Il n’y avait pas de sénateurs hommes dans la salle Médicis pour venir assister à l’audition des deux avocats de Gisèle Pelicot, Antoine Camus et Stéphane Babonneau C’est ce qu’a remarqué, en préambule, la présidente centriste de la délégation aux droits des femmes, Dominique Vérien. Après avoir remis un rapport sur la prévention et la récidive du viol, la délégation avait convié les membres de la commission des lois et des affaires sociales à cette audition.
La députée Modem, Sandrine Josso et la sénatrice RDSE, Véronique Guillotin étaient aux côtés des avocats pour présenter leurs 50 propositions issues d’une mission gouvernementale pour prévenir et lutter contre le procédé de la soumission chimique (lire notre article).
L’absence d’homme pour cette audition où était abordée la question du consentement sous tous ses aspects, juridiques, sociaux, et sociétaux, est assez symptomatique du travail à faire sur la prise en compte de l’impact des violences sexuelles dans la société. « Il y a peu d’infractions qui génèrent des effets sur des générations entières. Des infractions commises aujourd’hui auront des effets sur des enfants qui ne sont pas encore nés que ce soit du côté des victimes que du côté des auteurs de ces infractions », a souligné Stéphane Babonneau. « Si on mesurait suffisamment les effets de ces infractions, il y aurait peut-être plus d’hommes parmi nous aujourd’hui. Ce n’est pas simplement un sujet qui concerne les femmes. C’est un sujet que l’on ne peut régler que collectivement », a-t-il insisté.
« La preuve irréfutable des viols, ça n’existe jamais »
Les deux avocats ont expliqué aux sénatrices qu’il était « prématuré » et ambitieux de tirer les leçons de ce procès hors normes qui a duré 4 mois et entraîné la condamnation de 51 personnes. Seulement 4 ont décidé de faire appel. « Les apports (de ce procès) sont innombrables et presque moins juridiques que sociétaux », a déclaré Antoine Camus.
Le procédé de la soumission chimique, la notion de consentement actif ou encore l’importance de la preuve, autant d’enjeux qui ont été mis au centre de ce procès si particulier notamment par l’abondance des preuves matérielles : les vidéos des crimes. « La preuve irréfutable des viols, la vidéo, ça n’existe jamais », a reconnu l’avocat.
Ces preuves irréfutables n’avaient pas empêché les avocats de la défense de questionner le consentement de Gisèle Pelicot, droguée et abusée par son mari, Dominique Pelicot et des dizaines de co-auteurs pendant une décennie. Devant les caméras, à l’automne dernier, Me De Palma avait suscité la polémique en affirmant qu’il y avait « viol et viol » de façon à minimiser l’intention réelle de certains des accusés dont beaucoup affirmaient avoir pensé participer à un jeu sexuel d’un couple libertin.
Alors qu’une proposition de loi, déjà adoptée par les députés, visant à intégrer la notion de consentement dans la définition pénale du viol arrive en examen au Sénat au mois de juin, les avocats de Gisèle Pelicot sont très mesurés sur l’impact d’un tel changement de législation. « Ce n’est pas un toilettage de définition dans un texte, ce n’est pas une nouvelle loi qui permettra rapidement de mettre fin aux violences sexuelles », a estimé Me Camus après avoir pu relever lors du procès « une conception de la masculinité problématique », « en lien avec l’objectalisation des femmes dans la sphère sexuelle ».
A ce sujet, le rapport de la délégation aux droits des femmes remis hier sur la prévention et la récidive du viol pontait le risque lié à l’exposition des mineurs à la pornographie. Un sujet qui avait fait l’objet d’un rapport de la délégation aux droits des femmes, il y a deux ans. « La moitié des enfants de 9 ans ont déjà vu des images pornographiques », a souligné Annick Billon, sénatrice centriste.
Sa collègue, Dominique Vérien insiste auprès des avocats : « Si la loi sur la définition pénale du viol avait déjà été changée, est-ce que ça vous aurait servi ? »
Stéphane Babonneau concède. « Avant le procès, comme praticien du droit, je faisais partie des personnes qui pensaient que la définition telle qu’elle était, était suffisante. Mais suffisante pour qui ? Pour les avocats », a-t-il détaillé avant de citer un homme de 58 ans condamné dans l’affaire Pelicot confiant à la barre ne pas savoir ce qu’est le consentement. « Si ce mot consentement, que nous professionnels du droit, comprenons comme sous-entendu, il faut que n’importe qui, comme cet homme de 58 ans, comprenne que le consentement est essentiel ».
« La maltraitance de prétoire est une maltraitance gratuite »
La sénatrice LR, Elsa Schalk a esquissé l’idée que la nouvelle définition du viol conduirait à se focaliser un peu plus sur le comportement de l’auteur et moins sur celui de la victime. « Le concept de bonne victime, je l’ai plaidé », a exposé Antoine Camus rappelant qu’on avait reproché beaucoup de choses à Gisèle Pelicot lors du procès comme, par exemple, d’avoir aimé les plages naturistes dans sa jeunesse. « Est-ce que le changement de texte va faire changer ça ? Je ne crois pas. Le texte actuel n’aurait déjà pas dû permettre qu’on s’intéresse à la sexualité de la victime hors scène de crime. Des scènes de crime parfaitement identifiées puisqu’on avait les vidéos […] La maltraitance de prétoire est une maltraitance gratuite. La gratuité d’hier, restera probablement demain […] Les stéréotypes que l’on décèle dans la population, il n’est pas anormal de les retrouver dans toutes professions y compris la mienne ».
La proposition de loi sera examinée en séance publique au Sénat le 18 juin.