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Laïcité à l’école : 20 ans après, retour sur la genèse et l’application de la loi de 2004

20 ans jour pour jour après la promulgation de la loi interdisant le port de signes religieux ostensibles, le respect de la laïcité dans les établissements scolaires agite toujours le débat public. Le Premier ministre, Gabriel Attal a fait du respect de ce principe l’une de ces priorités. Ces dernières années, la loi de 2004 a fait l’objet de clarifications et de tentatives d’adaptation.
Simon Barbarit

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« Les signalements pour port de signes et de tenues religieuses sont au plus bas. C’est une victoire sans précédent pour la laïcité depuis 2004 », s’est félicité, cette semaine, dans un entretien à l’AFP le Premier ministre, Gabriel Attal. Lors de son bref passage au ministère de l’Education l’année dernière, il avait fait du respect de l’un des textes fondateurs de la laïcité en France, l’une de ses priorités.

Et pourtant, il y a 20 ans, l’idée de légiférer sur cette question était loin d’aller de soi. Le débat sur le port de signes religieux ostensibles dans les établissements scolaires et plus précisément le port du voile islamique émerge en France à la fin des années 80. A la rentrée de 1989, trois collégiennes sont exclues de l’établissement Gabriel-Havez de Creil pour avoir refusé d’enlever leur voile au nom de leur religion. Le principal du collège estimait que le port du voile était incompatible avec le principe de laïcité. Face au vide juridique qui entoure cette question du port du voile à l’école, le ministre de l’Education de l’époque, Lionel Jospin décide de saisir le Conseil d’Etat.

Après une décennie de flou juridique, Jacques Chirac lance la commission Stasi

Dans une décision rendue quelques semaines plus tard, le Conseil juge que le port du voile islamique n’est pas incompatible avec le principe de laïcité et que l’exclusion du collège « ne serait justifiée que par le risque d’une menace pour l’ordre dans l’établissement ». Lionel Jospin publiera par la suite une circulaire stipulant que ce sont aux enseignants d’accepter ou de refuser le voile en classe.

Lors de la décennie suivante, une autre circulaire, émise par François Bayrou, viendra distinguer « les signes discrets » ne justifiant pas l’exclusion à l’inverse « des signes ostentatoires ». Plusieurs dizaines de jeunes filles seront exclues de lycées publics pour ce motif, et certaines exclusions seront annulées par les tribunaux. Afin de faire respecter le principe constitutionnel d’égalité devant la loi, Jacques Chirac décide à l’été 2003, de mettre en place « une commission de Sages », pour « rechercher le plus large accord sur des propositions avant d’envisager le cas échéant toute initiative législative ». La commission composée d’universitaires, de juristes, d’élus, de responsables associatifs est conduite par le médiateur de la République, Bernard Stasi. Il mène ses auditions à la fin de l’année 2003 au Sénat.

Quand Nicolas Sarkozy s’opposait à une loi pour interdire le voile à l’école

D’emblée, le personnel politique est divisé sur l’opportunité de faire une loi. La question dépasse même le clivage gauche droite comme le montre le documentaire réalisé par Public Sénat, « Derrière le voile, dans les coulisses de la commission Stasi », de Dorothée Thénot (diffusé le 22 mars à 22 heures sur Public Sénat). A droite, Alain Juppé, François Fillon plaident pour une loi. Tandis que le ministre de l’Education de l’époque, Luc Ferry, son prédécesseur, François Bayrou mais aussi le futur président de la République, Nicolas Sarkozy sont contre. « Une nouvelle loi est une position dangereuse. Qu’est-ce que c’est que ce faux débat avec d’un côté les défenseurs de l’idéal républicain qui veulent une nouvelle loi et de l’autre, les abominables s’inclinant devant l’extrémisme ? Ce n’est pas la vérité. Je suis opposé à toute forme de signes religieux et en même temps très réservé sur une nouvelle loi sur la laïcité », expose Nicolas Sarkozy devant la commission Stasi.

Conformément au rapport de la commission Stasi, la solution finalement choisie par Jacques Chirac sera une nouvelle la loi sur l’interdiction des signes religieux ostensibles dans les écoles, collèges et lycées publics, adoptée par le Parlement début 2004 et promulguée le 15 mars.

La question des accompagnants scolaires

Sous le premier quinquennat d’Emmanuel Macron, la droite sénatoriale va être à l’œuvre pour aller encore plus loin dans l’application du principe de neutralité. Un texte et plusieurs amendements portés par la sénatrice LR Jacqueline Eustache Brinio auront pour but d’imposer la neutralité religieuse des accompagnants scolaires. Les mères accompagnatrices ne sont pas considérées comme des agents auxiliaires du service public et ne sont donc pas soumises au principe de neutralité religieuse.

Le gouvernement s’y est montré à chaque fois défavorable. « Nous ne sommes pas démunies, en fonction du droit existant, pour regarder au cas par cas si le port de signes religieux par les parents d’élève correspond à un signe de prosélytisme ou de pression inacceptable sur les élèves […] Une loi irait au-delà du nécessaire et aurait des effets contre-productifs », soutient Jean-Michel Blanquer dans l’hémicycle, lors de l’examen de la proposition de loi.

Abayas : la droite sénatoriale salue la fermeté de Gabriel Attal

Le débat sur le port des signes religieux ostensibles a été relancé ces dernières années avec les abayas. Est-ce un vêtement culturel ou s’agit-il d’un habit cultuel dont le port renvoie ostensiblement à la pratique religieuse ? Cette question va empoisonner le passage de Pap Ndiaye au ministère de l’Education nationale, soupçonné par la droite et l’extrême droite de défendre une laïcité trop accommodante. Dans une circulaire du 9 novembre 2022, le ministère de l’Éducation souligne que le Conseil d’État distingue les signes ou tenues qui manifestent « par leur nature même, une appartenance religieuse », et ceux qui « peuvent le devenir » en raison « du comportement de l’élève ». Dans les deux cas, elles sont interdites. Pour Pap Ndiaye, ce sont aux chefs d’établissement d’apprécier le caractère religieux ou non et le cas échéant d’appliquer « des sanctions lorsque le dialogue n’a pas pu aboutir avec la famille ».

Son successeur, Gabriel Attal sera plus ferme en annonçant sur TF1 à la rentrée 2023 que les abayas sont désormais considérées comme des signes religieux et sont donc prohibées au titre de la loi de 2004. Le Conseil d’Etat valide quelques semaines plus tard l’interdiction. Il y a quelques jours, en remettant ses conclusions, La commission d’enquête du Sénat portant sur les menaces et agressions contre les enseignants a salué la position prise par Gabriel Attal. « Cette clarification a permis de mettre fin très rapidement à cette pression contre la laïcité : 513 établissements étaient, selon les estimations du ministre à la veille de la rentrée, concernés par le port de l’abaya, 298 élèves se sont présentées ainsi vêtues le jour de la rentrée, seules 67 n’ont pas accepté de l’enlever le premier jour », note le rapport.

Les rapporteurs relèvent néanmoins des « zones grises » dans l’application de la loi de 2004. C’est pourquoi, ils recommandent d’élargir l’interdiction du port de signes ostensibles « à toute activité organisée par l’institution scolaire, en dehors du temps scolaire (sortie scolaire le soir, cérémonie de remise d’un prix pour un concours organisé par l’éducation nationale ou en partenariat avec le ministère, participation à un forum d’orientation organisé par l’établissement scolaire, …) »

Elle recommande également de développer les structures d’accueil pour les élèves hautement perturbateurs ou poly-exclus. Interrogé par l’AFP sur le sujet des « élèves radicalisés », Gabriel Attal a annoncé des pistes « pour permettre de sortir de leur établissement ce type d’élèves » d’ici la fin de l’année.

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