IVG dans la Constitution : « On prendra le temps qu’il faudra pour aller au bout de cette révision », rassure Éric Dupond-Moretti au Sénat

Auditionné par la délégation aux droits des femmes du Sénat, le garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti a répondu aux critiques de la majorité sénatoriale de droite sur le calendrier annoncé par le chef de l’Etat pour inscrire l’IVG dans la Constitution. La date de la réunion du Parlement en Congrès est prévue le 4 mars alors même que le Sénat ne s’est pas encore prononcé sur le projet de loi, ce qui a braqué certains élus de la chambre haute.
Simon Barbarit

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Le président de la République a-t-il mis la charrue avant les bœufs en fixant une date de la révision constitutionnelle avant même que l’Assemblée nationale et le Sénat ne soient prononcés sur le projet de loi visant à inscrire l’IVG dans le texte fondamental de la Ve République ? C’est en tout cas le sentiment de plusieurs sénateurs LR opposés à la révision.

Pour mémoire, la date du 4 mars pour réunir le Parlement en Congrès avait été annoncée en novembre avant même la présentation du projet de loi en Conseil des ministres.  Aurore Bergé avait par la suite évoqué la date du 5 mars. La méthode avait été vécue par la droite sénatoriale comme un mépris du Parlement.

« C’est pas malin »

Auditionné par la délégation aux droits des femmes du Sénat, le garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti s’est chargé de répondre aux critiques, dont celle du sénateur centriste, Loïc Hervé, opposé à cette révision, qui a glissé ce matin au ministre : « C’est pas malin ».

Éric Dupond-Moretti a d’abord relu les mots de la lettre du chef de l’Etat adressée aux chefs de parti après les rencontres de Saint-Denis. « Un examen dans chaque assemblée pourra avoir lieu au premier trimestre 2024, afin qu’un Congrès puisse être envisagé le 4 mars prochain », avant d’ajouter : « Vous dites c’est pas malin. Et moi je dis, c’est à la fois respectueux et prudent ».

Puis Éric Dupond-Moretti a ensuite tenté de rappeler l’enjeu d’une telle réforme qui selon lui passe au-dessus de la susceptibilité des parlementaires. « De quoi parle-t-on ? D’une liberté fondamentale pour les femmes. Nous serions le premier pays à inscrire cela dans notre Constitution. Mesurons les enjeux. Nous avons des choses d’ores et déjà garanties par notre Constitution, sauf l’essentiel, la liberté de la femme […] J’ai la conviction qu’au-delà des susceptibilités qui peuvent s’exprimer, nous irons vers l’essentiel, garantir aux femmes la liberté de disposer de leur corps. On prendra le temps qu’il faudra pour aller au bout de cette révision », a-t-il rassuré.

Mardi, l’Assemblée nationale a adopté à une très large majorité le projet de loi constitutionnelle selon lequel « la loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté garantie à la femme d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse ». Une formulation qui reprend en partie celle adoptée par le Sénat l’année dernière. Il s’agissait d’une proposition de loi amendée par le sénateur, Philippe Bas (LR) qui inscrit à l’article 34 de la Constitution, la phrase suivante : « La loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté de la femme de mettre fin à sa grossesse. »

« L’écriture proposée par le gouvernement est à 98,5 % celle du Sénat »

Mais la formulation du projet de loi censée être consensuelle, ne l’est finalement pas tant que ça au Sénat. C’est un petit mot, « garantie », qui pose problème. « Pour un certain nombre d’entre nous, ‘la liberté garantie’, cela veut dire un droit », avait expliqué Bruno Retailleau, président du groupe LR au Sénat, lui-même opposé à cette constitutionnalisation.

« Ce projet est un point d’équilibre entre les nombreux travaux engagés dans les deux chambres. Le Sénat a été plus que respecté dans cette version de compromis. L’écriture proposée par le gouvernement est à 98,5 % celle du Sénat », estime pour sa part le ministre. « Le terme ‘’garantie’’, seule concession faite à l’Assemblée nationale, n’emporte pas la création d’un droit absolu et sans limite. Ce n’est pas moi qui le dis, mais le Conseil d’Etat dans un avis », a-t-il souligné.

Le projet de loi constitutionnelle sera examiné en séance publique au Sénat, le 28 février. Et pour tenir le calendrier fixé par l’exécutif, la Haute assemblée devra l’adopter conforme, c’est-à-dire sans l’amender, afin qu’un Congrès puisse se tenir le 4 mars. Pour rappel, après un vote conforme dans les deux chambres, le Parlement, réuni en Congrès à Versailles, doit adopter la révision constitutionnelle au 3/5e de ses membres.

La gauche n’a pas peur d’un référendum

La sénatrice socialiste, Laurence Rossignol a profité de cette audition pour adresser un avertissement à ses collègues LR. « Si jamais le Sénat se mettait en tête de ralentir, d’adopter des amendements qui fragiliseraient la possibilité d’adoption à l’Assemblée nationale, je voudrais prévenir d’emblée mes collègues. Dans ce cas-là, nous reviendrons à l’initiative parlementaire. Une proposition de loi a été adoptée par le Sénat. Il suffit que l’Assemblée nationale la vote en l’état et nous irons au référendum ».

La sénatrice fait ici référence à la proposition de loi amendée par Philippe Bas et adoptée l’année dernière. En effet, après un vote conforme dans les deux chambres, une révision constitutionnelle initiée par une proposition de loi (le Parlement) ne peut être approuvée que par un référendum. « Je ne vois pas comment le président de la République pourrait décider de ne pas recourir au référendum après que nous avons satisfait à la double exigence d’un vote conforme dans les deux chambres », ajoute la sénatrice en précisant que parlementaires et féministes « n’ont pas peur du référendum » même si ce n’est pas leur premier choix.

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