La fusion TF1-M6 à la loupe de l’Autorité de la concurrence : ce qui pourrait coincer

La fusion TF1-M6 à la loupe de l’Autorité de la concurrence : ce qui pourrait coincer

Les groupes propriétaires de TF1 et de M6 sont auditionnés cette semaine par l’Autorité de la concurrence. Ils vont devoir affronter les réticences de cette instance de contrôle sur la fusion annoncée des deux géants de l’audiovisuel français.
Romain David

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L’Autorité de la concurrence (ADLC) se penche cette semaine sur le mariage le plus attendu du paysage audiovisuel. Mariage princier, tant les enjeux financiers, mais aussi en termes d’influence, sont considérables : la fusion entre TF1, propriété du groupe industriel Bouygues et première chaîne privée d’Europe de par ses audiences, et sa concurrente M6, propriété de RTL Group dont l’actionnaire principal est le géant allemand Bertelsmann. Rien toutefois n’est encore acquis puisque ce rapprochement, officiellement annoncé en mai dernier, soulève de nombreuses inquiétudes du côté de l’ADLC, l’autorité administrative chargée de lutter contre les pratiques anticoncurrentielles. En juillet, Nicolas de Tavernost, le PDG de M6 - qui doit prendre la tête de la future entité - a révélé que dans un rapport non rendu public l’organisme antitrust pointe des « problèmes de concurrence significatifs », et fait savoir qu’il n’est « pas favorable » à cette fusion.

Il faut dire que les chiffres ont de quoi donner le tournis. TF1 représente 9 chaînes, le groupe M6, 14 auxquelles s’ajoutent trois radios. En se fondant sur les audiences télé communiquées par les uns et les autres pour la saison 2021-2022, la nouvelle entité pourrait représenter plus de 37 % d’audience totale cumulée. Surtout, les deux groupes étant principalement financés par de la publicité, ils pourraient à eux seuls capter 75 % des recettes du marché publicitaire en France. C’est ce dernier point, d’ailleurs, qui cristallise une large partie des inquiétudes.

Pourquoi cette fusion ?

Auditionnés jusqu’à mardi, les différents responsables de M6 et de TF1 vont donc devoir redoubler de pédagogie pour convaincre les 17 membres du collège de l’Autorité de la concurrence du bien-fondé de ce mariage. Principal argument : créer une entité capable de résister à la concurrence de la vidéo en ligne et des plateformes sur abonnement comme Netflix, Disney + ou encore Amazon Prime Vidéo. D’autant qu’après avoir fait florès dans la fiction ces dernières années, ces nouveaux acteurs lorgnent désormais sur d’autres secteurs audiovisuels, comme la téléréalité et le sport, Amazon ayant acquis en 2021 la plupart des droits de la Ligue 1 et ceux des nocturnes de Roland-Garros. Arguant de la mutation des pratiques de consommation, TF1 et M6 plaident d’ailleurs pour que le marché de référence ne se borne pas seulement à l’audiovisuel mais inclut aussi ces géants de la VOD, ce qui, mathématiquement, réduirait le poids de la nouvelle entité TF1-M6. Leur part sur le marché de la publicité passerait ainsi de 75 à 25 %.

« Les investissements des plateformes, accessibles en un seul clic sur les télécommandes, donnent le vertige. Les huit premiers groupes américains investissent 115 milliards de dollars de dépenses pour les films et les émissions de télévision sur l’année qui vient. Aussi, les acteurs nationaux doivent défendre des projets ambitieux pour préserver un modèle garantissant notre souveraineté culturelle. Ce projet de fusion en est un », a défendu Gilles Pélisson, président-directeur général du groupe TF1, en février dernier lors d’une audition devant la Commission d’enquête parlementaire sur la concentration des médias, dont les travaux se sont en partie portés sur cette éventuelle fusion.

» Lire notre article - Fusion TF1/M6 : « On est très loin du géant qui dominerait le marché français », assure Gilles Pélisson

Pour quelles raisons les arguments des deux groupes laissent dubitatifs certains sénateurs ?

Mais du côté des sénateurs, la démonstration n’a pas vraiment convaincu. Sur le registre des synergies nouvelles et de la force de frappe, la fourchette de 250 à 350 millions d’euros que le binôme TF1-M6 espère pouvoir investir chaque année, trois ans après la fusion, serait bien en peine de faire de l’ombre aux milliards des géants comme Google et Facebook. « L’argument selon lequel TF1 et M6 jouent leur survie face aux plateformes telles que Netflix ou Amazon ne tient pas une seconde, qu’il y ait union ou pas, ils resteront des nains face aux grandes plateformes américaines », avait relevé cet été auprès de Public Sénat le rapporteur socialiste David Assouline.

Un changement d’échelle dans la prise en compte du marché aurait également un impact sensible sur l’ensemble du secteur audiovisuel, en réduisant le poids de ses différents acteurs. « L’impact serait d’autant plus important que l’audiovisuel public est déjà atteint par la suppression de la redevance télé », pointe auprès de Public Sénat le sénateur centriste Laurent Lafon, président de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Dans son rapport, la commission d’enquête alerte également sur les conséquences qu’un tel rapprochement pourrait avoir sur l’indépendance des rédactions et la pluralité des médias. « Devant nous, ils ont été relativement énigmatiques sur l’intérêt de cette fusion », poursuit Laurent Lafon. « Que ce soit sur la concurrence, les investissements technologiques ou encore l’ouverture à l’international. Quelles sommes veulent-ils investir ? Dans quels secteurs précisément ? ». Autant de questions auxquels les dirigeants de TF1 et M6 devront à nouveau répondre au cours des prochaines 48 heures.

Quelles sont les garanties apportées par TF1 et M6 ?

La nouvelle entité devra se délester de plusieurs chaînes pour se mettre en conformité avec la loi de 1986, qui limite à sept le nombre d’autorisations pour un seul opérateur. Selon le journal Les Echos, Gulli, TFX, TF1 Séries Films ou 6Ter seraient sur la sellette.

Toujours selon une information du quotidien financier, TF1 et M6 se sont déjà engagés cet été auprès de l’ADLC sur une série de mesures, notamment une stricte séparation des deux régies publicitaires pendant trois ans. « C’est un peu un minimum », relève Laurent Lafon. La décision de l’Autorité de la concurrence doit être rendue courant octobre. L’exécutif dispose toutefois d’un droit de veto. Interrogé sur ce point par les sénateurs en juin, le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, a laissé entendre qu’il se rangerait à l’avis de l’Autorité : « Je n’ai utilisé mon pouvoir d’évocation qu’une unique fois en cinq ans, alors que l’Autorité de la concurrence a rendu 195 décisions dans le même temps. Il s’agit donc d’un ultime recours. »

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