À l’issue d’un conseil de défense de la sécurité nationale, lundi 7 juillet, Emmanuel Macron a annoncé de nouvelles mesures pour lutter contre « l’entrisme » islamiste. Le chef de l’Etat avait réuni autour de lui plusieurs ministres, dont le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, la ministre de l’Education nationale, Élisabeth Borne, mais aussi la ministre des Sports, Marie Barsacq. L’objectif, près de quatre ans après l’adoption de la loi contre le séparatisme : frapper au portefeuille les structures accusées de chercher à noyauter la société française et ses institutions pour y diffuser un islam radical. Devant un groupe de journalistes, Emmanuel Macron a indiqué attendre un texte de loi « pour la fin de l’été ». Il demande « qu’il soit applicable en fin d’année ».
Parmi les dispositifs présentés hier : « La création d’une nouvelle mesure de gel des apports monétaires et financiers », élargies aux associations soupçonnées d’entrisme, sur le modèle de ce qui existe déjà pour les organisations terroristes. Les dissolutions administratives, possibles pour les personnes morales, vont également être élargies aux fonds de dotation, c’est-à-dire aux organismes de mécénat. La création d’un « régime coercitif de dissolution des biens des organisations dissoutes » doit permettre au tribunal judiciaire de procéder aux liquidations.
Par ailleurs, les associations bénéficiant de financements publics se verront imposer des sanctions administratives, sous la forme d’une astreinte journalière, si elles refusent de signer le Contrat d’engagement républicain (CER). Enfin, le régime administratif d’interdiction des ouvrages illicites devrait être renforcé.
« Je ne vois rien qui concerne l’entrisme du quotidien »
« Je veux bien que l’on s’attaque au volet financier, mais l’entrisme nécessite autre chose que de la technique », soupire auprès de Public Sénat la sénatrice LR Jacqueline Eustache-Brinio, qui avait été rapporteure pour la Chambre haute du texte de 2021 contre le séparatisme. « Je suis assez sceptique sur les effets que ce genre de mesures peut générer dans les territoires. Je ne vois rien qui concerne l’entrisme du quotidien, et qui fait partie de cet islamisme rampant, rien sur le voilement des petites filles, le sport ou ce qu’il se passe dans certaines cours d’école », énumère l’élue.
« À prendre des mesures trop radicales sur ce sujet, compte tenu du travail de sape déjà réalisé par les Frères musulmans, le gouvernement et les parlementaires seront taxés d’islamophobie. Nous devons rester archi-républicains sur ces questions pour ne pas tomber dans le piège que nous tendent les islamistes », nuance la sénatrice centriste Nathalie Goulet, auteure en 2016 d’un rapport sur l’organisation, la place et le financement de l’Islam en France.
« L’aspect financier est la bonne porte d’entrée sur ce sujet, les mesures proposées sont intéressantes, mais il faut absolument avoir une vision globale et s’interroger sur les moyens que l’on est prêt à mettre sur la table pour juguler cet entrisme », poursuit l’élue. Elle appelle notamment à accompagner l’arsenal législatif de mesures prises au niveau européen, « car les financements, s’ils sont interdits en France, finiront par arriver d’ailleurs ». « Et puis, c’est un sujet qui dépend aussi des musulmans eux-mêmes », pointe-t-elle, évoquant notamment « l’opacité de la filière halal » ou encore la désorganisation de l’Islam de France.
Un rapport sensible
Le précédent conseil de défense consacré à ce sujet, il y a un mois et demi, avait viré au recadrage, Emmanuel Macron ayant été particulièrement agacé de voir fuiter dans la presse des extraits du rapport sur les Frères musulmans et l’islamisme politique en France commandé l’année dernière, sous le gouvernement de Gabriel Attal.
Apparue à la fin des années 1920 en Egypte, la confrérie des Frères musulmans est un mouvement politico-religieux sunnite qui a été interdit dans plusieurs pays, notamment l’Egypte et l’Arabie saoudite, plus récemment la Jordanie et l’Autriche. L’association Musulmans de France, bien qu’elle s’en défende, est généralement considérée comme l’un de ses relais idéologiques en France.
Le rapport, rédigé par un groupe de hauts fonctionnaires, et dont le contenu classifié a été largement dévoilé par Le Figaro, fait état d’un « important réseau d’implantations » avec 139 lieux de cultes affiliés aux Musulmans de France pour une fréquentation moyenne estimée à 91 000 fidèles, soit 7 % des 2 800 lieux de cultes musulmans que compte le territoire national. Il recense également « 280 associations rattachées à la mouvance, opérant dans une multitude de secteurs encadrant la vie du musulman (cultuel mais également caritatif, scolaire, professionnel, jeunesse ou encore financier) », ainsi qu’une vingtaine d’écoles confessionnelles également associées à l’orbite frériste, pour un total de 4 200 élèves.
Le rapport alerte contre une « menace pour la cohésion nationale ». « La matrice de l’islamisme posée par les Frères musulmans allie inculturation d’une tradition moyen-orientale dans les pays d’implantation et dissimulation tactique d’un intégrisme subversif », écrivent ses auteurs. Selon eux, la mouvance chercherait notamment à imposer la « prééminence de la loi coranique » sur les lois de la République, à travers ses différents corollaires, notamment la promotion de la non-mixité et du port du voile pour les femmes.
Autre élément soulevé par ce document : le rôle de catalyseur joué ces derniers mois par le conflit israélo-palestinien. « Depuis les attaques du 7 octobre, on constate une montée des activités antisionistes au sein [de] mosquées, à la faveur de la colère suscitée par le bilan humain des représailles israéliennes à Gaza », peut-on lire.
L’entrisme « est une stratégie développée par certaines confréries ou organisations, en particulier les Frères musulmans, qui consistante sans signe visible, à en quelque sorte retourner les esprits », avait commenté Emmanuel Macron quelques jours après la remise du rapport. « Il faut faire attention avec ça. Ça existe […] mais il ne faut pas pour autant penser qu’il y en a partout, parce que ça peut rendre complotiste ou paranoïaque ».
« Pointer du doigt les Français de confession musulmane »
À gauche, plusieurs responsables politiques ont dénoncé les conclusions du rapport, dénonçant un risque de stigmatisation de la communauté musulmane. « On parle de 400 à 1 000 personnes affiliées aux fréristes. Dans le domaine du sport, ce serait cinq personnes sur 16,5 millions de licenciés… », avait réagi au micro de Public Sénat Guillaume Gontard, le président du groupe écologiste au Sénat. « Il y a des problématiques, évidemment, mais on est très loin de ce que l’on souhaite dire. »
« Il faut sortir de cette logique d’essayer, à travers de multiples rapports, d’aller pointer du doigt les Français de confession musulmane », a dénoncé lundi matin, au micro de TF1, Manuel Bompard, le coordinateur de La France insoumise. « Ce rapport parle de 0,007 % des personnes dites de confession musulmane en France », épingle ce proche de Jean-Luc Mélenchon.
La bataille des idées
La divulgation de ce rapport a donné lieu à une bataille des propositions au sein du bloc gouvernemental. Le ministre de l’Intérieur a notamment plaidé pour une réorganisation administrative. À plusieurs reprises, Bruno Retailleau a indiqué vouloir faire de la direction nationale du renseignement territorial et du renseignement de la préfecture de police de Paris les deux chefs de file de la lutte contre l’islamisme, sur le modèle de ce qui avait été fait pour la lutte contre le terrorisme.
Il a insisté sur le rôle de Tracfin et de la Direction générale des finances publiques pour renforcer le contrôle des dotations, avec la mise en place « d’un parquet administratif pour diligenter les dissolutions et les entraves administratives ». Enfin, à l’occasion d’un déplacement à la préfecture des Hauts-de-Seine, le président des Républicains avait également évoqué la création de nouvelles infractions comme « l’atteinte à la cohésion nationale ».
De son côté, l’ancien Premier ministre, Gabriel Attal, a proposé d’interdire le voile pour les mineures de moins de 15 ans et de créer un « délit de contrainte au port du voile ». Des mesures jugées difficilement applicables jusque dans son propre camp. Élisabeth Borne, la ministre de l’Education nationale, avait exprimé au micro de BFMTV ses « plus grands doutes sur leur constitutionnalité ».
Notons que plusieurs initiatives parlementaires sont déjà dans les tuyaux. Le 18 février, le Sénat a adopté dans une ambiance électrique une proposition de loi issue des rangs LR sur la laïcité dans le sport, visant à interdire le port de signes religieux dans les compétitions et dans les piscines municipales. Un texte qui a semé un certain émoi jusque dans les rangs de l’exécutif.
Élisabeth Borne et Marie Barsacq, la ministre des Sports, ont estimé qu’il n’y avait pas urgence à légiférer sur ce sujet. À l’opposé, le garde des Sceaux, Gérald Darmanin, est allé jusqu’à évoquer dans les colonnes du Parisien une possible démission « si le gouvernement est favorable au port du voile dans les instances sportives ». Finalement, l’exécutif s’est engagé à faire inscrire la proposition de loi à l’agenda de l’Assemblée nationale. À ce jour, toutefois, le texte patiente toujours sur le bureau du Palais Bourbon.