Loi d’interdiction des signes religieux à l’école : « Aujourd’hui je dirais oui » lâche Marie-Christine Blandin

Le 15 mars 2004, la loi qui encadre le principe de laïcité dans les écoles, collèges et lycées publics est adoptée. Elle met fin au flou qui entourait la question du port des signes religieux dans les établissements scolaires. Si certains considèrent que la loi vise injustement les musulmans, es défenseurs de la laïcité y ont vu le moyen de laisser la religion en dehors de l’enceinte scolaire. Vingt ans après sa promulgation, la question du religieux à l’école est loin d’être résolue, et désormais dépasse la simple question des vêtements. Dans son émission d’histoire parlementaire « Il était une loi » Matthieu Croissandeau revient sur l’histoire de la loi de 2004, sur laquelle la gauche s’est durablement divisée.
Lauralie Margalejo

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L’histoire de la loi de 2004 commence en 1989 avec l’affaire de Creil. A l’époque, deux jeunes filles sont exclues de leur lycée car elles portent le voile. Le ministre de l’Éducation nationale d’alors, Lionel Jospin, refuse de trancher et décide de s’en remettre au Conseil d’État. Ce sera du cas par cas. Les exclusions finissent de plus en plus devant les tribunaux et poussent le pouvoir politique à réagir. Il faut attendre la fin de l’année 2003 pour que le sujet soit mis à l’agenda politique.

Le 17 décembre, Jacques Chirac convoque la Commission Stasi pour poser les jalons d’une réflexion collective sur le port de signes religieux dans les écoles, collèges et lycées publics. Si Luc Ferry, ministre de l’Éducation nationale de l’époque affirme que le Président et lui-même souhaitaient une « loi qui calme le jeu » entre les communautés, pour Gilles Kepel, qui a participé à la commission il s’agissait d’abord de lutter contre un l’entrisme religieux à l’école : « Dans la vision du monde de l’UOIF -l’union des organisations islamiques de France- la France faisait partie du domaine de l’islam et il était normal qu’une jeune femme musulmane puisse porter le voile dans l’école laïque de la République. C’était évidemment une manière de tester les institutions et d’établir un rapport de force, une stratégie qui se déroule jusqu’à aujourd’hui à travers différents avatars. » tranche l’universitaire et spécialiste du monde musulman.

Une loi qui manque d’efficacité

20 ans après son entrée en vigueur pour Marie-Christine Blandin, ancienne sénatrice écologiste du Nord qui s’était opposée au texte, force est de constater que la loi n’a pas résolu les problèmes de laïcité dans les établissements scolaires : « Moi, mon souci, c’est que cet islam radical ne trouve pas sa place dans notre République. » avance-t-elle, avant d’ajouter pour expliquer sa réticence d’alors « et pour qu’il ne trouve pas sa place, il fallait que les mesures anti-discrimination arrivent avant les fermetures de portes comme celles de l’école pour des gens qui portent le voile. »

Pour l’ancienne élue qui avoue aujourd’hui qu’elle ne s’opposerait plus au texte « parce que la situation s’est aggravée », ces mesures « sont utiles, mais elles ne sont pas suffisantes (…) le contrat social républicain est mal respecté, il ne fait pas attention à la diversité, cela ne nous rend pas très forts pour affirmer des mesures utiles comme celles-là  (…) On a eu Samuel Patty, on a eu Dominique Bernard, c’était devant le lycée d’Arras ou mes enfants sont allés à l’école. Ça me touche beaucoup, ça me révolte, ça m’attriste et je me dis qu’on n’est pas au bout de la réconciliation. Car si ces crimes sont possibles, c’est parce qu’il y a des terroristes d’une part, mais d’autre part, c’est parce qu’il y a aussi une population relais qui n’a pas trouvé sa place et qui porte une oreille attentive à ceux qui disent ’’on ne vous aime pas ici’’. »

Même constat pour l’anthropologue Dounia Bouzar pour qui la loi a marqué un coup d’arrêt à une réinterprétation des textes religieux par des jeunes femmes musulmanes nées en France, pratiquantes et féministes : « Ça leur a coupé l’herbe sous le pied. Elles se sont retrouvées dans une situation où elles devaient choisir entre pas de foulard pour être moderne et un foulard traditionnel alors qu’elles étaient dans une démarche de redéfinition des choses. (…) Elles avaient compris que si elles voulaient refléter des valeurs modernes d’émancipation et de libre arbitre, elles ne pouvaient pas porter le même foulard qu’en Arabie Saoudite ou en Iran. On avait conçu des ateliers où on cousait ce qu’on appelait des foulards à la Simone de Beauvoir et on était exactement dans ce tricotage à cette époque-là. » ajoute-t-elle.

Pour Dounia Bouzar, la loi de 2004 a créé un « grand malentendu » au sein de la société, et malgré le fait que la loi englobe tous les signes religieux ostensibles « pour la France entière, le problème était bien celui du foulard », pire elle a cassé « ce qui unit les compatriotes musulmans aux institutions républicaines. »

Quand la laïcité divise la gauche

En 2004 pour Gérard Delfau, le texte n’allait pas assez loi. A l’époque si le sénateur radical de gauche de l’Hérault s’oppose au texte initial -avant de le voter in fine- c’est qu’il souhaite qu’il s’applique aussi à l’université et aux départements concordataires d’Alsace et de Moselle. Maximaliste ce défenseur acharné de la laïcité veut même que soient interdits les signes religieux visibles et pas simplement ostensibles.

Des positions minoritaires au sein d’une gauche qui va se fracturer durablement sur ces questions. Pour Gérard Delfau « Il y a toujours eu une gauche qui, privilégiant, comme elle le disait, la question sociale sur la question religieuse, a toujours considéré qu’il ne fallait pas imposer des interdits aux classes, aux catégories sociales les plus pauvres de la nation. » constate-t-il avec regret, avant de conclure qu’« avec le recul, on peut dire la gauche a péché par naïveté (…) et a oublié le message de Jean Jaurès, qui dit qu’il ne faut pas dissocier la question sociale de la question religieuse. Il faut les traiter ensemble. Et c’est au nom de cette idée qu’il fut l’un des principaux acteurs de la loi de 1905 ».

Le 15 mars 2004, le code de l’éducation est finalement modifié et l’Art. L.141-5-1.  est promulgué en ces termes : « Dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit. Le règlement intérieur rappelle que la mise en œuvre d’une procédure disciplinaire est précédée d’un dialogue avec l’élève. »

L’intégralité de l’émission est disponible en replay.

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