La démocratie selon Erdogan
À quelques jours des élections législatives et présidentielle en Turquie, l'exercice autoritaire du pouvoir par Recep Tayyip Erdogan cristallise les débats. Alors que l’homme fort de Turquie était qualifié de « dictateur » par Le Point le mois dernier, provoquant une vive réaction de ses sympathisants, universitaires et journalistes décrivent une réalité plus nuancée et un régime en constante mutation.

La démocratie selon Erdogan

À quelques jours des élections législatives et présidentielle en Turquie, l'exercice autoritaire du pouvoir par Recep Tayyip Erdogan cristallise les débats. Alors que l’homme fort de Turquie était qualifié de « dictateur » par Le Point le mois dernier, provoquant une vive réaction de ses sympathisants, universitaires et journalistes décrivent une réalité plus nuancée et un régime en constante mutation.
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Par Alexandre Delrieu

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« La démocratie c’est comme un tramway, une fois arrivé au terminus, on en descend » clamait en 1996 celui qui allait se hisser à la tête de l’État turc. Deux décennies plus tard, la démocratie turque de Recep Tayyip Erdogan est-elle arrivée à son terminus ? Depuis la première victoire électorale en 2003 du parti AKP qu’il a fondé, l’ancien maire d’Istanbul a connu une ascension durable. Après avoir progressivement écarté la plupart de ses opposants politiques, le président turc concentre aujourd’hui les pouvoirs, au point d’être qualifié de dictateur par certains observateurs.

« Un tournant autoritaire », pas une dictature

Pour le politologue Jean Marcou, le terme dictature ne suffit pas à décrire la complexité du système politique turc. Si le chercheur observe qu’un « tournant autoritaire a été pris il y a quelques années », il insiste sur la personnalisation du pouvoir qu’exerce Recep Tayyip Erdogan. « On a véritablement quelqu’un qui se présente comme le chef, et finalement comme celui qui détient les clés de cette vision transcendantale qui est celle de la Turquie » indique-t-il.

La Turquie, une dictature ? "C'est un peu prématuré comme constat" pour Guillaume Perrier #UMED
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Une personnalisation du pouvoir qui s’accompagne de purges régulières dans les grands corps de l’État, dont la dernière fait suite au coup d’État raté de juillet 2016. « Ce phénomène de purge, finalement, est une manière permanente de fonctionnement de l’État turc », observe l’ancien correspondant du Monde à Istanbul Guillaume Perrier. Le journaliste poursuit : « Aujourd’hui Erdogan a réussi parfaitement à coups de menaces, de divisions, de polarisations, à recomposer en permanence le paysage autour de sa personne, et à réduire donc toutes les idéologies à de la figuration ».

« Il est encore possible d’exprimer des voix dissidentes »

Pour l’heure, les observateurs s’accordent sur la difficulté de prédire l’évolution du régime. Quand bien même la péninsule anatolienne serait  « sur le chemin d’un régime possiblement dictatorial » avec des médias « largement censurés », Guillaume Perrier reconnaît qu’ « il y a une opposition, il y a des élections qui sont encore relativement pluralistes, pas complètement libres et équitables ».

Parallèlement, l’historien kurde Hamit Bozarslan pointe la paramilitarisation du régime turc, qui pourrait à terme « vider l’État de tout mécanisme de contrôle et d’équilibre ».

Erdogan est-il un dictateur ? - Réponse de l'ambassadeur de Turquie en France #UMED
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Une analyse qui contraste avec la parole officielle. L’ambassadeur de Turquie à Paris İsmail Hakkı Musa refuse de parler de dictature : « Recep Tayyip Erdogan est un leader élu démocratiquement ». L’ancien numéro deux des services de renseignement turc rappelle qu’Erdogan a gagné douze élections consécutives et exhorte les commentateurs européens à « respecter le choix du peuple turc ».

Des élections anticipées très attendues

Les élections générales anticipées qui se tiendront le 24 juin prochain, et qui consacreront le passage de la Turquie vers un régime présidentiel, pourraient bien être un test pour la démocratie anatolienne. Selon bon nombre d’observateurs, l’issue de ce scrutin s’annonce plus incertaine que lors des précédentes échéances. « La situation est assez nouvelle parce qu’il n’y a eu qu’une seule élection présidentielle au suffrage universel en 2014, et il n’y avait que trois candidats. Là on a six candidats au premier tour, c'est-à-dire qu’il peut y avoir une dispersion des voix » souligne Jean Marcou. « Des sondages relativement convergents donnent le président sortant, perdant ou gagnant sur un fil de rasoir » ajoute Hamit Bozarslan.

"Erdogan peut perdre les élections mais on ne voit pas comment il pourrait accepter la défaite" selon Hamit Bozarslan #UMED
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En cas de défaite, l’homme qui est à la tête de l’État turc depuis plus de quatorze ans cèdera-t-il le pouvoir ? Hamit Bozarslan en doute : « J’ai l’impression qu’Erdogan fera tout pour ne pas perdre ces élections […] quitte à contourner la légalité ou violer la légalité ». L’ambassadeur turc en poste à Paris est quant à lui catégorique, Erdogan acceptera le résultat des urnes : « Il n’y a pas mieux que lui pour respecter l’opinion du peuple ».

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