Le Sénat va se saisir du nouveau contrat entre SNCF Réseau et l’Etat, qui met en péril les petites lignes

Le Sénat va se saisir du nouveau contrat entre SNCF Réseau et l’Etat, qui met en péril les petites lignes

Le contrat de performance signé entre l’Etat et SNCF Réseau prévoit un investissement insuffisant dans la maintenance du réseau ferroviaire français, de l’avis de tous les acteurs. Avec 1 milliard d’engagement financier manquant, de nombreuses petites lignes pourraient être ralenties, voire, à terme, fermées. Le Sénat tire la sonnette d’alarme et va mener des auditions dès cet été.
Louis Mollier-Sabet

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Au mois de février dernier, après avoir auditionné l’Autorité de Régulation des Transports (ART) et SNCF Réseau, la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable avait – de nouveau – « tiré la sonnette d’alarme » sur l’avenir du réseau ferroviaire français. Depuis 2020 et la réforme de la SNCF, l’entreprise publique historique a été divisée en deux sociétés anonymes détenues par l’Etat entre SNCF Réseau, gestionnaire du réseau ferré national, et SNCF Voyageurs, chargée de l’exploitation des trains et soumise à la fameuse concurrence. Dans ce cadre, SNCF Réseau et l’Etat ont travaillé à un « contrat de performance » qui avait au départ pour objectif de fixer un cap industriel et financier à l’entreprise publique, qui affichait un déficit de plus de 2 milliards par an jusqu’en 2019. Contre une enveloppe de 2,8 milliards par an dédiée à la maintenance du réseau dit « structurant », SNCF Réseau devait arriver à l’équilibre financier en 2024. L’ART avait « eu une intervention très dure » à propos de cette trajectoire financière, devant les sénateurs de la commission de l’aménagement du territoire, se rappelle Philippe Tabarot, sénateur LR rapporteur du budget des transports ferroviaires au Sénat.

« Selon tous les experts et les connaisseurs du secteur, il manquera très probablement 1 milliard » de participation de l’Etat dans ce contrat de performance, résume le sénateur des Alpes-Maritimes. « Si on veut augmenter le volume transporté par le fer, marchandises et voyageurs, il faut moderniser le réseau, sinon on n’y arrivera pas. Cela pose le sujet du financement. Ce n’est pas simple, ça ressort beaucoup du volontariat politique », avait ainsi expliqué Jean-Pierre Farandou devant les sénateurs en décembre dernier. Luc Lallemand, le PDG de SNCF Réseau, avait par ailleurs assumé devant les sénateurs : « On voudrait plus, mais on va se contenter des moyens alloués pour améliorer notre performance. » Le problème, c’est que faire avec les moyens du bord, c’est rester dans une logique purement financière, au détriment de l’état du réseau, pour Philippe Tabarot : « Il n’y a pas de bilan sur le contrat précédent, pas d’indicateur de performance. C’est plus une politique d’assainissement financier qu’un vrai contrat de revitalisation financière. Et là on parle simplement de maintenance, même pas de modernisation, qui serait une étape supplémentaire que sont en train de franchir tous nos partenaires européens. »

« Les lignes de desserte fine du territoire » en danger

Devant tous ces signaux d’alerte, les sénateurs, tout comme l’autorité de régulation, avaient donc enjoint le gouvernement à revoir ce contrat de performance. Il a pourtant été discrètement signé quelques semaines avant l’élection présidentielle, selon Ville, Rail et Transport. Une information confirmée par Philippe Tabarot : « Il a été signé sans prendre en compte les différentes remarques que nous avions pu faire, d’autant plus que le président de SNCF Réseau avait expliqué que la situation était encore plus complexe avec l’inflation, qui engendrera un coût de 400 millions d’euros supplémentaires sur cette année. » Ces surcoûts conjugués au sous-investissement du contrat de performance vont mettre en péril l’état du réseau, et notamment les « lignes de dessertes fine du territoire », explique Philippe Tabarot. Pour comprendre, il faut savoir que la SNCF classifie ses lignes de 1 à 9 selon le nombre de trains et de voyageurs circulant sur la ligne : la ligne Paris-Lyon est classée 1, quand la ligne Agen-Périgueux est classée 9.

Les plus grandes lignes seront entretenues sans problème, mais pour les plus petites lignes, cela pourrait se compliquer, explique le sénateur des Alpes-Maritimes : « Comme c’est parti, sur les catégories de ligne 7 à 9, SNCF Réseau ne pourra pas tenir ses engagements avec les régions, et mettra probablement en place une sorte de chantage : soit vous compensez pour sauver vos lignes, soit vous serez responsables de la fermeture des lignes. » Les régions pourraient donc se retrouver forcées de « sauver » les plus petites lignes. Mais le rapporteur du budget des transports ferroviaires au Sénat n’exclut pas des difficultés sur les lignes plus moyennes, classées de 5 à 7 : « Sur ces lignes, certaines ne seront pas classées comme ‘très structurantes’, une catégorie inventée pour l’occasion, et elles ne seront donc pas maintenues comme il se doit, avec des risques de ralentissement. Et on sait comment ça marche, ça commence par des ralentissements, puis on aboutit à des fermetures. C’est un vrai sujet, même pour ces lignes-là. » Une carte a été produite par un compte twitter tenu par un conducteur de train, et permet de visualiser ce que serait le réseau ferroviaire français sans ces lignes classées de 5 à 9, si elles venaient à effectivement disparaître :

Ancienne ministre des Transports, Élisabeth Borne obtiendra-t-elle « des arbitrages favorables auprès de Bercy » ?

Face à « l’urgence » de la situation, « on ne veut pas attendre la rentrée » pour « solliciter tous les décideurs », explique Philippe Tabarot, qui « attendait le casting gouvernemental » pour lancer des auditions. Le sénateur des Alpes-Maritimes évoque ainsi le PDG de la SNCF, Jean-Pierre Farandou, le PDG de SNCF Réseau, Luc Lallemand, et bien sûr le ministre délégué aux Transports, Clément Beaune, qui devra faire ses preuves sur le dossier : « Je ne pense pas qu’il ait particulièrement d’appétence pour le sujet, mais son expérience précédente [ancien ministre délégué chargé de l’Europe] va lui servir sur beaucoup de questions européennes, qui ne sont pas marginales. »

Surtout, le sénateur LR mise sur Élisabeth Borne, ancienne ministre des Transports, qui avait justement mené la réforme de la SNCF à l’hiver 2019-2020 pour « obtenir des arbitrages auprès de Bercy, qui seront indispensables pour qu’on ne se retrouve pas dans d’immenses difficultés. » Lors de son discours de politique générale à l’Assemblée, Élisabeth Borne a justement affirmé que l’exécutif « continuera les investissements pour les transports du quotidien et les petites lignes » en réaffirmant que « le ferroviaire est et restera la colonne vertébrale d’une mobilité durable. » Dans ce cas, il faudra peut-être qu’elle se penche sur ce contrat de performance

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