« Les violences conjugales font plus de morts que les guerres ou le terrorisme »

« Les violences conjugales font plus de morts que les guerres ou le terrorisme »

Le Grenelle contre les violences conjugales vient se clore avec treize mesures judiciaires retenues. Parmi elles, la possibilité de lever le secret médical "sans l’accord de la victime" lorsqu’un professionnel de santé estime que la victime se "trouve sous l’emprise de l’auteur". Alors qu’en France le nombre de féminicide par conjoint ou ex-conjoint s'établit fin novembre à 138 depuis début 2019, l’Espagne elle a trouvé le moyen de faire baisser significativement ces crimes. Chus Esquerra, a été l'une de ces victimes. Aujourd'hui elle est engagée pour cette cause, pour la fondation Ana Bella. Rencontre.
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Par Pauline Vilchez et Flora Sauvage

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Vous êtes engagée dans la lutte contre les violences conjugales depuis de nombreuses années. C’est une situation que vous avez vous-même vécue ?

J’ai été victime de violences conjugales il y a plus de 35 ans. Cela a duré de mes 25 à 30 ans. À cette époque, la loi sur les violences de genre n’existait pas, puisque la loi est passée en 2004. Les violences que j’ai vécues étaient si fortes psychologiquement, qu’un jour je me suis regardée dans le miroir, sans me reconnaître. Il avait changé ma façon de m’habiller, de penser, il avait complètement annihilé ma personnalité. Je n’en étais pas consciente car à cette époque on ne parlait pas de ces choses-là. C’était du domaine du privé. Mais un jour les gifles et les coups ont commencé à pleuvoir.

« Ce que tu as vécu, c’est ce que vivent des milliers et des milliers de femmes »

À quel moment avez-vous réussi à vous libérer de cette emprise ?

Le détonateur a été le jour de son anniversaire. J’avais acheté une jolie robe rouge pour le fêter, et quand il m’a vue, il m’a poussée violemment et m’a dit d’aller me changer immédiatement car je ressemblais à une pute. Puis lors d’une conférence, alors qu’un homme assez jeune parlait des violences conjugales, j’ai commencé à pleurer, je ne pouvais plus m’arrêter. À l’intérieur de moi je me suis dit : « mais comment peut-il savoir ce qui m’est arrivé alors que je ne lui ai jamais parlé ». À la fin de la conférence, il est venu me voir en me demandant s’il avait dit quelque chose qui m’avait contrarié. Je lui ai alors expliqué que j’étais surprise que ses propos relatent aussi bien ce que j’avais vécu. Ce à quoi il m’a répondu : « Ce que tu as vécu, c’est ce que vivent des milliers et des milliers de femmes ». Même aujourd’hui, je reste très émue de raconter cette histoire-là.

« Tout est venu de ces mouvements féministes, plus ou moins radicaux. Mais ce sont ceux qui ont permis de faire changer les choses. »

Comment l’Espagne a-t-elle évolué pour mettre un terme à ces violences ?

L’Espagne a décidé de mettre ces mesures en place sous la pression des mouvements féministes, car ici en Espagne, ils ont toujours été très puissants. Il y a toujours eu beaucoup de femmes dans les rues pour dire qu’il n’était plus possible de voir autant de femmes assassinées. Tout est venu de ces mouvements féministes, plus ou moins radicaux. Mais ce sont ceux qui ont permis de faire changer les choses. Ils ont poussé les politiques à agir, sous la pression de la rue. D’autant plus que les politiques sont machistes ici car ce sont des hommes. Même s’ils se disent de gauche ou socialistes, le machisme reprend souvent le dessus sur les idéaux ! Maintenant il y a beaucoup de femmes dans le gouvernement, mais à l’époque il n’y en avait pas tant que ça.

« Une femme qui a souffert de violences conjugales a besoin d’une prise en charge globale. »

Quel constat faites-vous des violences conjugales aujourd’hui ?

La situation a beaucoup évolué puisque la loi reconnaît qu’il y a un problème spécifique très important. Selon les nations unies, les violences de genre sont le crime le plus important au monde, car il fait plus de victimes que les guerres ou le terrorisme. Donc à un moment donné, il a fallu nommer les choses, dire les choses haut et fort. La loi décrète maintenant que la violence de genre est celle qui s’exerce sur les femmes par les hommes, juste parce que ce sont des femmes ! Pour qu’une femme puisse être prise en charge correctement il faut un certain nombre de personnes qui puisse l’aider. Cela va de mesures de prévention, à des mesures de protection pour la femme et ses enfants. Car les enfants ont été les grands oubliés de la loi. Une fois mises en place, différentes entités ont mis fin à ce système de violences : services sociaux à l’institut de la femme, formations sur le genre dispensé auprès des policiers, des gendarmes, des juges, des avocats, des procureurs, des médecins. Parce qu’une femme qui a souffert de violences conjugales a besoin d’une prise en charge globale.

« La loi prend aussi en compte l’éducation, la façon dont les médias traitent ce type de violences. »

Plus qu’une loi, est-ce un mode de pensée qu'il faut changer ?

Une femme qui va à l’hôpital a besoin de voir un médecin formé aux violences de genre. Ce médecin sera capable de se rendre compte qu’elle n’est pas tombée dans les escaliers mais qu’elle a été victime de violences et qu’elle a été battue. Un procureur qui a été formé sera capable d’identifier que la femme ne ment pas, et le juge sera capable d’interpréter les différents témoignages. Mais la loi prend aussi en compte l’éducation, la façon dont les médias traitent ce type de violences. On a beaucoup avancé dans la lutte contre les violences faites aux femmes, mais il y a encore beaucoup à faire. Le problème toujours actuel c’est celui des enfants. Quand une femme est assassinée et qu’elle laisse des enfants orphelins, ces enfants ne sont pas protégés par la loi. Par exemple, la justice les oblige à aller rendre visite à leur père en prison… même s’il a tué leur mère. Il faudrait faire comprendre aux juges qu’un mari violent n’est jamais un bon père, jamais !

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