La France dépassée par l’Espagne dans la production mondiale de vin : est-ce seulement la faute du gel ?

La France dépassée par l’Espagne dans la production mondiale de vin : est-ce seulement la faute du gel ?

Le gel d’avril dernier a été terrible pour la filière viticole, avec 27 % de pertes sur l’ensemble du territoire. La France est même passée derrière l’Espagne en termes de volume total produit. Mais les conséquences sur la filière dépassent largement une mauvaise année de production. De quoi remettre en cause le modèle viticole français basé sur la qualité de la production et non le volume ?
Louis Mollier-Sabet

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La situation du secteur viticole français inquiète. Selon l’Organisation internationale de la vigne et du vin, l’Espagne est passée devant la France en termes de volume de vin produit en 2021. La faute à un climat particulièrement hostile pour les viticulteurs français, notamment avec les intenses gels du printemps dernier. Mais ce n’est pas tant le classement qui préoccupe Stéphane Pla, sénateur de l’Aude et viticulteur : « Cela ne me dérange pas que l’Espagne passe devant la France, cela se joue à 1 million d’hectolitres, le tout c’est que l’on vende et que l’on exporte bien nos vins. » De ce côté-là, les chiffres sont un peu moins alarmants. La France reste largement première en termes de valeur totale produite dans le secteur, c’est-à-dire si l’on prend en compte le prix au litre, et pas seulement le volume total produit. En valeur, la France dépasse même l’Italie, premier producteur en volume depuis plusieurs années déjà. Pour Henri Cabanel, sénateur de l’Hérault, lui aussi viticulteur – et même « viticulteur avant d’être sénateur » – cette stratégie de qualité de la filière française la prive d’une partie du marché et explique, au-delà des conditions climatiques, la perte de vitesse par rapport à l’Espagne dans les volumes de production.

>> Lire aussi : Gel des cultures : une « Saint-Barthélemy de l’agriculture » pour le sénateur Sébastien Pla

« C’est la triste réalité du libre-échange »

Certes, 27 % de pertes par rapport à 2020, c’est un peu en dessous de ce que l’on avait pu craindre en avril dernier, comme l’explique Sébastien Pla : « Les chiffres sont légèrement meilleurs que ce qu’on avait prévu. Dans le Languedoc par exemple, on fait d’habitude entre 12 et 14 millions d’hectolitres, on pensait tomber à 7 et on sera finalement à 9. » Il n’empêche que c’est un manque à gagner énorme pour les acteurs de la filière viticole. D’autant plus que, d’après le sénateur socialiste, les mauvaises récoltent d’une année constituent un vrai danger « à moyen terme » : « Le risque pour la filière viticole c’est, à moyen terme, la perte à l’export si on ne fournit plus nos clients historiques. Si vous n’arrivez pas à honorer les contrats, ces clients se tournent vers d’autres fournisseurs et signent des nouveaux contrats qui sont perdus sur plusieurs années. C’est dommageable parce qu’il faut du temps pour reconquérir des parts de marché. »

D’ailleurs, face au « mur » de cette mauvaise récolte, conjuguée à la crise économique liée au covid et à la taxe Trump de fin 2019, Sébastien Pla s’interroge sur le remboursement des Prêts garantis par l’Etat (PGE) : « Il va falloir discuter de l’étalement du remboursement si l’on veut rebondir. » En fait, on comprend plus globalement que ce déficit de presque un tiers de la production sur une année va laisser des traces et n’est pas seulement l’affaire d’une récolte particulièrement mauvaise. La filière va être durablement touchée par cette conjoncture particulièrement difficile, parce que « perdre des marchés, cela peut aller très vite, mais les regagner, c’est beaucoup plus difficile. ». « C’est la triste réalité du libre-échange dans la viticulture » conclut le sénateur de l’Aude.

« Produire du vin d’entrée de gamme, ce n’est pas produire du vin de mauvaise qualité »

Pour Henri Cabanel aussi, c’est le libre-échange qui dicte cette chute du volume de production viticole français, mais le sénateur du groupe radical RDSE y voit plutôt une inadéquation de la stratégie française au marché qu’une « réalité » à regretter. « Il va falloir comprendre qu’on ne fait pas le vin que l’on veut, mais que l’on produit du vin par rapport aux besoins du marché » martèle le sénateur de l’Hérault, conscient que son diagnostic n’est pas largement partagé dans la profession. D’après lui, la filière viticole s’est volontairement détournée des vins d’entrée de gamme, « sous prétexte que cela pourrait donner une image négative de ne pas faire de la qualité » et se prive ainsi « d’un segment du marché qui a toujours existé. » Ainsi, la faiblesse française actuelle en termes de volume de production par rapport à l’Espagne ou l’Italie ne daterait pas des mauvaises conditions climatiques de cette année, dans la mesure où elle serait véritablement structurelle : « Le négoce est incapable de se fournir en France pour de l’entrée de gamme, donc ils vont en chercher en Espagne ou en Italie » explique le sénateur RDSE.

Henri Cabanel insiste, produire de l’entrée de gamme à bas prix, « ce n’est pas produire du vin de mauvaise qualité ». D’après lui, c’est simplement miser sur un certain type de parcelles viticoles pour dégager de forts rendements et pouvoir concurrencer les Espagnols à un niveau de prix faible en compensant par du volume : « Nous sommes en capacité de le faire, il suffit que les interpros acceptent de jouer le jeu et que l’on dédie certaines parcelles, comme des plaines viticoles traversées par l’Hérault, à de la production de vin à forts rendements d’entrée de gamme. » La France aurait été dépassée par l’Espagne parce que cette dernière « a compris » cette stratégie et « se positionne » sur ce créneau. Henri Cabanel appelle la France à en faire de même, mais pas sûr que cette stratégie soit très consensuelle dans les milieux viticoles.

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