Levée des brevets sur les vaccins : Macron est « à la remorque des Etats-Unis »

Levée des brevets sur les vaccins : Macron est « à la remorque des Etats-Unis »

Surprise, dans la foulée des Etats-Unis, Emmanuel Macron se dit « favorable » à la levée des brevets sur les vaccins contre le covid-19, alors que le gouvernement pointait hier encore « une fausse bonne idée ». « Il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis ! » salue le socialiste Patrick Kanner.
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Les Etats-Unis ont donné le la. La France et les Européens suivent. Au lendemain de l’annonce de l’administration Biden, aux Etats-Unis, en faveur de la levée des brevets sur les vaccins contre le covid-19 – un véritable pavé dans la mare – Emmanuel Macron lui emboîte le pas.

Le chef de l’Etat s’est déclaré, lors de la visite d’un nouveau vaccinodrome à Paris, « tout à fait favorable à ce qu’il y ait, en effet, cette ouverture de la propriété intellectuelle ». « Vous m’avez entendu le dire il y a un an » dit-il. En réalité, c’est bien un changement de pied pour Emmanuel Macron. Si en juin 2020, Emmanuel Macron avait affirmé que le vaccin devait être « un bien public mondial », la France était pourtant opposée ces dernières semaines à la levée des brevets, préférant les dons de doses aux pays pauvres, jugé plus rapide et efficace.

Macron exprime son « soutien complet à cette initiative »

« Oui, soutien complet à cette initiative. Nous devons évidemment faire de ce vaccin un bien public mondial », a insisté le président de la République, qui souligne cependant que « la clef », c’est « le transfert de technologie et la capacité à produire. Vous pouvez transférer la propriété intellectuelle à des fabricants pharmaceutiques en Afrique » mais « ils n’ont pas de plateforme pour produire de l’ARN messager ». Peu de temps après, le ministre des affaires étrangères allemand, Heiko Maas, a suivi le mouvement. « C’est une discussion à laquelle nous sommes ouverts », a-t-il assuré. La présidente de la Commission européenne, Ursula Von Der Leyen, s’est dite jeudi « prête à discuter » aussi.

Du côté américain, il faut bien mesurer combien cette décision est historique. Dans le pays qui est le chantre du capitalisme et du néolibéralisme, la décision de Joe Biden est d’autant plus forte et iconoclaste. « Il s’agit d’une crise sanitaire mondiale, et les circonstances extraordinaires de la pandémie de covid-19 appellent à des mesures extraordinaires », a soutenu la représentante américaine au Commerce, Katherine Tai, au moment où les négociations sur la levée des brevets sont en cours à l’OMC. « Le but […] est de fournir le plus de vaccins sûrs et efficaces au plus grand nombre de personnes le plus rapidement possible », a expliqué la responsable américaine. Une centaine de pays, dont l’Inde, où la pandémie fait rage, et l’Afrique du Sud, a demandé la levée temporaire des brevets.

« Une fausse bonne idée » disait hier le secrétaire d’Etat Cédric O…

Signe que le revirement français est vraiment la conséquence de la décision américaine, le secrétaire d’Etat Cédric O exprimait, hier après-midi encore, au Sénat, l’opposition du gouvernement à la levée des brevets.

« Est-ce que la levée des brevets de manière temporaire serait de nature à répondre au défi ? Je ne suis pas sûr. Il est même possible que ce soit une fausse bonne idée », a déclaré lors des questions au gouvernement Cédric O… « Même si tous les brevets étaient en accès libre, il n’y aurait pas de productions supplémentaires pour les pays du sud avant fin 2022, compte tenu de la complexité industrielle. Il faut 18 mois pour valider une usine », argue le secrétaire d’Etat à la Transition numérique (voir la vidéo). Cédric O avance l’autre argument des opposants à la levée : « Nous avons la nécessité de faire en sorte que les industriels continuent d’investir dans la recherche. […] Il y a des risques qu’ils soient désincités d’investir dans la recherche contre les nouveaux variants ». Enfin, selon le secrétaire d’Etat, « c’est prendre des risques en matière de délocalisation ».

Même son de cloche, toujours au Sénat et juste après, de la part du secrétaire d’Etat aux Affaires européennes, Clément Beaune, lors d’un débat : « Il n’apparaît pas aujourd’hui que cela réglerait le problème. Car la question n’est pas l’accès à la propriété intellectuelle, mais la capacité de production mondiale, en particulier en Afrique ou en Amérique Latine ».

« Une bonne nouvelle »

Emmanuel Macron a donc bougé. Autant pragmatiquement et selon le principe de réalité – face au poids sur la scène internationale des Etats-Unis – que politiquement – Emmanuel Macron se trouvant renvoyé à son image de libéral – le chef de l’Etat n’avait d’autre choix que de suivre. « C’est une prise de décision courageuse, qui fait suite à ce qu’ont dit les Etats-Unis, et qui va dans le sens d’une solidarité internationale », salue le président du groupe RDPI (LREM) du Sénat, François Patriat.

A gauche, où les défenseurs de la levée des brevets sont nombreux, on applaudit. Même si on aurait aimé voir la France prendre l’initiative. « C’est une bonne nouvelle. Comme quoi, il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis ! » lance Patrick Kanner, à la tête du groupe PS du Sénat, qui se « félicite que le Président, après réflexion et peut-être des pressions, peut-être aussi de gens comme nous, plus modestement, fassent bouger les lignes », même « s’il eut fallu prendre des décisions avant que Joe Biden ne le fasse ».

Lundi, lors des débats sur le projet de loi de réforme constitutionnelle sur l’article 1, « le groupe PS va porter un amendement sur la notion de bien commun mondial. On considère que le vaccin devrait être quelque chose qui appartient à l’humanité, et non à un groupe financier », ajoute Patrick Kanner.

« La pression a amené le Président à prendre cette décision »

Selon Bernard Jomier, président (apparenté PS) de la mission d’information du Sénat sur les effets du confinement, « après la décision de Biden, Emmanuel Macron se retrouvait parmi les dirigeants les plus égoïstes du monde ». Il aurait été difficile de garder sa ligne. « La pression a amené le Président à prendre cette décision. C’est vraiment une très bonne nouvelle. C’est un verrou qui saute », ajoute le sénateur PS Jean-Luc Fisher, qui a interrogé hier Cédric O sur le sujet.

« C’est un revirement de situation. Je me réjouis de cette position du Président américain qui a permis à Emmanuel Macron d’avoir tout à coup une prise de conscience fulgurante… Mais il faut rester extrêmement vigilant », réagit la sénatrice PCF Laurence Cohen, qui regrette le retard pris :

C’est une position que le Parti communiste comme le groupe CRCE ont défendue, dès la sortie des vaccins ! Dès que Biden prend une position, Macron s’empresse de la suivre. J’aurais aimé qu’il écoute plus dans son pays et au Parlement.

« On rêverait d’un Biden en France »

Laurence Cohen rappelle les gains exorbitants de certains laboratoires pharmaceutiques depuis le covid-19. « Pfizer, AstraZeneca et Johnson & Johnson ont versé en 2020 21,4 milliards d’euros en dividendes et en rachat d’action. Cette somme permettrait de fournir le vaccin à 1,35 milliard de personnes dans le monde », pointe la sénatrice PCF du Val-de-Marne.

Joe Biden devient au passage un peu la nouvelle coqueluche de la gauche française. « On rêverait d’un Biden en France », lâche le président du groupe écologiste de la Haute assemblée, Guillaume Gontard, qui salue aussi sa position sur le climat. « Je vais finir par adhérer au Parti démocrate américain ! » sourit Patrick Kanner, « faire payer les « riches », relance exceptionnelle par la consommation, levée des brevets… c’est vraiment un homme de gauche. Je suis impressionné », avoue l’ancien ministre de François Hollande.

« Pour Emmanuel Macron, c’était difficile de ramer à contre-courant »

A droite, les réactions sont plus mitigées. « C’est un revirement de Macron. Ce n’est pas le premier. On nous avait déjà dit que les masques étaient inutiles, puis qu’ils étaient utiles. Que les applications numériques étaient trop intrusives et ensuite qu’il fallait les utiliser. Pareil pour le pass sanitaire », rappelle René-Paul Savary, sénateur LR de la Marne. Quant à la levée des brevets, « ça mérite d’être discuté. Après, ça mettra du temps, il faut du temps de production derrière, surtout s’il faut construire des usines ».

Mais « que ce soit un bien commun, c’est quand même un concept important sur le plan sociétal », reconnaît l’ancien vice-président de la commission d’enquête du Sénat sur le covid-19. L’histoire « montre aussi qu’on est toujours à la remorque des Etats-Unis », ajoute René-Paul Savary, « mais pour Emmanuel Macron, c’était difficile de ramer à contre-courant ».

Sophie Primas (LR) « contre la levée des brevets. Ce principe ne doit pas être entaillé »

La présidente de la commission des affaires économiques du Sénat, la sénatrice LR Sophie Primas, regrette en revanche le revirement d’Emmanuel Macron. « Sur le principe, je suis opposée au fait de mettre les brevets en accès libre. Le brevet, c’est le fruit de la recherche et d’investissement que consentent les entreprises. Et l’investissement sur la recherche médicale est très important, et nécessite des capitaux extrêmement importants. Ça ne descend pas du ciel », souligne la sénatrice des Yvelines.

Elle reconnaît cependant que « les profits faits sur le covid par Pfizer sont gigantesques. Du coup, je suis plus favorable à ce qu’on demande à ces laboratoires de partager la production, leur savoir-faire, de faire une production quasi non rentable. On peut leur demander d’être plus présents de façon humanitaire, morale. Mais je suis contre la levée des brevets. Ce principe ne doit pas être entaillé ». Pour Sophie Primas, « ça ouvre une boîte de Pandore sur le niveau de la recherche ». La sénatrice n’exclut pas, dans la position des Etats-Unis, « une habileté américaine sur un effet d’annonce et de sympathie que Joe Biden veut donner à son pays. Ils sont en reconquête amoureuse internationale ».

Une chose est sûre, entre les négociations à l’OMC et la mise en œuvre, l’apport de la levée des brevets mettra encore un peu de temps à se faire sentir. « Techniquement, ce n’est pas ça qui va accélérer la production de vaccins dans les trois prochains mois », reconnaît Bernard Jomier, « mais à l’automne, la levée des brevets prendra tous ses effets ».

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