Invitée de la matinale de Public Sénat ce vendredi, la sénatrice écologiste des Français de l’étranger Mélanie Vogel s’est exprimée sur le procès des viols de Mazan, en cours en ce moment à Avignon. Elle a ainsi plaidé pour l’inscription de la notion de consentement dans la définition pénale du viol.
INSEE : ce que la stabilité du taux de pauvreté ne dit pas
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L’INSEE a publié mercredi 3 novembre son estimation du taux de pauvreté en 2020, qui serait « stable » par rapport à celui de 2019. Inutile de dire que le diagnostic a pu en surprendre certains après des mois de crise sanitaire et sociale qui a mis les associations caritatives et les plus démunis à rude épreuve. Le Sénat avait d’ailleurs lancé, au début de l’année 2021, une mission d’information sur « la lutte contre la précarisation et la paupérisation. » L’INSEE vient-il rétablir la vérité statistique qui se cache derrière quelques images chocs de queues devant les banques alimentaires ? Pas vraiment, de l’aveu même de Jean-Luc Tavernier, son directeur général, qui tient bien à rappeler dans sa note de blog « qu’un seul indicateur ne peut pas à lui seul rendre compte d’une réalité sociale ou économique comme la pauvreté. »
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Le nombre de pauvres dans l’ensemble de la population n’a pas explosé
D’abord, l’INSEE raisonne en termes de « niveau de vie », c’est-à-dire de revenus divisés par des « unités de consommation » de chaque ménage : le premier adulte vaut 1, toute autre personne du ménage de plus de 14 ans vaut 0,5, quand les enfants de moins de 14 ans valent 0,3. Ainsi, le niveau de vie d’une personne vivant dans un ménage formé par un couple où chacun gagne 2000 euros par mois et deux enfants en bas âge sera d’environ 1900 euros. Par convention, les statistiques européennes estiment le seuil de pauvreté à 60 % du niveau de vie médian, qui divise la population en deux parties égales. Donc, quand l’INSEE mesure le « taux de pauvreté », il mesure le nombre de personnes qui ont un niveau de vie inférieur à ce seuil de pauvreté, ce qui correspond aujourd’hui à 14,8 % de la population, soit 9,3 millions de personnes. Le taux de pauvreté est donc un indicateur de répartition des revenus à l’échelle de l’ensemble de la population française : sa stabilité veut simplement dire qu’il n’y a pas plus de personnes en 2020 ayant un niveau de vie inférieur au seuil de pauvreté qu’en 2019.
Malgré la crise sanitaire et les confinements, donc. D’après l’INSEE, cette stabilité est grandement liée au « dispositif d’activité partielle » mis en place par le gouvernement, qui a empêché les revenus des ménages de chuter et les entreprises de fermer. Mais les données montrent aussi que l’activité partielle a surtout soutenu « les personnes de niveau de vie intermédiaire », puisque les plus pauvres n’avaient pas forcément d’emploi salarié stable, et que les plus riches ont pu travailler à distance plus facilement pendant les confinements. En fait, on comprend que le chômage partiel et les mesures de soutien du gouvernement ont mis sous perfusion la majorité salariée de la population, ce qui explique qu’un indicateur général de répartition des revenus comme le taux de pauvreté reste stable, même pendant une crise sanitaire, économique et sociale d’une telle importance.
Le « nouveau public » découvert par les associations caritatives pendant la crise sanitaire
Or, ce qu’avaient mis en avant les auditions de la mission sénatoriale d’information, c’était précisément que la crise sociale liée à la crise sanitaire touchait les franges les plus instables des classes populaires, oubliées des dispositifs d’activité partielle en l’absence d’emploi stable. Christophe Robert, délégué général de la Fondation Abbé Pierre, expliquait par exemple en mars dernier, avoir « découvert un nouveau public » depuis le premier confinement : « Depuis la crise de mars dernier, nous découvrons de façon très claire un public qui ne venait pas jusqu’à nous auparavant. Ce sont les autoentrepreneurs, les artisans et les petits chefs d’entreprise. C’est un nouveau public pour nous. J’insiste aussi sur les acteurs de l’économie informelle qui ne bénéficient pas du chômage partiel. […} Sur une temporalité un peu plus longue, les jeunes sont très fortement en difficulté, mais depuis la crise, on a un élargissement de la précarité à des jeunes habituellement plus protégés avec la disparition des petits boulots. »
>> Voir notre article : « Les gens se saignent pour garder un toit au-dessus de la tête », alerte la Fondation Abbé Pierre
Comme l’explique Jean-Luc Tavernier, directeur général de l’INSEE, si la crise sanitaire n’a pas fait sombrer « une partie importante de la population » dans la pauvreté, cela ne veut pas dire que « certaines situations de pauvreté » ne se sont pas aggravées. En clair, rien ne dit que si le nombre de pauvres n’a pas augmenté, la situation des 9,3 millions de pauvres en France ne s’est pas dégradée. D’autant plus que l’étude de l’INSEE peine justement à prendre en compte dans ses statistiques « le nouveau public » évoqué par les associations dans les auditions sénatoriales. Par définition, l’INSEE ne peut pas analyser les revenus non déclarés, or « les prendre en compte conduirait sans doute à une estimation un peu différente » explique Jean-Luc Tavernier. Ainsi, tous les acteurs de l’économie informelle, de l’artisan travaillant au noir jusqu’aux personnes touchant des revenus de trafics illégaux, ont pu souffrir des confinements de 2020 sans que cela apparaisse dans les statistiques de l’INSEE.
Une certaine pauvreté échappe à la fois aux politiques publiques et aux statistiques
De même, l’Institut se base sur les revenus des ménages « ordinaires » et ne prend donc pas en compte les SDF, les personnes habitant dans des foyers, des établissements médico-sociaux ou… les résidences universitaires. Encore une autre population particulièrement touchée par la crise sanitaire, parce que très peu concernée par les mesures de soutien comme le chômage partiel, qui n’entre pas en compte dans le calcul du taux de pauvreté de l’INSEE. D’après son directeur général, il est difficile d’évaluer précisément les revenus des étudiants, pas toujours déclarés et souvent issus de transferts « intrafamiliaux », et ceux-ci sont donc exclus du calcul du taux de pauvreté.
L’INSEE mène par ailleurs de nombreuses enquêtes pour pallier ces angles morts du taux de pauvreté, en mesurant notamment les situations de privation matérielle et sociale, en étudiant plus précisément la grande pauvreté en France, ou bien en complétant le taux de pauvreté par des mesures « d’intensité » de la pauvreté. Il n’en reste pas moins que l’indicateur du taux de pauvreté reste par définition centré sur la population qui a justement été relativement protégée par les mesures gouvernementales, et principalement le chômage partiel, pendant la crise sanitaire. Si l’étude de l’INSEE montre que cette protection a permis de ne pas augmenter le nombre de pauvres en 2020, l’impact de la crise sanitaire reste inconnu sur des populations qui peuvent échapper aux radars des politiques publiques comme des statistiques nationales.