Loi sur le secret des affaires : une épée de Damoclès pour les lanceurs d’alerte et les journalistes ?
La proposition de loi protégeant le secret des affaires sera examinée par le Sénat, ce mercredi. Le texte est censé protéger les journalistes et les lanceurs d'alerte, mais pas assez pour certaines associations comme Anticor.

Loi sur le secret des affaires : une épée de Damoclès pour les lanceurs d’alerte et les journalistes ?

La proposition de loi protégeant le secret des affaires sera examinée par le Sénat, ce mercredi. Le texte est censé protéger les journalistes et les lanceurs d'alerte, mais pas assez pour certaines associations comme Anticor.
Alexandre Poussart

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“L’agressivité des comportements, les intrusions, les cyber-attaques, sont devenus de plus en plus forts et menacent nos entreprises. L’Etat s’arme progressivement. Nous devons nous défendre”, estime Philippe Bas, président (LR) de la commission des Lois du Sénat.

La proposition de loi protégeant le secret des affaires sera examinée par le Sénat en séance publique ce mercredi. Ce texte, déposé par le député (LREM) Raphaël Gauvain et déjà adopté par l’Assemblée nationale, transpose une directive européenne de juin 2016 dont l’objectif est de protéger des savoir-faire et des informations commerciales non divulguées, dans un contexte de compétition économique mondialisée.

Une définition juridique du secret des affaires

Cette directive européenne, qui a mis des années à être adoptée, crée une définition juridique du secret des affaires. Ce secret concernera des informations, difficilement accessibles. Ces informations doivent avoir une valeur commerciale de par leur caractère secret. Le détenteur de ces informations doit avoir pris des mesures pour les garder secrètes. Toute personne ou entreprise qui volerait des informations concernées par ce secret serait condamnée à payer de lourds dommages et intérêts au détenteur du secret.

Une exception pour les journalistes et les lanceurs d’alerte

La directive européenne fait une exception pour les journalistes, les lanceurs d’alerte et les représentants des salariés d’une entreprise, et les administrations publiques. Si ces catégories sont poursuivies au nom du secret des affaires, le tribunal devra rejeter la plainte au nom de l’intérêt général des informations obtenues et divulguées. En commission, les sénateurs ont veillé à ce que le texte conserve la définition française du lanceur d’alerte, créée par la loi Sapin 2, et plus protectrice que la définition de la directive européenne.

Le Sénat supprime les sanctions pour procédures abusives

Les sénateurs ont supprimé en commission les sanctions prévues contre les attaques juridiques abusives lancées par certaines entreprises au nom du secret des affaires. Ces sanctions, ajoutées par l'Assemblée nationale, prévoyaient une amende civile à hauteur de 20% des dommages et intérêts réclamés par le plaignant auteur d'une procédure abusive. Cette amende devait dissuader les procédures dites baillons censées faire pression sur les journalistes et les lanceurs d'alerte. La droite sénatoriale a expliqué que l'amende pour procédure abusive, qui existe déjà dans le Code civil, n'est jamais prononcée par les juges.

“Les journalistes en position de défense” selon Eric Alt, d’Anticor

“Les journalistes et les lanceurs d’alerte se retrouveront toujours en position de défense pour démontrer au juge que la divulgation des faits a un intérêt général. S’ils n’y arrivent pas, cela leur coûtera très cher”, explique Eric Alt, magistrat et vice-président d’Anticor. “Ils auront toujours une épée de Damoclès au-dessus de la tête. Le secret devient la règle et la transparence l’exception.” Selon le magistrat, certaines affaires comme le Mediator pourraient à l’avenir avoir du mal à être révélées : “tous les scandales de santé et d’environnement où des composants de fabrication sont divulgués entreraient dans le secret des affaires.”

“Pas d’étude d’impact de ces mesures” déplore Jacques Bigot

Les sénateurs communistes et socialistes ont voté contre le texte en commission. “Cette directive européenne est transposée dans le droit français par une proposition de loi, et non un projet de loi, pour éviter une étude d’impact. Ce n’est pas sérieux”, a déploré Jacques Bigot, sénateur socialiste, au même titre que la majorité des sénateurs. “De plus, les PME ne sont pas accompagnées pour protéger le secret de leurs affaires. Les grandes entreprises, elles, sauront protéger leurs informations.”

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