L’USEPPM, principale bénéficiaire du fonds Marianne peine à justifier l’utilisation des subventions

Auditionné par la commission d’enquête du Sénat sur le fonds Marianne, Cyril Karunagaran, président de l’Union des Sociétés d’Éducation Physique et de Préparation Militaire (USEPPM) devait répondre de l’utilisation des subventions dont son association a bénéficié. Plusieurs zones d’ombre apparaissent quant à la collaboration entre l’USEPPM et le Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR).
Henri Clavier

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Une audition particulièrement attendue puisque l’USEPPM, au même titre que l’association « Reconstruire en commun », fait partie des structures mises en cause par plusieurs enquêtes, notamment de France Télévisions, Marianne et Mediapart. Les deux associations, qui se sont vues accorder les subventions les plus importantes (355 000 euros pour l’USEPPM), sont soupçonnées d’avoir bénéficié de subsides très généreux compte tenu du dossier déposé et des productions intellectuelles proposées. Les subventions auraient principalement servi à salarier le président de l’USEPPM et Mohamed Sifaoui. Ce dernier, malade, devra être entendu prochainement par la commission d’enquête.

Pour rappel, le fonds Marianne a été lancé au printemps 2021 après l’assassinat de Samuel Paty par Marlène Schiappa, alors ministre chargée de la Citoyenneté. Doté de deux millions d’euros, le fonds devait servir à produire du contenu en ligne faisant la promotion des valeurs de la République. Si certaines associations ont effectivement rempli cette mission, les contributions de deux des 17 associations sélectionnées suscitent le doute. Au point que le Sénat a, le 10 mai, voté une résolution permettant à la commission des finances du Sénat de lancer une commission d’enquête sous la direction de Claude Raynal (PS), président de la commission des finances. En parallèle, le parquet national financier a également ouvert une information judiciaire pour « détournement de fonds publics par négligence », « abus de confiance », et « prise illégale d’intérêts ».

« Nous avons demandé une subvention classique. Nous n’avions pas plus d’informations sur un quelconque fonds Marianne »

Après un long propos introductif et une tentative de plaidoirie, Cyril Karunagaran a été sommé de s’expliquer sur le dépôt du projet conduisant à l’attribution des subventions en faveur de l’USEPPM qu’il préside. « Pour notre part, nous avons demandé une subvention classique. Nous n’avions pas plus d’informations sur un quelconque fonds Marianne. On a présenté un projet sur plusieurs années, en 2021, et les 635 000 euros étaient uniquement sur la première année », explique Cyril Karunagaran. Ce dernier précise que la demande de subvention concernait la fin de l’année en cours, soit sept mois, et n’était pas liée au fonds Marianne.

Après cette demande de subvention envoyée le 9 avril, le comité de programmation du CIPDR flèche une subvention de 300 000 euros en faveur de l’association de Cyril Karunagaran. Une décision dont le président de l’USEPPM affirme ne pas avoir connaissance. Fin avril, après des contacts entre Mohamed Sifaoui et le cabinet de la ministre, l’USEPPM formule une demande de subvention dans le cadre du fonds Marianne. « Depuis le départ nous n’avons pas fait bouger la présentation de notre dossier et son contenu nous avons seulement réduit les budgets. La demande de subvention était sur trois ans », explique Cyril Karunagaran devant les sénateurs incrédules. En effet Cyril Karunagaran affirme que les 355 000 euros accordés à l’USEPPM au titre du fonds Marianne « correspondaient à un projet pluri annuel ». Une contradiction par rapport à la présentation de la première demande de subvention.

 « Mohamed Sifaoui m’a fait savoir que le cabinet de Marlène Schiappa lui avait demandé de participer à des actions »

Le positionnement de l’USEPPM sur le fonds Marianne soulève quelques doutes chez les sénateurs. « Début 2021, Mohamed Sifaoui m’a fait savoir que le cabinet de Marlène Schiappa lui avait demandé de participer à des actions. Il est venu me voir pour me demander s’il pouvait mener ce projet avec l’association », détaille Cyril Karunagaran. « Du point de vue de Monsieur Sifaoui il ne pouvait pas répondre à l’appel d’offres… », interpelle Claude Raynal. Malgré cela, Mohamed Sifaoui et Cyril Karunagaran déposent bien une demande de subvention pour le fonds Marianne.

Par ailleurs, l’association ne semblait pas forcément prête à recevoir une subvention de 355 000 euros. « Lors de la demande de subvention nous avions fortement réduit l’effectif, nous étions 5 avec un budget annuel de 50 000 euros », affirme Cyril Karunagaran. « Comment avez-vous pu penser qu’une association dont le budget annuel est de 50 000 euros pouvait porter un projet de cette dimension ? », s’offusque Jean-François Husson, sénateur LR et vice-président de la commission de finances. « C’était ma première demande de subvention, je n’ai pas l’habitude de travailler avec de l’argent public », s’est contenté de répondre Cyril Karunagaran. Concrètement la somme allouée au titre du fonds Marianne semble disproportionnée par rapport à la production réalisée par l’USEPPM.

Soupçons d’emplois fictifs

Dans l’optique de produire du contenu contre la haine en ligne et en faveur des « valeurs de la République », l’association devait s’appuyer sur six employés. Le projet consistait alors principalement à poster du contenu sur les réseaux sociaux ainsi qu’à développer une encyclopédie en ligne. In fine, seulement quatre personnes ont été employées et plusieurs contrats sont devenus des mi-temps. « Nous étions quatre, dont moi-même, Monsieur Sifaoui, un responsable éditorial et juridique et une personne pour la création de vidéos. C’était un temps plein jusqu’en 2022 », affirme Cyril Karunagaran. Mohamed Sifaoui a été employé en tant que « directeur des opérations, caution scientifique et maître d’œuvre de tout ce qui devait être publié », et Cyril Karunagaran en tant que directeur administratif et financier en plus de sa qualité de président de l’association.

 « Quand on regarde globalement les choses on a plus que l’impression d’un bilan relativement faible »

Au-delà des difficultés déontologiques que pourraient laisser entrevoir ces nominations, les productions intellectuelles, qui servent notamment à rendre compte de l’utilisation des subventions accordées, ne semblent pas à la hauteur des attentes. « Quand on regarde globalement les choses on a plus que l’impression d’un bilan relativement faible. Je le mets forcément en perspective avec les montants », s’étonne Claude Raynal. Sans contester le faible volume de production affirmant « assumer de faire de la qualité plutôt que de la quantité », Cyril Karunagaran explique « les vidéos n’ont pas suscité l’adhésion souhaitée mais il est évident que nos vidéos ont été vues ». Le président de l’USEPPM affirme que, malgré une production de contenu et un nombre d’abonnés très faible sur les différents réseaux sociaux, les publications ont eu un fort impact. Une popularité que Cyril Karunagaran a cherché à mettre en avant en s’appuyant sur le nombre d’impressions réalisées par certains tweets. « Je me méfie de l’impression. On arrive des fois à des millions mais ils n’ont pas vu le message, ils ont juste ouvert le sujet », note cependant Claude Raynal visiblement peu convaincu.

La qualité des autres productions n’est guère plus aboutie. En effet, le projet d’encyclopédie n’a jamais été mis en ligne même si Cyril Karunagaran défend un projet ambitieux. « Le problème d’une encyclopédie en ligne c’est que ce sont des contenus scientifiques, des définitions qu’il faut lier entre eux. On a produit un grand nombre de définitions, une grande partie est faite mais n’a pu être publiée encore », se dédouane Cyril Karunagaran.

Dans un propos relativement contradictoire, le président de l’USEPPM affirme que « la dénaturation du projet de départ » a compliqué la réalisation du projet tout en reconnaissant que « l’association n’était pas prête à assumer un tel défi ». Sans réellement parvenir à convaincre, Cyril Karunagaran estime que « le bilan de ce qui a été fait a été relayé sous la forme de contre-vérité ».

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