FRA : SENAT : Allocution de Gabriel ATTAL

IVG dans la Constitution : la droite sénatoriale joue-t-elle la montre ?

A deux jours de l’examen du projet de loi, au Sénat, visant à inscrire l’IVG dans la Constitution, le suspense reste entier quant à l’issue du scrutin. Si une bonne partie de la droite sénatoriale ne s’oppose plus frontalement à la constitutionnalisation de l’IVG, elle conteste la rédaction proposée par le gouvernement. Deux amendements LR seront examinés en séance. Si l’un d’eux était adopté, la révision constitutionnelle serait retardée.
Simon Barbarit

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« Impossible de faire un pronostic », confie Bruno Retailleau, le président du groupe LR du Sénat lorsqu’on l’interroge sur le vote du projet de loi constitutionnelle visant à inscrire l’IVG dans la Constitution. Après avoir été largement adopté par les députés fin janvier, les sénateurs se pencheront mercredi 28 février sur ce projet de loi qui inscrit à l’article 34 de la Constitution, la phrase suivante : « La loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté garantie à la femme d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse ».

« L’immense pression qui pèse sur les épaules des sénateurs »

Grace à la centaine de voix de gauche, le Sénat avait adopté l’année dernière une proposition de loi portée par les députés LFI mais totalement réécrite par le sénateur LR, Philippe Bas. 119 sénateurs LR avaient néanmoins voté contre l’amendement de Philippe Bas. Un an s’est écoulé et les sénateurs Les Républicains ont pu sentir que leur vote n’était pas vraiment en phase avec une forte demande de l’opinion publique. Un sondage Ifop de juillet 2022 établissait que 81 % des Français étaient favorables à l’inscription de l’IVG dans la Constitution. « J’en ai parlé à mes collègues la semaine dernière. Des personnes qui avaient voté contre, vont désormais voter pour. Ils ont senti qu’il y avait une forte demande de la société, en particulier des femmes », expose le sénateur LR, François Grosperrin, l’un des rares au sein du groupe à avoir voté en faveur de l’amendement de Philippe Bas. Bruno Retailleau confirme : « Nous en avons beaucoup parlé en réunion de groupe. Je m’y suis pris très tôt pour que chacun puisse s’exprimer. Mes collègues m’ont confié l’immense pression qui pèse sur leurs épaules ».

Exposé ainsi, on pourrait croire que le vote du Sénat mercredi ne serait que pure formalité avant la réunion du Parlement en Congrès. D’autant que « l’écriture proposée par le gouvernement est à 98,5 % celle du Sénat », avait loué le garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti devant la commission des lois du Sénat. Mais 98,5 % n’est pas 100 %, et une partie de la droite sénatoriale n’est pas prête à voter « l’unique concession faite à l’Assemblée », toujours selon les termes du ministre. En effet, le terme « garantie » ne figurait pas dans l’amendement de Philippe Bas et fait craindre à la majorité sénatoriale « un droit opposable à l’IVG » (lire notre article). « Le Sénat ne s’oppose pas à la constitutionnalisation de l’IVG mais pas à n’importe quel prix », appuie la rapporteure du projet de loi (apparentée LR), Agnès Canayer. « Pourquoi utiliser ce mot alors que l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme garantit déjà toutes les libertés individuelles ? Pourquoi donner une garantie supplémentaire à l’IVG et pas aux autres libertés ? Si nous sommes nombreux à considérer que nous ne pouvons plus nous opposer à une constitutionnalisation de l’IVG qui aurait une portée symbolique et des effets juridiquement neutres, le texte qui nous est soumis est mal écrit et potentiellement dangereux », affirme la sénatrice.

« Il vaudrait mieux que ce soit l’écriture de Philippe Bas plutôt que celle de Mme Panot »

Un nouvel amendement du sénateur Philippe Bas, déposé ce lundi, supprime donc le terme « garantie ». Un autre déposé par le sénateur LR, Alain Milon vendredi, complète la phrase du projet de loi en précisant que loi doit également garantir le « respect de la clause de conscience des médecins, ou professionnels de santé, appelés à pratiquer l’intervention ». Ces deux amendements ont la particularité d’être cosignés par Bruno Retailleau, pourtant farouche opposant à la constitutionnalisation de l’IVG et qui avait voté contre l’amendement de Philippe Bas, l’année dernière. « N’en déduisez rien. Je suis toujours contre la constitutionnalisation de l’IVG, c’est une liberté qui n’est pas menacée, ce n’est pas la priorité des Français et le droit appelle le droit. Si demain, on inscrit l’IVG, rien n’opposera par la suite à inscrire l’euthanasie ou le suicidé assisté », explique-t-il.

Alors pourquoi cosigner l’amendement de Philippe Bas ? « Le seul objectif : faire échouer le texte » a estimé sur X, la sénatrice écologiste Mélanie Vogel. Pour mémoire, une révision constitutionnelle nécessite un vote conforme dans les deux chambres, à la virgule près, avant la réunion du Parlement en Congrès à Versailles, où le texte doit être adopté au 3/5e de ses membres pour être inscrit dans le texte fondamental. Un vote du Sénat, non conforme à celui de l’Assemblée, renverrait le texte aux députés. De quoi compromettre la tenue du Congrès que le gouvernement avait annoncé pour le 5 mars. « Je ne cherche pas à faire traîner la navette parlementaire mais si constitutionnalisation il y a, il vaudrait mieux que ce soit l’écriture de Philippe Bas plutôt que celle de Mme Panot », assure Bruno Retailleau. « Ce qui a posé problème l’année dernière, c’est que le texte venait de Mathilde Panot », glisse un sénateur LR.

« Éric Ciotti lui-même, a voté pour, ce qui va en libérer certains au Sénat »

Dominique Vérien, sénatrice centriste et présidente de la délégation aux droits des femmes considère quant à elle que les amendements LR « visent plus à retarder l’échéance qu’à modifier le texte ». « Les choses ont évolué depuis l’année dernière, ce n’est plus un texte LFI mais un texte du gouvernement que la droite a majoritairement adopté à l’Assemblée. Éric Ciotti lui-même, a voté pour, ce qui va en libérer certains au Sénat. Aujourd’hui, le débat c’est : pour ou contre le texte du gouvernement, ce n’est plus comment le modifier », estime la sénatrice qui reste optimiste quant à la perspective d’un vote conforme. Rappelons que les centristes, le président du groupe, Hervé Marseille en tête, avaient majoritairement voté contre la constitutionnalisation l’année dernière (pour : 17, Contre : 28, Abstentions : 10). « Les propositions sont inversées maintenant. On sera majoritaires sans problème », assure-t-elle.

« Ce qui est souhaité par l’opinion publique ne va pas forcément dans le sens du progrès »

Le sénateur LR, Stéphane Piednoir regrette que son vote contre la constitutionnalisation de l’IVG l’année dernière ait été perçu comme une remise en cause du droit à l’avortement. « L’argument suprême pour cette révision, c’est qu’elle est demandée par une grande majorité des Français. Avec des raisonnements comme ça, on n’aurait pas aboli la peine de mort ni même légalisé l’IVG. Ce qui est souhaité par l’opinion publique ne va pas forcément dans le sens du progrès ». Se laissera-t-il convaincre, cette fois-ci, par la réécriture de Philippe Bas ? « Je pense que je m’abstiendrais sur cet amendement », confie-t-il.

« La question qui est posée maintenant est celle du compromis entre l’Assemblée et le Sénat »

Dans l’entourage de Philippe Bas, on avoue ne pas savoir si son amendement emportera les voix de la majorité LR et centriste du Sénat. A gauche, la sénatrice écologiste, Mélanie Vogel estime que « voter pour cet amendement empêcherait la révision constitutionnelle » et a calculé qu’une majorité de sénateurs de gauche, RDPI (à majorité renaissance), les Indépendants, RDSE (radicaux) et centristes va voter conforme.

« La question qui est posée maintenant est celle du compromis entre l’Assemblée et le Sénat. Et la droite serait bien inspirée d’y participer. Et ce ne peut être un alignement complet sur l’amendement de Philippe Bas », conseille une élue socialiste qui se garde d’émettre toutes critiques publiquement sur ses collègues de droite d’ici mercredi, afin de faciliter, ledit compromis.

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