marseillais, le secteur a bien changé. La participation à ce genre d’émissions n’est devenue qu’un tremplin parmi d’autres pour arriver à monétiser sa popularité – son « influence » – sur les réseaux sociaux. Les annonceurs sont en effet particulièrement intéressés par la visibilité qu’ils peuvent acquérir assez facilement vis-à-vis d’un jeune public, bien plus « engagé » par le contenu des personnalités qu’ils suivent, que par une simple publicité qui passe à la télévision. L’effervescence de ce nouveau secteur d’activité économique, qui regrouperait actuellement 150 000 créateurs de contenus, a mis un peu de temps à s’imposer comme sujet pour les médias traditionnels et le législateur. C’est la polémique lancée à l’été dernier par le rappeur Booba sur les soi-disant « influvoleurs » – notamment contre Magali Berdah, qui l’accuse de harcèlement – qui a mis le sujet sur la carte.

Régulation des influenceurs : « Nous nous exposons à des risques de rupture d’égalité »

Après une consultation menée par Bercy depuis décembre qui a réuni plus de 200 000 contributions et a fait participer plus de 400 professionnels du secteur, la proposition de loi transpartisane de Stéphane Vojetta (Renaissance) et Arthur Delaporte (PS) a été adoptée à l’unanimité à l’Assemblée nationale le 30 mars dernier. Sous le regard des deux députés qui étaient présents dans la tribune de l’hémicycle ce mardi, la même unanimité s’est dessinée sur l’objectif global de la loi de créer un statut juridique « d’influenceur commercial » et de traduire la législation en vigueur pour ce type d’activité. L’examen en commission avait déjà permis de préciser certaines interdictions, comme celle de la promotion de l’abstention thérapeutique ou des sachets de nicotine. Mais, la séance a permis à la fois aux sénateurs de tous bords de saluer une « première étape » dans la régulation du secteur, tout comme ils ont été l’occasion d’afficher des désaccords politiques plus globaux sur la régulation de la publicité.

Les débats de la soirée autour de la régulation des influenceurs ont parfois un peu pris la tournure répétitive et rituelle des placements de produits. Un amendement de la gauche, souvent, des centristes ou du groupe RDSE, parfois et de la droite, occasionnellement, proposait d’interdire tel ou tel type de promotion. Cette interdiction concernait tour à tour l’alcool, les produits alimentaires trop gras, trop sucrés ou trop salés, les NFT, les médicaments ou même la mise en scène d’animaux sauvages non-domestiques. Des secteurs qui font parfois déjà l’objet d’une régulation spécifique de la publicité sur les canaux traditionnels, et qui est rappelée par cette loi aux influenceurs commerciaux, ont expliqué à de nombreuses reprises Amel Gacquerre, la rapporteure centriste du texte, et Olivia Grégoire, Ministre déléguée chargée des Petites et Moyennes Entreprises, du Commerce, de l’Artisanat et du Tourisme.

« Nous nous exposons à des risques de rupture d’égalité injustifiée, si nous créons plus d’interdictions pour les influenceurs commerciaux qu’il en existe pour les autres canaux de publicité », a notamment expliqué la ministre à propos d’amendements de Fabien Gay, sénateur communiste sur le copy-trading et les NFT, et d’Arnaud Bazin et Céline Boulay-Espérionnier, sénateurs LR, à propos des animaux sauvages non-domestiques. L’amendement d’Arnaud Bazin, l’un des rares qui a été adopté en séance, interdisant la mise en scène d’influenceurs avec des animaux domestiques, a finalement été voté contre l’avis de la commission et du gouvernement.

Fraude des influenceurs : « Vous dites que c’est déjà punissable, mais ce n’est pas puni ! »

« Tous les débats menés ici sont justes, mais il ne faut pas les mener sur les influenceurs seulement. Il va y avoir un problème de rupture d’égalité devant la loi qui met en péril le texte devant le Conseil constitutionnel », a confirmé Sophie Primas, présidente LR de la commission des Affaires économiques. « Les usages détournés ou trompeurs sont déjà punis par deux articles du Code de la santé publique », a ajouté Olivia Grégoire en réponse à plusieurs amendements, venant là aussi de la gauche comme de la droite sénatoriale, qui s’attaquaient la promotion d’usages détournés de certains médicaments.

Cela a notamment pu être le cas avec l’Ozempic, médicament antidiabétique (type 2), qui a été promu pour ses prétendues vertus amincissantes. Le succès de la « trend » sur TikTok a même conduit les autorités sanitaires à déclarer le médicament « en tension ». L’approvisionnement de certaines pharmacies a été compromis, suscitant des difficultés sérieuses pour certains patients atteints de diabète, première maladie chronique en France. Face à la répétition de ces arguments, certaines sénatrices et certains sénateurs se sont montrés un peu agacés.

« Je ne comprends pas bien à quoi sert ce texte. On a un sujet de fond avec les influenceurs. Vous nous dites que les règles existent, mais personne ne les respecte, et personne ne les contrôle », a notamment fustigé la sénatrice LR, Jacqueline Eustache-Brinio. « Vous dites que c’est déjà punissable, mais ce n’est pas puni », s’est aussi inquiété François Bonhomme, sénateur LR, face à une fin de non-recevoir de la commission et du gouvernement sur l’encadrement des promotions de certains médicaments.

« On supprime tous les plaisirs de la vie que sont de manger du sucré et du salé »

Du côté de la gauche de l’hémicycle, on a regretté qu’Amel Gacquerre comme Olivia Grégoire mettent en avant la rupture d’égalité, alors que les « dérives » des influenceurs – nommées ainsi par le texte de loi – pourraient aussi être l’occasion de remettre la réglementation de la publicité sur le métier. « On nous dit que nos interrogations sont légitimes et ensuite on sort la rupture d’égalité, et c’est terminé. Mais si notre débat est légitime, on va finir ce texte qui est un premier encadrement, puis on va se mettre au travail sur la réglementation de la publicité au sens large. Si on est toutes et tous d’accord sur ces sujets-là, et qu’il y a une volonté de travailler ensemble, ayons un vrai débat politique de fond, allons-y. Comme tout est légitime, on va rapidement pouvoir se mettre d’accord », a notamment ironisé Fabien Gay en s’adressant aux bancs du gouvernement et à la majorité sénatoriale.

Le sénateur communiste a finalement sous-entendu que derrière la justification de ne pas introduire de rupture d’égalité, il y a une position politique qui consiste à refuser un niveau élevé de régulation pour favoriser l’activité économique. Ce qu’a parfois pu assumer la majorité sénatoriale dans les débats. S’opposant à une interdiction pour les mineurs de moins de 16 ans de faire de la promotion pour les produits trop gras, trop sucrés ou trop salés, proposée par la gauche comme par François Bonhomme (LR), au nom d’objectifs de « santé publique », Laurent Duplomb (LR) a notamment affirmé : « J’en ai marre que l’on soit toujours en train de dire ce qu’il faut faire ou ne pas faire. Sur l’industrie agroalimentaire on met beaucoup trop de contraintes. Regardez le nutri-score. On supprime tous les plaisirs de la vie que sont de manger du sucré et du salé. »

« J’ai l’impression d’entendre mes parents parler de la télévision dans les années 1970 »

Sans être aussi directe, Sophie Primas a tenu à rappeler que « les problèmes d’obésité et de diabète » étaient « très antérieurs à l’apparition des réseaux sociaux » et que de se focaliser sur les influenceurs était donc disproportionné. « J’ai l’impression d’entendre mes parents parler de la télévision dans les années 1970 », a-t-elle même lâché. « Nous sommes en train de rendre coupable tous les influenceurs de tous les maux que nous connaissons depuis longtemps, attention à ne pas stigmatiser les influenceurs », a ajouté Amel Gacquerre.

Un rendez-vous a tout de même été pris en fin de séance lors du prochain projet de loi de finances (PFL), où Olivia Grégoire a promis à demi-mot des augmentations de moyens pour la Direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes (DGCCRF). « Je suis sensible à ce que vous dites », a en effet répondu la ministre à Fabien Gay, qui proposait une demande de rapport sur la dimension des effectifs de cette division de Bercy. Une quinzaine d’agents de la DGCCRF sont actuellement consacrés à la répression des fraudes dans le secteur de l’influence commerciale. « Je n’en dirai pas plus, je prépare le PLF. Il y aura […] des choses en dur, c’est le combat que m’attellerai à mener dans les mois qui viennent. »

Avant les prochaines discussions budgétaires à l’automne prochain, sénateurs et députés devront d’abord se mettre d’accord en commission mixte paritaire (CMP) pour que le texte finisse son parcours législatif.

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