Le Sénat brise le tabou des enfants intersexes

Le Sénat brise le tabou des enfants intersexes

Un rapport de la délégation aux droits des femmes du Sénat examine la situation des personnes intersexes en France. Il pointe du doigt les opérations précoces systématiquement effectuées sur les enfants intersexes à la naissance et durant l’enfance dans la deuxième moitié du XXe siècle.
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Par Pierre de Boissieu

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Dirigé par Maryvonne Blondin (PS) et Corinne Bouchoux (Groupe écologiste), le rapport « Variations du développement sexuel : lever un tabou, lutter contre la stigmatisation et les exclusions », rendu public mardi 7 mars, dénonce les problèmes de santé dont souffrent les personnes intersexes à la suite d’opérations à répétition dans l’enfance. Il montre également la stigmatisation, voire l’exclusion, dont ces personnes sont victimes.

La France a été condamnée à trois reprises en 2016 par l'ONU pour des opérations de cette nature, rappelle la Délégation Interministérielle à la Lutte Contre le Racisme, l'Antisémitisme et la Haine anti-LGBT (Dilcrah).

Pour Corinne Bouchoux, l’initiative n’est pas militante ; il s’agit d’être des « lanceurs d’alerte institutionnels » indique-t-elle. « Le rapport a permis d’ouvrir le débat : même mes collègues les plus conservateurs qui ne savaient pas que ça existait, se sont intéressés à la question. » La situation des personnes intersexes est mal connue en France.

200 bébés intersexes par an

Le rapport du Sénat définit les personnes intersexes comme étant « nées avec une ambiguïté des organes génitaux ». Ces naissances concernent environ 200 bébés en France chaque année, sur un total de 800 000 naissances. Le rapport rappelle cependant qu’il n’existe « aucune statistique complète et fiable » permettant de déterminer le nombre total de personnes intersexes sur le territoire.

« Les causes et les manifestations de ces ambiguïtés sont tellement variées qu'il est très difficile de les appréhender de manière identique. Cette hétérogénéité est le coeur du problème. On regroupe sous le terme d'intersexualité - qui est parfois contesté - des situations qui n'ont rien en commun » a indiqué lors de son audition par la commission le 13 décembre 2016, Astrid Marais, professeure de droit à l'Université de Bretagne occidentale.

Des « mutilations »

Le rapport indique que « les opérations précoces systématiquement effectuées sur ces enfants à la naissance au cours de la seconde moitié du XXème siècle ont été assimilées à des mutilations par les personnes qui les ont subies ainsi que par plusieurs comités de défense des droits de l'Homme de l'ONU. » Il est tout de même précisé que, depuis cette époque, les pratiques ont beaucoup évolué, notamment grâce à des diagnostics prénataux bien plus précis qu’avant et un rapport entre patient et médecin qui a changé.

Les personnes interrogées ont fait part de conséquences physiques lourdes, plusieurs dizaines d'années après leur opération. « Aujourd'hui, j'ai cinquante-et-un ans et toujours des douleurs : je souffre d'infections urinaires, j'ai des lésions neurologiques liées aux chirurgies qui me font souffrir en permanence et m'obligent à marcher avec une canne. Ne pensez pas que le terme de torture pour ce que j'ai subi soit disproportionné. J'ai été torturé » a témoigné Vincent Guillot, un des fondateurs de l’Organisation internationale des intersexués (OII).

Indemniser les victimes

Face à ces opérations forcées, le rapport reprend la proposition du Défenseur des droits, entendu par la délégation le 16 février 2017. Il proposait un dispositif d'indemnisation qui pourrait être pris en charge par l'Office National d'Indemnisation des Accidents Médicaux, des Affections Iatrogènes et des Infections Nosocomiales (Oniam).

L’indemnisation semble préférable à une action en justice. En effet, cette dernière impliquerait « la mise en cause d'une responsabilité civile et pénale des professionnels de santé ». Les rapporteurs estiment que ces derniers opéraient les enfants intersexes par manque d’information.

Inscrire le « sexe neutre » dans le droit ?

Mila Petkova, avocate d’une personne désirant inscrire la mention « sexe neutre » dans son État civil depuis de nombreuses années, indique que le droit français doit évoluer sur la question, sans pour autant adopter une solution à l’allemande. En Allemagne, il est possible de délivrer des certificats de naissance sans mentionner le sexe. En dehors de l'Europe, certains pays, comme l'Australie, autorisent l'indication « X » (autre sexe) sur le passeport.

La commission a décidé de ne pas se prononcer sur l’inscription du « sexe neutre » dans le droit français, même si Maryvonne Blondin et Corinne Bouchoux militent à titre personnel pour une telle mesure. Une réforme du statut des personnes intersexes poserait de nombreuses difficultés. « Devra-t-on constater que, confrontées aux mêmes discriminations fondées sur le sexe que les femmes, les personnes intersexes devraient bénéficier de quotas ? Dans l'affirmative, comment mettre en oeuvre ces quotas ? » a par exemple soulevé Astrid Marais.

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