Le problème des eaux usées britanniques traverse la Manche et provoque une « shitstorm »

Le problème des eaux usées britanniques traverse la Manche et provoque une « shitstorm »

Après un été marqué par l’interdiction de baignade sur plusieurs plages en France et au Royaume-Uni, les élus français mènent la fronde contre le déversement des eaux usées anglaises dans la Manche. Le gouvernement britannique a annoncé un grand plan de rénovation du système des effluents urbains, toujours handicapé par des infrastructures vétustes et une législation permissive.
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Par Clara Robert-Motta

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« La Manche et la Mer du Nord ne sont pas un dépotoir. » C’en est trop pour l’eurodéputée et conseillère régionale de Normandie, Stéphanie Yon-Courtin, qui accuse les Britanniques de déverser leurs eaux usées dans l’espace maritime commun. Depuis plusieurs semaines, les journaux d’outre-Manche dénoncent de nombreuses pollutions du fait d’un déversement massif des eaux usées directement dans la mer. Le problème anglais a traversé les frontières et déclenché la colère d’élus français.


Dans un courrier adressé au commissaire européen à l’Environnement aux océans et à la pêche, trois eurodéputés français se sont emportés contre cette dégradation de la qualité des eaux manchoises et demandent que des mesures soient prises. « Nous craignons des conséquences négatives sur la qualité des eaux marines que nous partageons avec ce pays et incidemment sur la biodiversité marine mais aussi sur les activités des pêcheurs et des conchyliculteurs ». Quelques jours après, c’est au président de la région des Hauts-de-France, Xavier Bertrand, de s’indigner de ces évacuations sauvages les qualifiant de « catastrophe environnementale ».


Depuis le début de l’été, plus de quatre-vingt-dix plages anglaises ont été souillées par des eaux usées selon l’association Surfers Against Sewage. Selon l’agence environnementale nationale, une vingtaine d’entre elles ont été déconseillées à la baignade pour pollution de l’eau. Ce chiffre pourrait même être plus élevé alors que les outils de contrôle installés par les compagnies des eaux ne fonctionneraient pas « 90 % du temps » selon une étude l’agence de l’environnement.

« Nous nous battons contre les pétroliers qui nettoient leurs cales dans notre mer. Faisons de même avec ce genre de pollution, il y a des règles. »

Jean-Marie Vanlerenberghe, sénateur centriste du Pas-de-Calais

En France ces dernières semaines, plusieurs plages des Hauts-de-France ont été fermées à la baignade pour des contaminations ponctuelles à E. coli, une bactérie intestinale, ou à des entérocoques intestinaux. Pour autant, l’ARS note qu’il n’est pas possible d’établir un rapprochement avec les signalements de Xavier Bertrand. Si Jean-Marie Vanlerenberghe, sénateur centriste du Pas-de-Calais, se refuse à tirer des conclusions hâtives, il estime que des études doivent être menées ainsi qu’un recadrage du côté britannique. « Nous nous battons contre les pétroliers qui nettoient leurs cales dans notre mer. Faisons de même avec ce genre de pollution, il y a des règles. »

Des règles, oui. Mais s’appliquent-elles aux Anglais ? Pour les eurodéputés signataires du courrier au commissaire européen, il est clair que non. « Depuis le Brexit, le Royaume-Uni s’est exonéré de ses exigences environnementales », dénoncent-ils. Lors des grosses pluies et lorsque le sol est trop sec pour absorber correctement, les entreprises des eaux usées britanniques sont autorisées à déverser leurs « excédents d’eaux d’orage » (storm overflows) dans rivières et mers. Il s’agit d’éviter les crues éclair. Un système et une législation qui posent question dans un contexte de dérèglement climatique soumis aux événements extrêmes – sécheresses, orages et inondations.

Les eurodéputés, Stéphanie Yon-Courtin, Pierre Karleskind et Nathalie Loiseau, reprochent aux Anglais de ne pas respecter les normes environnementales européennes. S’ils n’y sont effectivement plus soumis depuis le Brexit, ils restent signataires d’une convention des Nations unies sur le droit de la mer, rappellent les eurodéputés. « C’est inacceptable et remet en question les efforts entrepris ces vingt dernières années par les Etats membres de l’UE. »

Cette « shitstorm » qui s’abat sur le gouvernement britannique n’est pas nouvelle. Le système d’eaux usées fait l’objet de vives inquiétudes depuis des années. Avec 15 000 conduites d’eaux usées qui se déversent dans la mer, l’infrastructure est un héritage de l’époque victorienne du XIXe siècle. Le gouvernement – dont le Premier ministre changera le 5 septembre – a annoncé un grand plan de modernisation du système sur 25 ans : 56 milliards de livres (65,25 milliards d’euros au taux de conversion au 30 août 2022) seront investis par les compagnies de distribution des eaux pour « révolutionner les réseaux d’égouts » d’ici à 2050. La somme sera utilisée pour augmenter les capacités des réseaux et le traitement des eaux usées afin de réduire les déversements. Si les compagnies de traitement échouent à mieux traiter, elles pourraient payer des amendes substantielles.

Qui va payer la facture salée ?

Pour l’opposition, ce programme est une « blague cruelle ». Pour eux, ces paiements finiront par peser sur les factures des consommateurs. Le coût supplémentaire pour les consommateurs d’ici à 2030 est estimé par le gouvernement à quelque 12 livres par an et par foyer, et de 42 livres à l’horizon 2050. Mais un rapport indépendant révélait, fin juin, que séparer les eaux usées des eaux pluviales – comme ce n’est pas le cas au Royaume-Uni – pourrait engendrer une augmentation de 569 à 999 livres par an par ménage (670 à 1 180 euros). Une opération qualifiée de « hautement disruptive et complexe » par le rapport commandé par le gouvernement. L’opposition politique s’attaque également aux profits et bonus touchés par ces sociétés et leurs dirigeants. Tim Farron, un député des libéraux démocrates, s’en est indigné dans les colonnes de The Guardian.  « Alors qu’ils se roulent dans l’argent, nous nageons dans les égouts. Tout ça pue. »

Pour le sénateur du Nord, Olivier Henno, le retard britannique est « hallucinant » compte tenu de la richesse du pays. « C’est la moindre des choses qu’il décide de lancer ce plan de rénovation », estime-t-il. Marc Valmassoni, chef de projet à Surfrider Foundation, appelle à balayer quelque peu devant nos portes. « On peut critiquer l’outre-Manche qui semble avoir des lacunes règlementaires, mais soyons également clairs sur nos côtes. Le problème n’est pas qu’anglais. » Un état des lieux de 2020 de l’Office international de l’eau montre que le taux de conformité des usines de traitement des eaux urbaines résiduaires est pire en France (85 %) qu’en Angleterre (96 %).

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