Le numérique est-il toxique ?

Le numérique est-il toxique ?

Tout va très vite et de plus en plus vite. Aussi bien au niveau des moyens de communication, des transports, que de la consommation, nous sommes perpétuellement entraînés dans une spirale de vitesse dont on ne connaît pas la fin. C’est dans le domaine du numérique que ces changements rapides sont les plus visibles. Mais comment les nouvelles technologies conditionnent-elles vraiment notre cerveau, nos actions, nos relations sociales et nos vies ?
Public Sénat

Par Amélia Morghadi

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Gordon Moore, cofondateur de la société de microprocesseurs Intel avait prédit dès 1965, que la puissance des ordinateurs et des outils numériques allait doubler tous les deux ans, énonçant ainsi la théorie qui s’est depuis vérifiée, dites « Loi de Moore ».

Cette croissance exponentielle, qui semble sans limite, nous contraint à vouloir tout toujours plus vite, et nous a habitués à des changements constants dans les outils que nous utilisons au quotidien.

Une consommation avide d’information, de communication et d’instantanéité qui n’est pas anodine.

L’ultra-connexion, une addiction ?

Pour Sébastien Bohler, rédacteur en chef de la revue Cerveau & Psycho, la sur-connexion est une véritable addiction. À travers les sensations de manque, le besoin de toujours augmenter la dose, on y retrouve les mêmes symptômes : « notre cerveau est très demandeur d’information, nous avons des neurones dans notre cerveau qui ne font que chercher de l’information, et qui ne peuvent pas y résister » nous explique le journaliste. De plus, « la multiplication de l’information fait intervenir la dopamine, la substance du plaisir » poursuit-il.

"On est arrivé dans une époque où l'on ne peut plus se reposer" #UMED
01:26

Mais comme pour tous les excès, il y a un moment où l’on rencontre le point de rupture. Les cas de burn-out numérique fleurissent.
C’est ce qui est arrivé au journaliste et chroniqueur Guy Birenbaum, il témoigne de sa journée type lors d’une conférence : « tu embrasses à peine tes enfants,  une oreillette dans l’oreille gauche, j’écoute la radio, mon téléphone dans la main droite, je discute avec mes copains : il est très probable que  mes filles et ma femme m’aient parlé à cette époque, je peux vous dire que je n’en ai pas beaucoup de souvenirs », confie-t-il.

Selon Sébastien Bohler, l’ultra-connexion peut aussi entraîner des pathologies psychologiques comme par exemple le FOMO (fear of missing out), une sorte d'anxiété sociale caractérisée par la peur constante de manquer une nouvelle importante ou un événement donnant une occasion d'interagir socialement.

 « On est arrivé dans une époque où ne peut plus se reposer : le numérique nous abreuve en permanence d’informations » rajoute le journaliste. L’omniprésence du numérique nous conditionne peu à peu.

Le numérique nous aliène-t-il ?

Le philosophe Jérôme Lèbre pointe le paradoxe qui nous empêche de prendre des mesures radicales sur ce genre d’abus : « Le numérique est ambivalent, il est à la fois extraordinaire et extrêmement inquiétant ».

Il s’alarme également de l’immobilité croissante : « plus une technique accélère plus elle a tendance à nous figer », le fait de se retrouver devant son écran pour tout et n’importe quoi, nous incite à être plus sédentaire.

" Le numérique est à la fois extraordinaire et extrêmement inquiétant » #UMED
01:14

Une habituation qui abaisse nos seuils de résistances sur plusieurs plans : « On a des gros problèmes à tolérer l’attente. Pour le téléchargement d’une application, le lancement d’une vidéo YouTube, on ne tolère plus la frustration liée à l’attente »  observe le rédacteur en chef de Cerveau & Psycho, Sébastien Bohler.  

Encore une fois c’est au niveau du cerveau que le « bug » se passe : « Ce ne sont pas les mêmes structures psychiques qui sont actives dans l’instantanéité et dans le long terme. On gave nos neurones d’instantanéité au détriment de la partie plus cérébrée, plus planificatrice qui nous fait voir les choses à long terme. Cette capacité à garder à l’esprit des objectifs à long terme se trouve affaiblie par l’hypertrophie de notre cerveau impatient et instantané » analyse le journaliste spécialisé dans les neurosciences.

Sébastien Bohler met en garde : « il faut continuer à jouir des bénéfices de la technologie sans se prendre le retour de bâton en pleine figure ». Alors jusqu’où irons-nous avant de trouver le courage de dire stop ?

Revenir au vrai sens des choses

Faire plusieurs choses en même temps sur différents supports : regarder un film tout en surfant sur son smartphone est devenu une activité banale, qui ne va pourtant pas de soi.
« Il y a encore quelque temps je lisais sur des supports modernes, des tablettes, des kindles, et je reviens à des supports traditionnels parce qu’ils me garantissent que pendant le temps où je vais lire, je ne ferai que cela. » témoigne Benoît Thieulin, fondateur de La Netscouade, une agence de communication et de stratégie numérique.

Ne pas avoir recours à son smartphone pour tout, comme le recommande Thierry Le Fur, expert en comportements numériques, est un des moyens de commencer à se détacher du côté toxique du numérique. Et cela passe par des gestes simples : se racheter un réveil, avoir une montre, ou encore faire l’effort de chercher des mots dans un dictionnaire et non sur internet…

 « C’est à nous de retrouver un bon équilibre entre un usage de la technologie qui nous rend de grands services, et les moments où il faut se dire que cette immixtion de la technologie a des effets pervers qui sont bien pires que ce que ça pourrait nous apporter » conclut Benoît Thieulin.

 

Retrouvez notre débat « Est-il urgent de ralentir ? » dans l'émission Un monde en Docs, présentée par Nora Hamadi, le samedi 3 février à 23h30, le dimanche 4 février à 9h52 et le dimanche 11 février à 18h sur Public Sénat.

 

Pour aller plus loin :

 

- « Vitesses », de Jérôme Lèbre, éditions Hermann Philosophie,  juillet 2011

- « L’intelligence interculturelle», de Michel Sauquet et Martin Vielajus, aux éditions Charles Léopold Mayer, 2014

-« Le culte de l’urgence : la société malade du temps » de Nicole Aubert, éditons Flammarion, 2009

- « Accélération » de Hartmut Rosa, éditions La Découverte, 2013

- Le journal le 1, du mercredi 17 janvier : « Est-il urgent de ralentir »

-« Merci d’être en retard. Survivre dans le monde de demain », de Thomas Friedman, aux éditions Saint-Simon, paru le 16 mars 2017

-« Hâte-toi  lentement : sommes-nous programmés pour la vitesse du monde numérique ? » de Lamberto Maffei, aux éditions FYP, 2016

- « Tout s'accélère: comment faire du temps un allié ? » de Gilles Vernet, éditions Eyrolles, mai 2017

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