Nanterre : Violences et affrontements entre police et manifestants.

« Jeux de guerre » ou « malaise générationnel » ? Les sénateurs partagés sur les causes des violences urbaines

Sollicités par Public Sénat, des sénateurs de départements marqués par des émeutes la nuit dernière pointent le rôle joué par certains médias et les réseaux sociaux dans la diffusion, depuis les banlieues des grandes agglomérations vers les villes de plus petites importances, d’une certaine forme de violence. Les élus interrogés se montrent plutôt sceptiques sur la nécessité d’instaurer l'état d’urgence, comme le réclament certains responsables politiques.
Romain David

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La France a été secouée par une troisième nuit de violences, de jeudi à vendredi, après la mort du jeune Nahel à Nanterre. Tirs de mortiers d’artifices, voitures brûlées, bâtiments publics incendiés ou saccagés, scènes de pillages… la tension ne retombe pas à Paris et dans sa banlieue, et s’étend désormais à de nombreuses villes de province après la mort de cet adolescent de 17 ans, abattu par un tir de policier en marge d’un contrôle routier. Les forces de l’ordre ont procédé à 667 interpellations sur l’ensemble du territoire, selon un tweet de Gérald Darmanin, le ministre de l’Intérieur. L’agence France-Presse fait état de son côté de 249 policiers et gendarmes blessés dans la nuit. Si la situation reste particulièrement tendue dans les Hauts-de-Seine, ou vivait Nahel, et dans le département voisin de la Seine-Saint-Denis où pratiquement toutes les communes ont été touchées par des échauffourées, des scènes de violences ont également été observées dans de nombreuses villes de taille moyenne en région, villes d’ordinaire plus calmes comme Poitiers, Limoges, Melun, Pau, ou encore Montceau-les-Mines. À Alençon, les locaux d’une association et une salle des fêtes ont été incendiés, le centre social de Nemours a été détruit, l’ARS d’Albi brûlé, l’hôtel de ville de Cholet visé par des tirs de mortier… la litanie des dégâts commis dans la nuit émaillait une large partie de la presse quotidienne régionale ce vendredi matin.

« Je pense qu’il faut séparer les deux événements, il y a à la fois le drame de mardi matin avec le jeune Nahel, […] Et il y a d’autres évènements qui, je trouve, ne sont pas directement liés, qui sont les dégradations urbaines et la dégradation du bien public », a commenté le sénateur Renaissance des Hauts-de-Seine Xavier Iacovelli, au micro de l’émission « Parlement hebdo » sur Public Sénat et LCP ce vendredi matin. « La justice doit passer, mais la justice ce n’est pas la rue et la vengeance », explique cet élu. « Lorsque l’on s’attaque dans les Hauts-de-Seine à des écoles, des collèges, au mémorial de la déportation, quand on brûle des commerces, quand on brûle le tribunal de proximité d’Asnières, quand on brûle le tramway, il y a des réponses à apporter, on ne peut pas tolérer cela. »

« La mécanique est la même qu’en 2005, mais avec deux grandes différences »

Le parallèle entre ces violences et les émeutes qui ont embrasé la France en 2005 revient régulièrement dans la bouche des commentateurs. À l’époque, les premières échauffourées – qui avaient eu pour point de départ la mort de deux jeunes électrocutés en tentant de fuir un contrôle de police à Clichy-sous-Bois – étaient parties de cette ville et de Montfermeil en Seine-Saint-Denis, avant de s’étendre principalement aux grandes agglomérations françaises. « La mécanique est la même qu’en 2005, mais avec deux grandes différences. La première, c’est que cette fois, ce sont des populations plus jeunes », relève le sénateur LR Marc-Philippe Daubresse, qui était ministre délégué au Logement et à la Ville lors des événements de 2005. « À l’époque, c’étaient des lycéens, voire de jeunes adultes, mais là on a aussi des populations collégiennes. Pour une large majorité, ce sont des jeunes de 12 à 18 ans qui ont incendié, détruit des bâtiments publics, des supermarchés », constate l’élu. « La deuxième différence, c’est que ces violences sont complètement imbibées de réseaux sociaux. Et l’on commence aussi à voir sur certaines vidéos que ce n’est pas que de la colère, c’est un jeu : au lieu d’avoir une console où l’on joue à la guerre sur son écran, on passe du virtuel au réel avec des tirs au mortier et des jeunes qui se marrent », pointe le sénateur qui évoque « un jeu de guerre contre l’Etat ».

« Le phénomène est en train de faire tache d’huile. Je ne suis pas sûr que la comparaison avec les émeutes de 2005 où le mouvement des Gilets Jaunes soit pertinente », indique Loïc Hervé, sénateur centriste de Haute-Savoie. « Effectivement, en 2005 nous n’avions pas les réseaux sociaux et les chaînes d’information en continu qui sont des accélérateurs. Ces deux éléments favorisent un effet d’imitation dans les plus petites villes, et canalisent un certain nombre de jeunes gens », développe-t-il. « Par ailleurs, nous sommes à la fin du mois de juin, il n’y a plus d’école, mais les grandes vacances n’ont pas encore véritablement commencé. Beaucoup de jeunes se retrouvent sans occupation, tout converge, malheureusement, pour que le tumulte continue. »

Une crise générationnelle

Le sénateur LR Philippe Mouiller évoque l’accélération, ces vingt dernières années, des phénomènes d’urbanisation pour expliquer la ramification de ces violences à l’échelle du territoire. « On a vu se développer de manière importante un certain nombre de villes intermédiaires, restées en dehors des événements de 2005. Par conséquent, les quartiers difficiles se sont multipliés. Ce que j’observe, c’est que ces violences, même dans les petites villes, ont presque toujours pour point de départ ces quartiers », note l’élu des Deux-Sèvres, membre de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales. La nuit a également été agitée en Nouvelle-Aquitaine, dans l’agglomération bordelaise en particulier : un poste de police municipale a été incendié à Pessac, le commissariat de Mérignac visé par un projectile.

« Il faut arrêter de parler du problème des banlieues », s’agace Éliane Assassi, la présidente du groupe communiste au Sénat, élue de Seine-Saint-Denis. « On s’étonne que cela touche aussi des petites villes, comme on s’est étonné, il y a quelques mois, de voir des cortèges d’opposants à la réforme des retraites dans les mêmes villes. Certes, les réseaux sociaux jouent un rôle de facilitateurs pour organiser des rassemblements, mais nous sommes face à un malaise générationnel, le problème est celui d’une jeunesse désespérée. »

« La génération de 2023 n’est plus celle de 2005, les parents aussi ne sont plus les mêmes. Certaines limites sont tombées », admet un membre du gouvernement. Ces évènements viennent heurter de plein fouet le calendrier des cent jours d’apaisement voulu par Emmanuel Macron, et qui approche de son terme. Désormais, la violence des évènements de la nuit dernière laisse peu d’espoir quant à un apaisement rapide, alors que la Première ministre Élisabeth Borne doit faire un point sur les réformes à venir au cours de la première quinzaine de juillet.

Emmanuel Macron cible certains réseaux sociaux et les jeunes « intoxiqués » par les jeux vidéo

« Il y a une instrumentalisation inacceptable de la mort d’un adolescent, que nous déplorons tous alors que la période devrait être au recueillement et au respect », a déclaré Emmanuel Macron à l’issue d’une réunion de la cellule interministérielle de crise vendredi. Il a annoncé des moyens de sécurité supplémentaire et a appelé à la « responsabilité » certaines plateformes comme TikTok et Snapchat, responsables selon lui d’une forme de « mimétisme de la violence » chez les jeunes. « On a le sentiment parfois que certains d’entre eux vivent dans la rue les jeux vidéo qui les ont intoxiqués », a-t-il ajouté.

« Je ne dis pas que les réseaux sociaux ou les jeux vidéo n’ont pas une influence sur ce qui se passe, mais on ne peut pas en faire la cause principale », s’agace Philippe Mouiller. « Les réponses apportées après la crise des Gilets Jaunes n’ont pas suffi, notamment en ce qui concerne le manque de considération, l’isolement, l’abandon des services publics. »

« Les déclarations d’Emmanuel Macron n’apportent pas grand-chose », abonde Éliane Assassi. « Si c’est pour nous parler des réseaux sociaux ou de l’autorité parentale, ce n’est pas la peine. On aurait aimé entendre quelque chose sur la doctrine du maintien de l’ordre, qui est un vrai problème de fond dans ce pays, ou encore qu’il annonce un débat au Parlement. »

« On n’avancera pas si on se limite à des déclarations de leaders nationaux »

Reçues à Matignon jeudi, les associations d’élus ont fait une déclaration commune aux côtés de la Première ministre Élisabeth Borne, condamnant les violences et appelant à l’apaisement. « Dans de tels moments, nous devons faire bloc et construire des solutions communes. Nous y sommes résolus. L’unité de la Nation est notre plus grande force », a déclaré David Lisnard, le président de l’Association des maires de France (AMF). « La discussion nationale ne suffira pas, elle doit infuser au niveau local », observe Loïc Hervé, qui est aussi le président délégué de l’Association des Petites Villes de France, qui rassemble les communes de 2 500 à 25 000 habitants. « On n’avancera pas si on se limite à des déclarations de leaders nationaux. Les élus locaux doivent reprendre le contact avec le terrain, trouver des relais, notamment via le milieu associatif ».

Plusieurs responsables politiques, notamment à droite et à l’extrême droite de l’échiquier politique, appellent désormais à l’instauration d’un état d’urgence. Celui-ci permet, entre autres, de restreindre le droit de manifestation. « Je ne sais pas s’il y aura un état d’urgence et je ne sais pas si nous devons le faire, je vois les décisions prises à l’échelle locale : les couvre-feux. Les maires ont la possibilité de le faire je pense que c’est une bonne solution pour permettre aux maires de reprendre le contrôle », a balayé Xavier Iacovelli au micro de « Parlement hebdo ». « Ce serait un moyen de gérer la crise, mais seulement à court terme », avertit Philippe Mouiller. « Il y a une espèce de fanatisme autour de l’état d’urgence », s’agace Loïc Hervé, qui a été l’une des figures de proue, au Sénat, de l’opposition à certaines mesures restrictives mises en œuvre pendant la crise sanitaire. « Je rappelle que l’Etat d’urgence est très attentatoire aux libertés… celles de tout le monde, pas seulement des émeutiers ».

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