S’épanouir au travail, une aspiration légitime. Pour de nombreux chercheurs, chefs d’entreprise et syndicats, le bonheur au travail nécessiterait de repenser l’encadrement au sein des entreprises pour accorder plus d’autonomie aux salariés. Pour y parvenir, le télétravail est l’une des pistes avancées. En ce sens, l’une des ordonnances Pénicaud signées par le président de la République en septembre dernier, visant à réformer le Code du travail, prévoit un assouplissement des règles de recours au télétravail. Jusque-là très encadré, le travail à distance ne nécessite plus aujourd’hui de modifier le contrat de travail.
Un gain de productivité ?
Pour le sociologue Jean-François Dortier, le recours au télétravail, dans les corps de métier qui le permettent, serait à la fois bénéfique pour les salariés et leur employeur. Alors que le travail à distance permet aux salariés d’économiser le temps et l’argent qu’ils perdent dans les transports, Jean-François Dortier avance que les entreprises profiteraient d’un regain de productivité de leurs collaborateurs. « Globalement toutes les enquêtes montrent que les gens travaillent, souvent même ils sont plus assidus encore au travail » indique-t-il.
Marie-José Kotlicki : "On ne peut pas être télétravailleur cinq jours sur cinq" #UMED
« On leur fait confiance a priori »
Le télétravail est également source de liberté, de souplesse et d’autonomie pour les salariés, estime Emmanuel Hervé, président du Groupe Hervé. Pour lui, ce nouveau mode de travail incite les entreprises à évoluer vers de nouvelles formes de management basées sur la confiance. « À partir du moment où vous donnez de l’autonomie et de la responsabilité aux salariés, qu’on leur fait confiance a priori, il n’y a aucun problème » indique-t-il. S’il reconnaît que le télétravail nécessite un contrôle a posteriori, il demande surtout aux équipes de s’autoréguler sans dépendre systémiquement de leur hiérarchie.
« Il n’y a pas de liberté sans droit et sans protection »
Une telle liberté ne saurait pour autant être réelle sans être encadrée par la loi, considère Marie-José Kotlicki, Secrétaire Générale de l’Ugict CGT. « Il n’y a pas de liberté sans droit et sans protection ». Pour la syndicaliste, si le télétravail doit être volontaire, le « temps de travail réel » doit être contrôlé afin de respecter les temps de repos.
Sur ce point, le « droit à la déconnexion » a fait son entrée dans le Code du Travail avec la réforme de 2016. Celui-ci prévoit une négociation annuelle obligatoire sur l'articulation vie personnelle et professionnelle des salariés afin de mettre en place dans l'entreprise des dispositifs de régulation de l'utilisation des outils numériques.
Pour Thomas Coutrot, le télétravail ne doit pas être un "substitut à une réflexion sur la véritable transformation de l’organisation du travail" #UMED
« On ne peut pas être télétravailleur cinq jours sur cinq »
Marie-José Kotlicki met également en garde contre les risques d’une généralisation du télétravail qui pourrait altérer le lien social entre les individus. « On ne peut pas être télétravailleur cinq jours sur cinq. (…). On a besoin de retrouver des lieux où physiquement on récrée du lien social. C’est là que se bâtissent aussi les synergies et la relation humaine ». En ce sens, Thomas Coutrot, économiste et statisticien au ministère du Travail, responsable de l’enquête nationale « Conditions de travail » réalisée par la DARES, indique que « les entreprises qui ont développé du télétravail sont aussi les entreprises où les managers nous disent qu’il y a beaucoup de tension entre les équipes ».
Pour l’économiste, le travail à distance est un moyen mais pas une fin en soi. « Il faut faire attention à ce que le télétravail ne soit pas un substitut à une réflexion sur la véritable transformation de l’organisation du travail ».
Retrouvez notre débat « Être heureux au travail, une utopie ? » dans l'émission Un monde en Docs, présentée par Nora Hamadi, le samedi 28 avril à 23h30, le dimanche 29 avril à 9h50, le mardi 1er mai à 10h30 et le dimanche 6 mai à 18h50 sur Public Sénat.
Pour aller plus loin :
- « Libérer le travail. Pourquoi la gauche s'en moque et pourquoi ça doit changer », de Thomas Coutrot, Ed. Seuil – 2018
- « Travail, guide de survie », de Jean-François Dortier, Ed. Sciences Humaines – 2017
- « Une nouvelle ère, sortir de la culture du chef », de Michel Hervé, Ed. François Bourin, 2015
- « Liberté & cie » de Isaac Getz, ed. Fayard, 2012
- « Ecolonomie. Entreprendre sans détruire », d’Emmanuel Druon, Ed. Actes Sud – 2016
- « Démocratiser l’entreprise », Revue Esprit, numéro de mars 2018.