Irresponsabilité pénale : les experts dénoncent «  le fantasme de l’impunité psychiatrique »

Irresponsabilité pénale : les experts dénoncent «  le fantasme de l’impunité psychiatrique »

Le décret d’application de la loi créant une exception au régime de l’irresponsabilité pénale suscite l’inquiétude du monde psychiatrique. Il prévoit le renvoi devant le juge du fond des personnes mises en examen qui auraient arrêté leur traitement médical au moment des faits. Une disposition que le Sénat avait évacuée et que les psychiatres considèrent comme une criminalisation des malades.
Simon Barbarit

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C’est un sujet qui a longuement occupé la commission des lois du Sénat. Deux textes, un du Sénat et un du gouvernement, avaient été examinés l’année dernière pour réformer le régime d’irresponsabilité pénale.

Si en droit pénal on ne peut juger les fous, il était devenu urgent pour le Parlement et l’exécutif d’apporter une réponse pénale dans les cas d’abolition volontaire et temporaire du discernement d’une personne mise en examen, comme à la suite à la consommation de stupéfiants.

Cette demande sociétale a vu le jour après l’arrêt rendu par la Cour de Cassation le 14 avril 2021 dans l’affaire Sarah Halimi. La plus haute juridiction de l’ordre judiciaire avait entériné le caractère antisémite du crime, mais confirmé l’impossibilité de juger le meurtrier, un gros consommateur de cannabis, compte tenu de l’abolition de son discernement lors des faits. Près de 25 000 manifestants s’étaient réunis un peu partout en France réclamant « justice » pour la sexagénaire juive tuée en 2017, après la confirmation de l’absence de procès.

Le 25 mai 2021, le Sénat avait adopté la proposition de loi de la sénatrice centriste, Nathalie Goulet. Soutenue par la droite sénatoriale, elle visait à revoir le régime d’irresponsabilité. Le texte n’a pas fait toute la navette parlementaire, le gouvernement ayant décidé de s’emparer du sujet dans le cadre de la loi « Responsabilité pénale et sécurité intérieure », adoptée à la fin de l’année dernière.

« Le contexte de cette loi, c’est le fantasme de l’impunité psychiatrique. C’est une idée qui circule dans l’opinion : consommer des substances pour être déclaré irresponsable de ses actes. C’est plutôt le nombre de malades mentaux dans les prisons. Plus de la moitié des détenus ont des troubles mentaux sévères », insiste le docteur Manuel Orsat, expert près la Cour d’Appel d’Angers, secrétaire Général de la Compagnie Nationale des Experts Psychiatres près les Cours d’Appel (CNEPCA).

Une exception au régime d’irresponsabilité pénale

La loi, conformément à la volonté du gouvernement, crée donc une exception au régime d’irresponsabilité pénale si l’auteur des faits consomme « des substances psychoactives » jusqu’à l’abolition de son discernement « dans le dessein de commettre l’infraction », ou de se donner du courage pour commettre un délit ou un crime.

Dans sa proposition de loi, la droite sénatoriale avait quant à elle adopté, une position minimale, permettant aux familles des victimes d’avoir un procès ». En effet, les élus souhaitaient que ce ne soit plus le juge d’instruction (comme c’est le cas actuellement), mais le tribunal correctionnel ou la Cour d’assises qui statue sur la responsabilité pénale du mis en examen.

Un compromis a été trouvé. Le texte promulgué laisse le juge du fond statuer, à l’issue d’une audience à huis clos, sur les cas où il y a hésitation entre l’abolition ou l’altération du discernement.

Naturellement, il faut que l’intéressé ait ensuite retrouvé son discernement, parce qu’on ne juge pas les fous », avait expliqué dans l’hémicycle Éric Dupond-Moretti, prenant l’exemple de « quelqu’un qui prend des stupéfiants pour commettre un attentat terroriste ».

>> Lire notre article. Irresponsabilité pénale : Le Sénat adopte sa version du texte

Mais voilà que le décret d’application de la loi vient jeter le trouble sur son interprétation. Publié il y a quelques jours au Journal Officiel, il prévoit qu’une personne mise en examen peut être renvoyée devant le juge du fond qui statuera sur sa responsabilité pénale « lorsque le trouble mental ne résulte pas d’une intoxication volontaire de la personne constitutive de ces nouvelles infractions, mais qu’il résulte, par exemple, de l’arrêt par celle-ci d’un traitement médical ».

« Ce décret laisse entendre que les maladies mentales aboutissent à des comportements criminogènes »

Un cas de figure qui n’est pas inscrit dans le décret en tant que tel mais dans sa notice. Si elle n’a pas de portée normative, cette notice sert de référence aux juges en cas de difficultés d’interprétation d’une loi.

« Le cas d’un arrêt de traitement avait été aussi écarté par le Conseil d’Etat dans son avis sur le projet de loi. En l’ajoutant, ce décret laisse entendre que les maladies mentales aboutissent à des comportements criminogènes. Alors que ce sont plusieurs paramètres très difficiles à dissocier les uns des autres. Par exemple, les personnes atteintes de schizophrénie sont plus amenées à fumer du cannabis », insiste Dr. Manuel Orsat.

Dans ses  travaux la commission des lois du Sénat avait estimé également que « la notion de fait fautif ne couvrait pas tous les cas, « notamment d’interruption de traitement psychiatrique (hors cas d’injonction de soins) ».

« Garder cette disposition revient à accepter de punir les patients parce qu’ils sont malades ».

Dans un communiqué commun, le monde de la psychiatrie s’est fortement ému de la portée de cet ajout « qui ne tient pas compte du fait que les patients n’ont pas toujours conscience de leurs troubles […] L’arrêt du traitement n’intervient pas alors suite à l’exercice de la libre volonté du patient. Garder cette disposition revient à accepter de punir les patients parce qu’ils sont malades ».

« On ne juge pas les fous mais dans certaines circonstances on va aller jusqu’au procès pour voir si on peut les punir de quelque chose », résume à publicsenat.fr, Dr. Laurent Layet président de la Compagnie nationale des experts psychiatres près les cours d’appel (CNEPCA). Avant d’ajouter : « On est en train de créer beaucoup de complexité. Je rappelle que des cas d’irresponsabilité en phase d’instruction pour des faits criminels, il y en a 200 par an, c’est anecdotique à l’échelle pénale. Il va falloir faire de l’archéologie psychiatrique pour savoir si l’arrêt du traitement était volontaire ».

Bien consciente de l’émoi qu’a suscité cette notice, la Chancellerie a promis une circulaire afin de clarifier l’interprétation de la loi. « Quand la loi est floue, le décret inapproprié, on peut avoir des doutes sur la circulaire », commente Manuel Orsat.

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