« Jamais sans mon masque » : des médecins appellent à porter le masque dans les lieux clos pour stopper l’épidémie

« Jamais sans mon masque » : des médecins appellent à porter le masque dans les lieux clos pour stopper l’épidémie

Des médecins généralistes demandent à la population de porter un masque dans les magasins, les supermarchés ou les entreprises, et pas seulement dans les transports, mesure indispensable à leurs yeux pour lutter contre l’épidémie de Covid-19. Sans cela, c’est comme « remplir une baignoire qui fuit », selon Yvon Le Flohic, à l’initiative de l’appel.
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Le déconfinement impose de nouvelles habitudes, à commencer par le port du masque obligatoire dans les transports. Mais selon plusieurs médecins, c’est insuffisant si l’on veut lutter sérieusement contre l’épidémie de Covid-19.

« Ne pas porter de masque dans les supermarchés crée vraiment un risque »

Se décrivant comme « des médecins généralistes de terrain, au front depuis deux mois », ils ont lancé sur les réseaux sociaux le hashtag #jamaissansmonmasque. Le message (résumé ici) de ces médecins bretons du « collectif 22 » et du « collectif stop postillons », soutenus aussi par le président du syndicat UFML, le docteur Jérôme Marty, est simple : « Quand je mets mon masque, je me protège, je vous protège ». C’est « en lieu clos » particulièrement, ou à l’extérieur au milieu d’une foule, qu’il faut porter le masque.

Yvon Le Flohic, médecin généraliste basé à Ploufragan, dans les Côtes-d'Armor, est à l’initiative de l’opération. « On monte au créneau, car le fait que la population ne porte pas de masque, par exemple dans les magasins ou supermarchés, crée vraiment un risque. Si on ne modifie pas ça dans la quinzaine de jours qui vient, on aura des gros problèmes. On risque de ne pas y échapper » avertit-il. Autrement dit, une deuxième vague rapide. « Regardez ce qui se passe au Danemark ou en Italie. Ça repart suite à la réouverture des écoles. Je suis d’ailleurs d’accord avec le Conseil scientifique, il ne fallait pas rouvrir les écoles, en particulier en zone de cluster », affirme le médecin, qui suit de près les questions épidémiologiques. Détenteur d’une maîtrise en microbiologie, il a travaillé, en 2009, sur la veille sanitaire sur la grippe H1N1 pour l’Union régionale des professionnels de santé de Bretagne.

« C’est une épidémie qui se transmet en lieu clos massivement »

Pour parer tout risque, il faut donc porter le masque, et pas seulement dans les transports. Pour Yvon Le Flohic, c’est clair : « C’est une épidémie qui se transmet en lieu clos massivement ». Il rappelle qu’« à l’hôpital, 21.000 soignants ont été contaminés, selon Santé publique France. Quand vous êtes en lieu clos, avec un ou des malades, au milieu de non malades, vous avez vu ce qui s’est passé dans le métro, le Charles de Gaulle, le paquebot Diamond Princess ou l’église évangélique ». Il ajoute : « A partir du moment où c’est un lieu fermé, les non malades ne le restent pas longtemps s’il y a des malades ».

Concrètement, pour le médecin, « il est temps de se poser des questions dans les magasins, les entreprises, les open space, les call centers, les lieux de réunion, comme les professeurs qui se sont contaminés lors de la pré-rentrée. Ou regardez les débats en commission à l’Assemblée, où une personne sur deux n’avait pas de masque, alors que certains ont plus de 70 ans… » Tout ce qu’il ne faut pas faire, met en garde le généraliste. Selon Yvon Le Flohic, « il est temps de changer de braquet et de culture sur les masques ».

Une position qui rejoint dans l’esprit celle du président du Comité scientifique. « L’ensemble de la population française doit porter des masques, dès qu’elle est dans un lieu public » demandait le 30 avril Jean-François Delfraissy, auditionné par le Sénat. Les lieux publics « commençant à (ses) yeux à la sortie de la porte de son immeuble ».

Le gouvernement recommande le port du masque « dès que la distanciation physique et les gestes barrières ne peuvent être assurés »

Pour sa part, le gouvernement recommande le port du masque dans les lieux publics seulement si on ne peut pas respecter la distanciation sociale, mettant en garde aussi sur les conséquences de « l’illusion de protection ». Pas vraiment un appel au port du masque dès qu’on se trouve en lieu clos.

Interrogé le 4 mai au Sénat lors du débat sur le déconfinement, le ministre de la Santé, Olivier Véran, a cependant évoqué les magasins, comme lieu où le masque est conseillé. « Les recommandations sont claires. Le port du masque est recommandé en population générale dès que la distanciation physique et les gestes barrières ne peuvent être assurés (…). C'est le cas dans les magasins, dans les transports publics et pour les enseignants, puisqu'il est difficile de respecter la distanciation à l'école. C'est pourquoi il y est obligatoire. Ailleurs, il est recommandé. Il fait partie de l'arsenal de lutte » a-t-il expliqué, ajoutant que « si nous rendons le masque comme les gestes barrières obligatoires dans l'espace public, pour tous les Français, il faudra sanctionner leur absence. Ce n'est pas le cas actuellement. Nous préférons être dans une logique d'accompagnement ».

Opération relayée par Estelle Denis, Laurence Ferrari mais aussi des élus

Lancée samedi, l’opération #jamaissansmonasque « marche bien », se réjouit son initiateur. Avec pour marraine l’animatrice et journaliste Estelle Denis, elle est déjà relayée par des médecins bien sûr, mais aussi des journalistes, comme Laurence Ferrari et Thomas Sotto, Pierre Menez ou encore des élus, comme le maire de Cannes. On se souvient que le maire de Sceaux, Philippe Laurent, a voulu rendre obligatoire le port du masque dans sa ville, avant de voir son arrêté retoqué. Christian Estrosi, à Nice, vient de prendre à son tour un arrêté.

« L’idée de remplir une baignoire qui fuit ne me va pas bien »

Si ce médecin de ville monte au front, c’est que les décisions prises au sommet de l’Etat ne sont pas toujours compréhensibles. « C’est une réflexion de grouillot de base » lance-t-il, un peu bravache. « L’idée de remplir une baignoire qui fuit ne me va pas bien. C’est bien de dépister de nouveaux cas, mais ce serait bien de porter des masques en population générale ». Autrement dit, freinons le virus, avant de chercher à le détecter.

Il s’étonne d’ailleurs de la tournure des débats sur le traçing pour les brigades. « Les députés et sénateurs ont été amenés à voter sur ce sujet (lire notre article), mais ce serait bien d’en connaître l’efficacité. Or cela a déjà été pratiqué au début de la crise. On aimerait bien avoir les chiffres des Agences régionales de santé, depuis le 27 janvier. Mais personne ne les a. Ça fait un mois que je les demande, et personne ne veut les donner » regrette-t-il. Comment l’expliquer ? Il ne sait pas. Mais Yvon Le Flohic se pose des questions : « Est-ce que ça nous apprendrait que la progression de l’épidémie était dramatique dès février, et qu’il ne fallait pas organiser les élections municipales ? On peut avoir pleins d’hypothèses. Manifestement, on ne veut pas que ces chiffres soient visibles »…

Il craint aussi que les chiffres annoncés pour les tests ne soient pas au rendez-vous. « Le gouvernement parle de 700.000 tests par semaine, mais selon une enquête de France Info, on parle de 150.000 tests par semaine pour le moment… »

« Le métro et le RER sont responsables de plus de 2.000 décès en Ile-de-France »

Le masque est donc d’autant plus nécessaire. Mais là aussi, il s’étonne du retard à l’allumage de la part du gouvernement, ou plutôt des changements de consigne. « Beaucoup de Français sont un peu perdus », avec un premier message de non-port du masque. « C’était une gestion de pénurie, mais cela a un peu imprimé ». De son côté, « depuis début mars », il s’est prononcé pour le port du masque dans le métro. A ses yeux, il est incompréhensible qu’il n’y soit pas obligatoire depuis deux mois. Il préfère encore en parler avec ironie : « Le virus a muté le 10 mai à minuit. Il devient très contagieux dans le métro, et avant pas de problème ! »

Mais Yvon Le Flohic va plus loin. Il estime que cette absence d’obligation du masque dans les transports, pendant plus de deux mois, est à l’origine de nombreux morts. « On peut dire sans trop se tromper que le métro et le RER sont responsables de plus de 2.000 décès en Ile-de-France » soutient le médecin. Sur quoi se base-t-il ? « Il y a une étude rétrospective sur le métro de New York, où le métro a été un lieu de contagion massif et le moteur de l’épidémie. Donc à Paris aussi, le métro et le RER ont été moteurs de l’épidémie. Ce qui explique que l’Ile-de-France ait près de 7.000 morts hospitaliers, alors qu’on n’en compte qu’un peu plus de 200 en Bretagne. Sinon, on aurait dû en avoir près de 2.000, en proportion » constate ce docteur.

« J’ai un problème avec l’obligation, car on infantilise la population »

S’il appelle à porter le masque dans les lieux clos, le généraliste ne souhaite pas pour autant que ce soit obligatoire. « Pas forcément. J’ai un problème avec l’obligation, car on infantilise la population. L’Etat se donne le rôle du père fouettard. Il faut plutôt informer les personnes avant de leur dire qu’ils sont incapables de comprendre » estime le médecin généraliste, qui s’étonne au passage qu’on ait confiné tout le pays, sans différenciation régionale. « Emmerder tout le monde, y compris la Lozère, qui compte 1 décès et 50 cas, je ne vois pas trop la logique, alors qu’il y a une territorialisation extrême de la problématique ». « Je suis un peu sévère dans le constat », reconnaît Yvon Le Flohic, qu’on sent remonté. Mais ce médecin de ville se dit « lassé » par « le rôle de l’Etat dans la gestion de crise » et « la lenteur dramatique de l’administration, qui freine ».

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