L’accès au logement, cette autre source d’inégalités entre les femmes et les hommes

L’accès au logement, cette autre source d’inégalités entre les femmes et les hommes

Dans son dernier rapport annuel sur le mal-logement en France, la Fondation Abbé Pierre s’est penchée sur les mécanismes qui fragilisent l’accès à l’habitat pour les femmes, et s’inquiète tout particulièrement de la situation des mères célibataires. Cette publication alerte également sur les problèmes d’accès au logement rencontrés par les personnes LGBTQ +.
Romain David

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Les inégalités hommes femmes ne s’enracinent pas seulement dans la vie familiale, le parcours scolaire, les écarts de salaire ou, pour citer un exemple récemment mis en lumière par l’actualité politique, la réforme des retraites… elles frappent aussi l’accès au logement. Revenus inférieurs, précarité matérielle, violences conjugales… sont autant de facteurs qui placent la gent féminine dans des situations de rupture, et par extension en première ligne de la crise du logement. Dans son 28e rapport sur l’état du mal-logement en France, publié mercredi 1er février, la Fondation Abbé Pierre s’est penchée sur la question du sexe « comme facteur déclenchant ou aggravant du mal-logement », un aspect souvent survolé par les différentes études sur l’habitat en France, car moins évident à mettre perspective que d’autres formes de discrimination, mais derrière lequel se nichent pourtant de profondes inégalités, qui laissent elle-même transparaître les insuffisances de l’Etat.

« Si les discriminations ethniques, par exemple, sont extrêmement spectaculaires dans l’accès au logement, on constate que les discriminations hommes femmes sont plus ambiguës. Il faut creuser pour comprendre les différences de genre dans l’accès au logement », expliquait Manuel Domergue, directeur des études de la Fondation Abbé Pierre, le 26 janvier dernier lors d’une conférence de présentation du rapport. Ce document de 317 pages présente un important travail de compilation des enquêtes menées au cours des dernières années par des organismes de statistiques tels que l’Insee, la Drees ou l’Institut national d’études démographiques, des études conduites par les institutions européennes mais aussi des données collectées sur le terrain par différentes associations de lutte contre la pauvreté et de défense des droits des femmes.

De prime abord, l’écart entre la part d’hommes seuls et la part de femmes seules frappée par de mauvaises conditions de logement est plutôt faible (respectivement 5 et 4,6 %). À classes sociales égales, les familles monoparentales présentent un risque plus élevé d’habiter dans un logement indigne ou suroccupé. Or, dans la mesure où 81 % de ces familles monoparentales ont à leur tête des mères célibataires, ce sont bien les femmes seules avec enfant qui sont essentiellement concernées par le mal logement par rapport aux hommes dans la même situation familiale. « Alors que la population générale subit de mauvaises conditions de logement à hauteur de 20 %, ce taux est bien plus élevé pour les femmes avec un enfant (40 %), deux enfants (45 %) et trois enfants ou plus (59 %) », pointe le rapport. Par ailleurs, les populations exposées à la rue ont tendance à se féminiser depuis le début du siècle. En 2001, l’Insee estimait que 32 % des personnes sans domicile fixe étaient des femmes, un chiffre passé à 38 % onze ans plus tard.

Des situations de dépendance qui se mettent en place dès le début de la vie d’adulte

La Fondation Abbé Pierre identifie trois moments à risques dans la vie d’une femme, pouvant donner lieu à une bascule dans la précarité et les conduire vers un habitat indigne : la décohabitation - lorsque les jeunes femmes quittent leurs parents, généralement autour de la majorité -, une rupture conjugale et le veuvage. Autant de situations qui trahissent, en creux, la dépendance financière et matérielle de nombreuses femmes vis-à-vis de leurs parents ou du conjoint. Pour rappel : en 2019, le revenu salarial moyen des femmes restait inférieur de 22 % à celui des hommes, selon les chiffres de l’Insee. Elles sont plus nombreuses à travailler à mi-temps ou à interrompre leur carrière, souvent pour s’occuper des enfants, mais aussi à occuper des emplois précaires.

Les jeunes femmes quittent le domicile parental en moyenne à 21 ans contre 22 ans pour les hommes. Les violences intrafamiliales, avec en sous-main la question des violences sexuelles, sont une cause de départ plus prononcée que chez les hommes, avec un fort risque d’exposition au sans-abrisme : 36 % des femmes disent avoir subi des violences avant 18 ans, contre seulement 18 % pour les hommes. Quant aux départs motivés par une rencontre et le désir de se mettre en ménage, ils peuvent s’accompagner d’une forme de dépendance matérielle. « Une association des Bouches-du-Rhône, qui aide les jeunes à accéder à l’habitat, nous raconte que les jeunes femmes entre 18 et 21 ans qu’ils rencontrent sont parties pour suivre un compagnon plus âgé et plus autonome financièrement, ce qui crée une situation de dépendance. Elles ne sont pratiquement jamais titulaires du bail », rapporte Manuel Domergue.

La rupture conjugale, un moment particulièrement critique pour les mères de famille

Il y a chaque année 420 000 séparations conjugales en France. « Au moment de la séparation, la fiction de la mise en commun des biens se rompt, souvent au détriment de la femme », observe encore le directeur des études de la Fondation Abbé Pierre. Les femmes sont davantage impactées par les ruptures, leur perte de revenus est plus forte. En 2010, l’INSEE a montré qu’en cas de séparation, la femme voit son niveau de vie chuter de 10 %, alors que celui de l’homme augmente en moyenne de 4 %. Par ailleurs, dans 43 % des cas de séparation, lorsque le couple est propriétaire, le logement est gardé par l’homme, et par la femme dans seulement 32 % des cas. Commence alors un long parcours du combattant pour la recherche d’une nouvelle habitation : les femmes seules peuvent être confrontées aux préjugés sexistes de certains bailleurs, qui remettent en cause leur solvabilité ou leur capacité à entretenir un logement au-delà des seules tâches ménagères. Pour celles qui se tournent vers le parc social, elles doivent apporter la preuve de leur séparation afin de se désolidariser du revenu fiscal commun, une situation qui peut potentiellement tourner au casse-tête lorsque la rupture s’est mal passée.

Globalement, les séparations sont des périodes où le risque d’endettement s’accroît fortement : 36 % de mères célibataires vivent sous le seuil de pauvreté, et par conséquent avec un risque accru d’expulsion de leur logement. « Les violences conjugales influent également fortement sur la perte du logement pour les femmes, l’urgence à fuir le danger jouant en faveur du maintien dans le logement des hommes », note la Fondation. Les victimes font les frais des insuffisances politiques en matière de prise en charge, avec une errance résidentielle plus ou moins longue selon les cas. Actuellement, l’hébergement d’urgence pour les femmes victimes de violences conjugales compte 10 000 places, un chiffre en augmentation mais qui reste insuffisant selon les associations. La Fondation des Femmes estime que sur 210 000 femmes victimes de violences conjugales, 17 % restent sans solution d’hébergement. Le 16 janvier, l’Assemblée nationale a adopté à l’unanimité un texte visant à faciliter la mise à l’abri d’une personne victime d’un conjoint violent, notamment par le déblocage d’une aide financière d’urgence. Cette proposition de loi, également adoptée au Sénat en octobre, avait été portée par la sénatrice centriste Valérie Létard.

» Lire aussi - Les inégalités entre les femmes et les hommes accentuées en milieu rural, pointe un rapport du Sénat

Des inégalités qui perdurent face à la mort

Parce que les femmes sont en moyenne plus jeunes dans les couples, et parce que leur espérance de vie est plus importante, elles sont plus nombreuses que les hommes à se retrouver en situation de veuvage. En 2021, le taux de pauvreté des femmes veuves était de 11,7 % contre seulement 3,7 % chez les veufs. Cet écart montre que les pensions de réversion ne compensent que partiellement la baisse de revenus liés à la perte du conjoint. De là des difficultés pour entretenir le logement, supporter les charges, le loyer ou les taxes foncières lorsqu’il s’agit d’une propriété. « Les situations de mal logement pour le segment des veuves sont assez peu abordées par la presse et les études », pointe Manuel Domergue.

Le rapport fait également état « d’une pratique discriminatoire fréquente de l’héritage à l’encontre des femmes au sein des familles, réduisant leurs chances d’accéder à la propriété. » Après le décès d’un parent, elles ont tendance à être désavantagées lors de la répartition des biens dits « structurants », comme le logement, les entreprises ou les portefeuilles d’action, « À la différence de leurs frères, elles sont vues comme des héritières moins fiables pour faire perdurer le patrimoine familial », analyse Manuel Domergue. L’écart en France entre le patrimoine détenu par les hommes et celui des femmes est l’un des plus élevés d’Europe : entre 1998 et 2015, il s’est même creusé de 7 points, passant de 9 à 16 %.

Le risque d’invisibilisation des minorités LGBTQ +

La Fondation Abbé Pierre a également élargi sa réflexion aux discriminations subies dans l’accès au logement par les personnes LGBTQ +, avec quelques chiffres particulièrement criants. En 2020, 24 % des personnes transgenres françaises disaient s’être senties discriminées en raison de leur identité de genre, alors qu’elles recherchaient un logement à louer ou à acheter, un chiffre légèrement au-dessus de la moyenne européenne (21 %). Une part importante des jeunes LGBTQ + est en situation de rupture à cause de conflits familiaux survenus généralement au moment du coming out. Là encore, les femmes sont surreprésentées : alors que seulement 5 % des hétérosexuels ont quitté le foyer parental à la suite d’un conflit, ils sont 15 % chez les jeunes hommes homosexuels et 17 % chez les jeunes lesbiennes. Une étude européenne de 2021 a montré que les conflits familiaux liés à l’identité étaient de loin la première cause de sans-abrisme (71 %) chez les LGBTQ + vivant dans la rue.

« Les discriminations dont sont victimes les personnes LGBTQ + en raison de leur orientation sexuelle ou identité de genre sur le marché du logement, si elles sont bien réelles, ne sont pas plus facilement discernables au-delà du ressenti des personnes concernées », nuance le rapport. La Fondation relève toutefois un manque important de données sur la situation des LGBTQ + face à l’accès au logement en comparaison des travaux menés dans certains pays anglophones comme les Etats-Unis, le Canada ou le Royaume-Uni. Et pointe de ce fait un risque d'« invisibilisation des personnes LGBTQ + » qui interroge la capacité de l’Etat à déployer des politiques adaptées contre les discriminations.

 

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