Lutte contre les discriminations : le Sénat adopte un texte largement réduit

Le 12 mars, le Sénat a examiné en séance la proposition de loi du député Renaissance Marc Ferracci visant à généraliser la pratique du « testing » pour lutter contre les discriminations. Remanié en commission, le texte a été considérablement réduit en séance, ce qui a conduit la gauche à s’y opposer.
Mathilde Nutarelli

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Pour la gauche sénatoriale c’est une occasion manquée. Le 12 mars dernier, la proposition de loi du député Renaissance Marc Ferracci visant à généraliser la pratique du « testing » pour lutter contre les discriminations arrivait en séance au Sénat. C’est un texte largement modifié par la majorité sénatoriale qui en est ressorti. A tel point que les groupes de gauche, qui avaient initialement prévu de s’abstenir, ont fini par voter contre.

Une proposition de loi qui vise à lutter contre les discriminations via la pratique du « testing »

Le texte initial prévoit de renforcer la lutte contre les discriminations en créant un service dédié au sein de la délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah). Ce dernier aurait entre autres pour mission de recourir au « testing » c’est-à-dire à mener des tests, dans les entreprises où une situation de discrimination serait rapportée.

Les tests sont de deux ordres. Le test individuel consiste à confronter le profil d’une personne réelle, supposément discriminée, à un profil fictif analogue, sans la caractéristique discriminée. Le test statistique est mené à plus grande ampleur par l’envoi de nombreuses candidatures fictives pour révéler d’éventuelles discriminations. Ce sont des pratiques couramment employées par les chercheurs et les associatifs pour mettre en évidence les comportements discriminatoires. Le 12 mars dernier, l’association SOS Racisme révélait les résultats de son dernier testing : près de deux tiers des agences d’intérim auraient un comportement « problématique ».

Si les tests permettent de révéler une discrimination dans une organisation, avec la proposition de loi, la Dilcrah aurait le pouvoir d’accompagner la structure dans la mise en place de politiques correctives et de sanctions. Ces dernières ne pourraient s’appliquer que dans le cadre d’un test individuel. En cas de discriminations révélées par un test statistique, le texte prévoit des mesures de « name and shame » (nommer et humilier), qui consistent à publier les résultats du test avec le nom de l’entreprise, si elle n’a pas mis en place une négociation pour corriger la situation.

En commission, le Sénat a largement remanié le texte

Le texte, adopté par l’Assemblée nationale le 6 décembre dernier, a été considérablement modifié par la commission des lois du Sénat. La modification majeure concerne les tests individuels : la faculté de la Dilcrah de les mettre en place a été supprimée, ne lui laissant que le pouvoir de mener des tests statistiques. Les sénateurs craignaient en effet que cela ne fasse doublon avec la Défenseure des droits, qui mène déjà ces tests, lorsqu’elle est saisie. La ministre déléguée en charge de l’Enfance, de la Jeunesse et des Familles Sarah El Haïry est de l’avis contraire. Elle a défendu en séance un « soutien supplémentaire » à la Défenseure des droits pour mieux lutter contre les discriminations.

La commission des lois a également supprimé les articles 2 et 3 de la proposition de loi. Ce dernier prévoyait les sanctions des entreprises en cas de discrimination révélée. L’opposition de gauche et écologiste du Sénat s’en était émue, et avait dénoncé un texte vidé de l’essentiel de sa substance. A l’issue de l’examen en commission, les groupes socialiste et écologiste avaient prévu de s’abstenir.

En séance, l’adoption d’un amendement a fait changer d’avis la gauche de l’hémicycle

Pourtant, à l’issue de l’examen en séance, tous les groupes de gauche du Sénat ont voté contre ce texte. Le motif : l’adoption dans l’hémicycle d’un amendement du LR Olivier Rietmann, président de la délégation sénatoriale aux entreprises, restreignant les tests statistiques effectués par la Dilcrah aux seules entreprises de plus de 1 000 salariés ou agents. Pour Rietmann, les plus petites entreprises constitueraient un « échantillon trop restreint » pour effectuer ces tests. Une mesure qui a mis la gauche de l’hémicycle vent debout contre elle. « Adopter cet amendement, c’est vider totalement la loi de sa substance », a asséné le communiste Ian Brossat, « il y a une forme d’hypocrisie à voter un amendement pareil et à dire qu’on veut lutter contre les discriminations ». Le socialiste Éric Kerrouche y a vu un « raccourci méthodologiquement totalement infondé ». Mais cela n’a pas empêché les sénateurs de valider la modification.

Le texte sorti du Sénat se trouve donc raboté : son article 1 a été considérablement réduit, les articles 2 et 3 ont simplement été supprimés. « Cette proposition de loi n’avait pas besoin d’être faite », a expliqué la rapporteure du texte, la LR Catherine Di Folco, « elle n’est faite que pour appliquer des sanctions ». Or, pour elle, « les sanctions existent, il faut donner plus de moyens à l’inspection du travail d’aller jusqu’au bout » lorsque des discriminations sont identifiées en entreprise.

« Nous avions prévu plutôt de nous abstenir sur ce texte, mais le fait que le Sénat ait adopté un amendement qui restreint les tests statistiques aux organisations employant au moins 1 000 personnes rend cette proposition de loi vraiment mauvaise, nous voterons contre ce texte », s’est désolée la sénatrice socialiste de Seine-Saint-Denis Corinne Narassiguin. Comme les socialistes, les communistes et les écologistes ont changé d’avis et ont voté contre. La proposition de loi a néanmoins été adoptée à 226 voix pour et 98 contre.

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