Alors que Donald Trump s’apprête à être investi pour la seconde fois à la Maison Blanche, la France va célébrer le premier anniversaire de l’inscription de l’IVG dans la Constitution. Ironie de l’histoire, cette évolution normative majeure trouve son point de départ dans le premier mandat du Président américain.
Profondément remaniée par Donald Trump qui avait nommé trois magistrats conservateurs, la Cour Suprême des Etats-Unis avait révoqué le 24 juin 2022, l’arrêt Roe V. Wade. Un arrêt qui, depuis 1973, garantissait le droit d’avorter dans tout le pays. Il revient depuis à chacun des cinquante Etats de décider de protéger ou non le droit à l’IVG.
Cette décision agit comme un électrochoc pour les groupes de gauche du Sénat, qui, en l’espace de quelques jours, déposent pas moins de 4 textes constitutionnels afin « de sécuriser le droit à l’avortement ». Finalement, par souci d’efficacité, 114 sénateurs de cinq groupes politiques différents (socialiste, communiste, écologiste, RDSE et RDPI), se rangent derrière un seul texte, celui de la sénatrice écologiste, Mélanie Vogel. Examiné à l’automne 2022, il est rejeté par le Sénat (139 pour, 172 contre), à majorité de droite et du centre au terme d’un débat houleux.
Car les élus LR et centristes ne sont guère sensibles à l’argument du précédent américain et ne voient dans cette tentative de révision constitutionnelle qu’un « symbole ». Et « nous devons écrire le droit », objecte Philippe Bas (LR), ancien collaborateur de Simone Veil, ce qui ne l’empêche pas d’être accusé par la sénatrice socialiste, Marie-Pierre de la Gontrie d’être « hostile à l’avortement ».
Un amendement inattendu qui fera date
Quelques mois plus tard, en février 2023, la Haute assemblée est de nouveau amenée à se prononcer sur ce sujet. Le deuxième texte porté par les députés LFI a été adopté à l’Assemblée nationale et est logiquement rejeté par la commission des lois du Sénat. Il proposait d’inscrire un nouvel article 66-2 dans la Constitution, selon lequel « la loi garantit l’effectivité et l’égal accès au droit à l’interruption volontaire de grossesse ». Alors qu’on se dirigeait tranquillement vers un nouveau rejet d’une loi visant à constitutionnaliser l’IVG, un amendement défendu par Philippe Bas, non soutenu par son groupe, va changer la donne.
Faut-il y voir un effet de la mobilisation des associations féministes devant les portes du palais du Luxembourg et jusque dans l’hémicycle allant même jusqu’à provoquer une suspension de séance, ou une volonté de Philippe Bas de répondre aux accusations de Marie-Pierre de la Gontrie ? Le fait est que le texte tel qu’amendé par l’élu LR est adopté à la surprise générale par 166 voix pour et 152 voix contre. « Le Sénat ne doit pas fonctionner sous la pression de telle ou telle opinion publique », avait pourtant mis en garde avant le scrutin Bruno Retailleau, à l’époque président du groupe LR.
La version modifiée et votée par le Sénat inscrit à l’article 34 de la Constitution, la phrase suivante : « La loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté de la femme de mettre fin à sa grossesse ». « Il n’y a pas de droit absolu. Il y a une liberté que l’on peut inscrire dans la Constitution mais à la condition qu’il y ait une conciliation entre le droit de la femme enceinte de mettre fin à sa grossesse et la protection de l’enfant à naître après un certain délai », justifie Philippe Bas.
Cette rédaction ne convainc ni les socialistes, ni les écologistes, ni les communistes du Sénat. « L’IVG n’est pas seulement une liberté, c’est un droit. Mais elle a la vertu de s’engager sur le chemin de la constitutionnalisation », reconnaît la sénatrice socialiste, Marie-Pierre de la Gontrie.
L’exécutif reprend la main
Elle ne croit pas si bien dire, car c’est cette base d’écriture qui permettra à l’IVG d’entrer dans la Constitution un an plus tard. Avec deux votes favorables du Sénat et de l’Assemblée sur deux textes différents, l’enjeu pour les partisans de l’inscription de l’IVG dans la Constitution est de s’arrêter là pour laisser la main à l’exécutif. Précisément, une révision constitutionnelle initiée par une proposition de loi (le Parlement) ne peut être approuvée que par un référendum, ce que ni la gauche et ni la droite ne souhaitaient par crainte donner une tribune inutile aux antis-IVG. Ils appellent alors le gouvernement à reprendre la main en déposant un projet de loi. Il permettrait de réviser la Constitution par la majorité des 3/5e des suffrages exprimés de l’Assemblée nationale et du Sénat réunis en Congrès, une fois le vote du texte par les deux chambres en termes identiques.
Le 29 octobre 2023, Emmanuel Macron annonce sur ses réseaux sociaux un projet de loi pour faire entrer l’IVG dans la Constitution. « En 2024, la liberté des femmes de recourir à l’IVG sera irréversible », écrit le chef de l’Etat sur X.
Le projet de loi constitutionnelle est finalement présenté le 12 décembre 2023 par le garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti, en Conseil des ministres. Il n’y est pas question de « droit » mais de « liberté garantie à la femme d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse ». Si la formulation est jugée trop faible par les associations et la gauche, elle est surtout destinée à dégager un consensus au sein de la classe politique. Le texte est adopté, sans encombre, le 30 janvier par l’Assemblée nationale. Au Sénat, une fois de plus, la partie s’annonce plus complexe. D’autant plus que l’annonce par Aurore Bergé, alors ministre des Solidarités et des Familles, de la date du 5 mars pour réunir le Parlement en Congrès, avant même le vote du Sénat, a braqué les sénateurs de droite.
Gérard Larcher sur franceinfo réaffirme la position de son camp. « La Constitution n’est pas un catalogue de droits sociaux et sociétaux ». D’autant plus que l’association des mots « liberté garantie » inquiète la majorité de droite et du centre, qui redoute la création d’un droit opposable, c’est-à-dire la possibilité pour une femme qui n’aurait pu avoir accès à un avortement de saisir la justice.
Les sénateurs de droite ont conscience qu’ils ne peuvent plus s’y opposer
« Le Sénat ne s’oppose pas à la constitutionnalisation de l’IVG mais pas à n’importe quel prix », résume la rapporteure du projet de loi (apparentée LR), Agnès Canayer. La commission des lois choisit, toutefois, de ne pas s’opposer au texte comme à l’année précédente, et renvoie les débats à la séance publique. Mais deux amendements menacent de faire capoter une adoption conforme, nécessaire à toute révision constitutionnelle. Le premier est cosigné par Alain Milon (LR) e le président de groupe Bruno Retailleau. Il précise que loi doit également garantir le « respect de la clause de conscience des médecins, ou professionnels de santé, appelés à pratiquer l’intervention ». Philippe Bas en dépose un autre pour ôter le mot « garantie ». Si un an plus tôt, 119 sénateurs avaient voté contre l’IVG dans la Constitution, ils ont bien senti depuis que leur position n’est plus en phase avec une forte demande de l’opinion publique. « Si nous sommes nombreux à considérer que nous ne pouvons plus nous opposer à une constitutionnalisation de l’IVG qui aurait une portée symbolique et des effets juridiquement neutres, le texte qui nous est soumis est mal écrit et potentiellement dangereux », résume Agnès Canayer.
Le mercredi 28 février, après le rejet des deux amendements LR, le Sénat adopte à une très large majorité la révision constitutionnelle, par 267 voix pour et seulement 50 contre. L’Histoire est en marche.
Le 4 mars 2023 députés et sénateurs réunis en Congrès à Versailles approuvent la constitutionnalisation de l’interruption volontaire de grossesse (IVG), par 780 voix pour et 72 contre. Sur 902 parlementaires, 852 se sont exprimés. La France devient le premier pays à inscrire l’IVG dans une loi fondamentale.
Le 8 mars, lors de la journée internationale des droits des femmes, la cérémonie publique du scellement de la Constitution est organisée place Vendôme, au ministère de la Justice. Le chef de l’Etat indique désormais vouloir « l’inscription de cette liberté garantie d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse dans la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ». « Partout dans le monde y compris dans les plus grandes démocraties, y compris chez nos voisins en Europe, nous assistons à un recul du droit à l’avortement […] alors puisque l’impensable survient il nous fallait graver l’irréversible », déclare-t-il. Quelques mois plus tard, Donald Trump était élu une nouvelle fois, président des Etats-Unis.