Polluante, responsable de la disparition progressive de nombreux insectes, très émettrice de CO2, l’agriculture conventionnelle est souvent pointée du doigt comme étant incompatible avec les enjeux écologiques et climatiques de ce siècle. Mais cette image est-elle fidèle à la réalité ? En France, certains ont développé le concept d’« agribashing », pour décrire les critiques récurrentes - et selon eux injustifiées - auxquelles font face les agriculteurs. Celles-ci seraient hors-sol, issues de milieux urbains méconnaissant une réalité rurale beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît : « La réalité du terrain est extrêmement diverse, l’agriculture française est plurielle. Et ce qui est applicable à un agriculteur ne le sera pas forcément chez moi », explique Maxime Buizard Blondeau, céréalier dans le Loiret.
« Aujourd’hui, c’est irresponsable de porter le message d’une alimentation des Français qui ne serait pas sûre, qui serait dangereuse ».
Lui-même utilise des pesticides « le plus modérément possible, tant parce que c’est ma préoccupation de prendre soin de mon outil de travail, ma terre et mon environnement, que pour prendre soin de ma santé ». Mais selon lui, « l’agriculture a déjà énormément changé » et s’avère bien plus vertueuse qu’on ne le pense, en tout cas en France : « Depuis 70 ans, les politiques publiques ont poussé à produire une alimentation en quantité et en qualité. Aujourd’hui, c’est irresponsable de porter le message d’une alimentation des Français qui ne serait pas sûre, qui serait dangereuse » plaide l’agriculteur. Il regrette que cette agriculture « de plus en plus vertueuse » soit mise en concurrence avec l’agriculture américaine « dont les pratiques sont d’un autre âge », en termes de respect de l’environnement. Par rapport à de nombreux pays, la France aurait donc un modèle agricole beaucoup plus durable.
Deux fois plus de bio en Italie qu’en France
« Il y a eu beaucoup d’avancées en agronomie » concède Bertrand Omon, agronome, mais « au final la ferme France n’est pas aussi vertueuse que ça ». Pour lui, cet argument-là est inopérant, et condamne justement l’agriculture à se complaire dans une forme d’autosatisfaction stérile. Des propos qu’approuve Olivier Andrault, chargé de mission pour l’UFC Que Choisir : « Dire que la ferme France est beaucoup plus vertueuse qu’ailleurs n’est pas un discours tenable » explique-t-il, en donnant notamment un chiffre : « En France, la surface agricole utile en bio est de l’ordre de 8 %, en Italie, c’est deux fois plus ». Pourtant, comme il l’explique, des leviers existent, et ce depuis longtemps : « Depuis 1992, en théorie, l’agriculture conventionnelle est censée recevoir des aides sous réserve d’être en conformité avec des mesures de protection de l’environnement. Or il y a plein de rapports qui montrent que cela ne marche pas puisque l’utilisation en termes d’intensité des pesticides continue à augmenter ».
« En France, la surface agricole utile en bio est de l’ordre de 8 %, en Italie c’est deux fois plus ».
Alors comment expliquer ces échecs ? Peut-être par une trop grande radicalité dans les velléités de changement, avec une vision trop binaire entre le bio et le conventionnel : « Sous prétexte de changement radical, ça fait quinze ans qu’on ne change rien au modèle existant. Alors qu’en fait, une très grosse réduction des produits phytosanitaires reste compatible avec pratiquement le même modèle. C’est dommage de ne pas en profiter », regrette Bertrand Omon.
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